Quand la CTC déconseillait la TVA sociale


Tahiti, le 1er septembre 2022 – Dans son dernier rapport sur la politique sociale menée au fenua, la Chambre territoriale des comptes regrette que ses dernières recommandations concernant les recettes de la PSG et la fiscalité n’aient pas été mises en œuvre. De fait, la Polynésie a dû trouver rapidement de nouvelles sources de financements, ce qui a conduit à la mise en place de la contribution pour la solidarité au 1er avril. Mais celle-ci aurait dû être évitée, selon la CTC.
 
La Chambre territoriale des comptes (CTC) a finalisé son dernier rapport d’observations définitives concernant la politique sociale menée par la Polynésie depuis 2016. Dévoilé cette semaine par nos confrères de Radio1, il n’a pas encore été rendu public mais révèle d’ores et déjà un point troublant : les précédentes recommandations publiées en 2017 concernant la réforme de la protection sociale généralisée (PSG) n’ont pas été mises en œuvre par la collectivité (sauf dans un seul cas sur un total de huit recommandations). Mais pis encore, la stratégie adoptée par le Pays pour financer la PSG va même “à rebours des recommandations que la Chambre a formulées dans ses précédents rapports”.
 
La CTC pointe ainsi du doigt la mise en place de la contribution pour la solidarité (CPS), la fameuse TVA sociale de 1% prélevée depuis le 1er avril, qui aurait pu, selon elle, être évitée. “Par l’absence d’une réforme fiscale globale attendue depuis plus de 10 ans, le Pays s’est contraint lui-même, dans l’urgence, à persister dans cette voie”, est-il ainsi relevé dans la synthèse du rapport. La crise économique de 2009 renforcée par la crise sanitaire de 2020 ont conduit à l’augmentation des dépenses de solidarité et “la collectivité s’est placée dans l’obligation de créer en urgence des recettes supplémentaires”.
 
Trop de dépendance aux flux économiques
 
Le Pays “n’a pas eu d’autre choix que de s’engager à nouveau dans un chantier de réformes d’envergure. Deux textes ont été adoptés en fin de période (décembre 2021, NDLR), le premier en matière de gouvernance et le second, en vue de créer une fiscalité additionnelle accompagnée d’une majoration de la contribution de solidarité territoriale”, soit la mise en place de la CPS par la loi du Pays n°2021-55 du 27 décembre 2021. Si cette “fiscalité additionnelle sur la consommation et sur les revenus telle qu’envisagée offre comme avantages celui d’un rendement élevé conjugué à une souplesse de mise en œuvre”, elle représente néanmoins un “risque” par “l’amputation d’une partie du pouvoir d’achat des consommateurs, qui touchera en priorité les plus modestes à cause de l’effet de seuil (part des achats essentiels rapportée au revenu total de la famille)”.
 
Dans ses précédents rapports, la CTC estimait que “la collectivité devait, en proportion, diminuer sa dépendance aux recettes fiscales assises sur l’évolution de l’activité économique (taxation des flux en général, sur la consommation en particulier) et ainsi prélever davantage sur les patrimoines”, qu’ils soient immobiliers ou financiers. En 2015, elle dénonçait le fait que les recettes fiscales étaient liées à l’évolution de la conjoncture économique, “par nature évolutive et fragile”. La juridiction recommandait alors notamment de “réduire la fiscalité indirecte en abaissant les taxes sur la consommation et sur les importations” et dans le même temps d’“augmenter la part et le rendement des impôts sur le patrimoine”. Mais elle constate que depuis, “le Pays n’a pas engagé de réforme fiscale pour diminuer sa dépendance aux recettes issues des flux économiques, bien au contraire”.
 
Les revenus modestes les plus pénalisés
 
“Le système actuel aboutit à une solidarité entre tous les revenus sur lesquels pèsent les cotisations, mais sans tenir compte suffisamment de leur distribution. Et ce phénomène est aggravé avec des taux élevés, qui pénalisent en proportion les revenus modestes.” L’indice de Gini, un indicateur des inégalités monétaires (revenus, niveaux de vie), souligne notamment cela. Il est de 0,4 en Polynésie contre 0,29 en métropole. Son chiffre varie de 0 à 1, 0 correspondant à une situation de parfaite égalité. L’inégalité est donc d’autant plus forte que l’indice est élevé. “La fiscalisation des recettes de la PSG en diminuant la part des cotisations sociales est un champ peu exploré qui permettrait, s’il était développé, d’assurer une part de recettes fixe à la PSG et participerait, notamment avec une fiscalité sur les différents patrimoines (portant ainsi sur les stocks et moins sur les flux), à une redistribution des revenus”, souligne la CTC.
 
Enfin, la juridiction regrette qu’une étude d’impact préalable sur le pouvoir d’achat des familles n’ait pas été menée avant la mise en place de la CPS. Mais également que les processus préparatoires n’aient pas été davantage transparents “au vu de l’importance des enjeux pour toute la société polynésienne”. La Chambre s’étonne en ce sens “de l’absence de représentants issus des sphères sociales (ministère et DSFE)” dans le groupe d’experts “Task Force” constitué en 2020 par le ministre des Finances pour élaborer le projet de réforme.
 

Le régime de retraite des élus de l’APF questionné

La CTC constate également dans son rapport que la problématique du régime de retraite des élus à l’assemblée de la Polynésie française n’apparaît pas dans la réforme de la PSG, “malgré la recherche toujours plus prégnante de l’équité entre citoyens et l’équilibre des comptes de la CPS”. Aujourd’hui, les représentants ne perçoivent pas de salaire mais une indemnité, qui ouvre droit à une pension. Les élus acquièrent chacun un capital, reversé auprès d’un assureur privé, dont les deux tiers sont payés par la collectivité et un tiers par leurs propres cotisations.
 
“En 2020, la charge supportée par l’assemblée au titre de ce dispositif spécifique de cotisation retraite s’élevait à environ 87 millions de Fcfp”, souligne la CTC. Si la question d’affilier les représentants à l’APF au régime de retraite de base des travailleurs salariés de Polynésie est toujours en suspens en 2022, la Chambre estime que “cette dimension de solidarité ne peut être totalement écartée” et qu’il “appartient à l’APF, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, de déterminer les règles inhérentes à son fonctionnement”.
 

Rédigé par Lucie Ceccarelli le Jeudi 1 Septembre 2022 à 14:34 | Lu 3285 fois