Quelles énergies renouvelables pour la Polynésie et le Pacifique Sud ?


PAPEETE, le 23 octobre 2014. L'Agence française de développement vient de publier une grande enquête sur les énergies renouvelables dans le Pacifique Sud. On y trouve les meilleurs projets de la région, les difficultés qu'ils ont rencontrées techniquement et dans le financement, et de nombreux conseils pratiques pour la Polynésie et nos voisins.

Comment développer la part des énergies renouvelables dans la production électrique des îles du Pacifique Sud ? C'est sur cette question, essentielle à l'ère du réchauffement climatique et du pétrole cher, que se sont penchés les experts de l'Agence Française de Développement. Ils ont publié cette semaine un rapport de 74 pages sur ce sujet électrique, et la Polynésie y est citée à la fois pour des projets exemplaires, des échecs et avec des conseils pour mener notre transition énergétique.

Parmi les projets étudiés se trouve le barrage à débordement de la Papenoo, dont la conception pour s'intégrer dans le paysage est saluée. Mais les rapporteurs soulignent qu'à l'époque de sa construction, son impact écologique avait été globalement ignoré car ce n'était pas dans l'air du temps, et surtout que la plupart des rapports et études ayant présidé à sa mise en place ont disparu. Le SWAC de l'Intercontinental de Bora Bora est également mis en avant.

Mais c'est une autre installation qui fait figure d'exemple pour les projets mixtes : l'hôtel The Brando, qui produit 100 % de son électricité à partir de sources renouvelables avec un cocktail combinant SWAC pour la climatisation, panneaux solaires / batteries en journée et groupes électrogènes à l'huile de coco pour la nuit. Sur ce dernier point, l'hôtel joue un rôle précurseur : « la signature de conventions relatives à la vente locale d'huile de coco comme carburant est un précédent capital à l'utilisation de ce biocarburant en Polynésie française» insiste le rapport.


Pour les îles hautes, les barrages sont la solution la plus rentable

En analysant les différentes technologies disponibles, le rapport souligne que l'hydroélectricité reste la plus rentable pour les îles hautes. Parmi les autres technologies, le SWAC, ou refroidissement par eaux profondes, a un gros potentiel mais uniquement pour les plus grands projets. L'huile de coprah a un intérêt très fort, parfois perturbé (comme en Polynésie) par les subventions sur le prix du fioul. L'éolien ne dispose que de peu de lieux d'installation potentiellement intéressants (à l'exception par exemple des Australes en Polynésie). Le solaire, quant à lui, est toujours en forte évolution technologique : « d'énormes progrès sont faits et sont à attendre sur les batteries ». Le rapport prévoit donc de fortes baisses de prix dans les cinq ans.

A l'heure actuelle donc, ce sont les barrages qui remportent la palme pour les îles industrialisées, comme celles de la Société, des micro-barrages hydroélectriques et le bois pour les autres îles hautes, et des mixtes panneaux solaires/batteries/groupes électrogènes à l'huile de coprah pour les atolls.

Pour Tahiti spécifiquement, le rapport souligne le risque d'être confronté à un choix entre énergie renouvelable et préservation de la nature : « La question de la taille du lac de barrage se pose dans le cas des projets hydroélectriques à venir, en particulier dans les îles où la ressource hydroélectrique est limitée par rapport à la demande. Par exemple, dans le cas de Tahiti et de la vallée Vaiha (la dernière grande vallée pouvant être équipée à Tahiti), la question du dimensionnement de l'ouvrage est primordiale. Plus l'ouvrage est grand et plus l'impact sur la vallée est négatif, mais réciproquement un ouvrage sous-dimensionné, qui ne permettrait de produire qu'au fil de l'eau, aurait un impact assez faible sur le mix électrique et ne permettrait pas d'augmenter la capacité de stockage d'énergie. Cela équivaudrait donc à « tuer le gisement » en hypothéquant les chances pour le pays de s'approcher des objectifs annoncés de 50 % d'énergies renouvelables en 2020. »

Des difficultés diverses

En Polynésie, le principal frein au développement des énergies renouvelables sera foncier. Installer un nouveau barrage, un champ d'éoliennes ou une ferme de panneaux solaires demande beaucoup d'espace, et à des endroits très spécifiques. Dans d'autres pays du Pacifique, c'est parfois une opposition pure et simple à l'électrification d'une communauté qu'il faut prendre en considération, comme en Papouasie-Nouvelle-Guinée où des tribus refusent la modernité.

Ce rapport, qui va servir de guide aux grands organismes financiers internationaux souhaitant aider les investissements dans les énergies renouvelables dans le Pacifique, met donc en garde ses lecteurs : ne cherchez pas à faire le bonheur des gens malgré eux. « Tous les habitants des territoires isolés ou trop isolés ne réclament pas forcément l'accès aux meilleures technologies en matière d'accès à l'énergie. L'équilibre social, culturel et économique de ces territoires doit être pris en considération, au risque d'appliquer des solutions inadaptées susceptibles de générer des résistances au changement. »

Pour illustrer ce point, c'est encore la Polynésie qui est citée : « La faible implication des habitants des atolls est un des points négatifs que l'on retrouve souvent dans les projets de centrales hybrides. Des exemples d'échecs patents existent en Polynésie française, alors qu'un plus grand nombre de précautions (institutionnelles, économiques, financières) aurait permis de les éviter. » Mais les auteurs soulignent que l'échec de l'éolienne de Makemo est plutôt dû à des erreurs techniques, avec une technologie non adaptée à l'eau de mer.


Tokelau en pionnier

Pour les atolls, un des modèles à suivre est Tokelau. Ce tout petit territoire néo-zélandais de 1400 habitants est passé en 5 ans de 10% d'énergies renouvelables dans sa production électrique à 90% depuis 2013, avec l'installation de trois centrales hybrides photovoltaïques/batteries/diesel. Le financement n'a été possible que grâce à d'importantes subventions de la Nouvelle-Zélande.

Dans ce projet, le succès a reposé sur le dosage de la capacité des batteries : « la part des batteries et de l'équipement de gestion dépasse les 40 % du coût total de l'investissement. » C'est l'objectif de limiter au maximum la dépendance aux énergies fossiles des Tokelau qui a motivé l'investissement. Le rapport de l'AFD souligne que dans cette optique, « un mix incluant par exemple de l'huile de coprah permettrait de réguler une partie de l'intermittence et donc de diminuer largement la part des batteries. »

Le programme PHOTOM de Polynésie française, qui visait à installer des panneaux solaires individuels sur 1500 habitations isolées, est également salué malgré un manque de concurrence dans les entreprises fournissant des panneaux photovoltaïques. Son bilan : « 97 % des générateurs photovoltaïques audités opérationnels ; 100 % des usagers constatent une amélioration de leur qualité de vie liée à leur générateur photovoltaïque ; résistance aux cyclones éprouvée : seulement 1 % des installations auditées endommagées après le cyclone Oli en 2010 ; aucun vol de module photovoltaïque à déplorer ; nombreuses nouvelles demandes d'installation émanant des îles (environ 200 en instance). » Seul point à surveiller : « une qualité de maintenance très hétérogène selon les îles. »


Où installer les panneaux solaires et les éoliennes ?

Le rapport recèle de nombreux conseils pratiques, par exemple celui-ci :
« Pour le solaire et en particulier pour le photovoltaïque, il est important d’équiper en priorité la côte orientée nord (ou à Tahiti la côte Nord-Ouest) des îles hautes : ces îles montagneuses, souvent sylvestres et humides, développent des nébulosités en journée liées à l’évaporation des forêts, et les côtes sud sont mal exposées par rapport à la course du soleil, et également à l’ombre des nuages de relief. En respectant ces principes, un différentiel de l’ordre de 35 % d’une côte à l’autre est envisageable.

Pour l’éolien, il est recommandé de rechercher les plateaux et les crêtes les mieux exposées par rapport aux alizés, le but étant de trouver un site qui reçoit les vents du large, sans perturbations des flux (d’air). »

Lire notre entretien avec Jean Hourcourigaray et Stéphane Bitot, deux des rédacteurs du rapport.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 23 Octobre 2014 à 16:57 | Lu 3850 fois