Quand une confiture de coco déchaîne les passions


Nilda Taaviri et la confiture de coco, les deux stars de l’entreprise familiale (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 9 janvier 2025 – À Mataiea, les pots se vendent encore chauds au comptoir de la Laiterie Roche. Commercialisée depuis une quinzaine d’années, la recette familiale de confiture de coco a été remise au goût du jour grâce à une vidéo qui ne vantait pourtant pas ses mérites. Grâce aux talents de communication de Nilda Taaviri, la petite usine de produits locaux tourne désormais à plein régime.

 
Fondée en 1962 par François Roche, la Laiterie Roche de Mataiea avait alors deux références à la carte : les yaourts natures et les confitures de goyave. Le fils de François, René Roche, a diversifié la gamme pour atteindre 35 produits à base de fruits locaux. En 2017, c’est Kaukea Roche, petit-fils du fondateur, qui a hérité de l’entreprise familiale. Pour continuer à la faire tourner, il a fallu se moderniser.
 

Communiquer autrement


Cette modernisation ne s’est pas passée en cuisine, mais sur les réseaux sociaux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa compagne, Nilda Taaviri, a pris les rênes de la communication et du marketing avec brio depuis 2021. “Les chiffres n’étaient pas fameux, les clients ne venaient pas s’approvisionner à l’usine et on avait beaucoup de retours de yaourts en magasins”, se souvient-elle. Après une formation de quelques mois, elle a affiné son style au fur et à mesure des publications sur Facebook et Tik Tok. “Je me suis lancée, alors que ce n’était pas du tout mon métier à la base. Je n’avais même pas de compte personnel, mais c’était devenu nécessaire pour l’entreprise. En un mois, on a augmenté le chiffre d’affaires de 25 %. Mais ça a vraiment décollé au bout de deux ans, quand j’ai commencé à être moi-même, et moins dans une posture professionnelle. L’authenticité a touché les Polynésiens”, analyse la jeune femme.
 
Sa joie communicative et son sens de l’humour contribuent aussi à cette réussite. Depuis quelques mois, grâce à un filtre, elle incarne un personnage fictif qui s’est transformé en running gag. “Tehau est né d’une grosse blague dans le cadre d’une vidéo sur un entretien d’embauche. C’était un personnage lambda que je n’avais pas prévu de faire vivre. Les gens se sont tellement reconnus en lui qu’ils ont commencé à me demander de ses nouvelles. Je suis partie dans le délire en faisant comme si on l’avait embauché à l’usine. Ça a encore plus explosé ! Ça m’a permis de toucher plus d’hommes et plus de jeunes.”
 

“On a réussi à mettre en valeur la recette de mon papa”, se réjouit Kaukea Roche.

“C’était la confiture qu’on vendait le moins”


Cette promotion originale de l’entreprise permet aujourd’hui à la petite usine de tourner à plein régime. Plus surprenant encore, un produit est passé de l’ombre à la lumière au détour d’une autre vidéo, dans laquelle il était pourtant loin d’être mis en valeur. “La confiture de coco de mon beau-père existe depuis un peu plus de quinze ans. À l’époque, elle était en rayon dans les magasins, mais on ne communiquait pas. C’était la confiture qu’on vendait le moins”, confie Nilda Taaviri. “Un jour, sur les conseils d’une cliente, j’ai fait une vidéo où je teste le yaourt bifidus nature, que je n’aime pas, avec de la confiture coco, que je n’aime pas non plus. Alors que je n’étais pas convaincue par le résultat, ça a permis aux gens de découvrir notre confiture de coco.”
 
Depuis quelques mois, ce produit local par excellence est devenu la star de la Laiterie Roche. L’entreprise fait face à une demande exponentielle, à tel point que les pots se vendent encore chauds au comptoir de l’usine. “Avant, on faisait une production, soit 32 à 36 pots, une fois tous les quatre mois, quand on avait le temps. Aujourd’hui, on est passé à huit productions par jour, et ce stock se liquide en une heure ! On n’arrive plus à fournir les magasins. Les clients se déplacent de tout Tahiti pour venir jusqu’à l’usine. Ceux qui n’ont pas de voiture viennent exprès en bus. On en arrive au point où certaines personnes sont frustrées, voire en colère, parce qu’elles n’arrivent pas à en avoir. Quand il y a trop de monde devant, je suis obligée de mettre des quotas”, s’étonne encore Nilda Taaviri.

Cet engouement va bien au-delà de Tahiti. La demande concerne aussi les îles, et même l’international via “des Polynésiens, mais aussi des étrangers” de Nouvelle-Calédonie, de France, de Suisse ou encore du Canada.
 

​Une fierté artisanale


À Mataiea, l’avenir de la petite entreprise et de ses dix employés semble désormais assuré. “On est fier. On reste sur une production très artisanale : tout est fait à la main. On est au max de notre capacité de production, mais on ne veut pas basculer en mode industriel. On veut garder cet esprit familial”, souligne Nilda Taaviri. “On a été agréablement surpris ! On a réussi à mettre en valeur la recette de mon papa. Maintenant, il faut assurer la production. Le challenge, ça va être de continuer à améliorer l’approvisionnement en fruits locaux, car on ne veut pas utiliser de purées importées”, conclut le jeune “patron”, Kaukea Roche.
 
À titre d’exemple, chaque semaine, la Laiterie Roche transforme près de 2 tonnes de cocos en provenance des îles Sous-le-Vent pour les besoins de sa production de lait pasteurisé et de la fameuse confiture.
 

Des clients enthousiastes

Les jours de production, les clients affluent au comptoir de l’usine.
Dans un yaourt, sur des crêpes ou à la cuillère, à chacun sa façon de savourer la confiture de coco. Encore faut-il réussir à s’en procurer... Les plus téméraires font le déplacement jusqu’au site de production de Mataiea, comme Rahera. “Je suis venue exprès de Tautira, mais je vis en France. J’ai pu goûter en récupérant un pot à l’aéroport Charles de Gaulle après un tirage au sort. Je suis venue faire mon stock avant de rentrer. Ça vaut le déplacement”, assure-t-elle dans la file d’attente. Derrière elle, Laëtitia, résidente de Papeete, était du même avis : “Je voudrais goûter, car ça donne envie quand on en entend parler sur les réseaux”. “Cette confiture est délicieuse : c’est une pépite !”, confirment Heipua et Tepurotu, qui ont profité d’un trajet Faa’a-Taravao pour venir s’approvisionner. Certains pots devront attendre avant d’être dégustés, comme nous l’a confié Mia, résidente de Papara : “Je suis venue faire le plein de confiture de coco pour goûter, et pour partager avec ma belle-fille qui rentre en France, où vivent aussi mes deux enfants. Ils vont se les répartir entre eux. C’est un produit local : ça fait plaisir de soutenir notre économie !” 

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Jeudi 9 Janvier 2025 à 17:14 | Lu 2037 fois