Prostitution de mineure et capharnaüm majeur


Tahiti, le 9 mars 2023 – Au terme d'une longue et laborieuse comparution immédiate jeudi, le tribunal correctionnel de Papeete s'est finalement déclaré incompétent pour juger l'ex-directeur de l'ISPF et les onze autres prévenus renvoyés pour recours à une prostituée de 14 ans en 2022, estimant que les faits relevaient d'une qualification criminelle. La défense a tancé un “naufrage judiciaire”.
 
“Tout est incohérent. Je n'ai jamais vu un tel niveau d'incohérence.” Tout juste arrivé de Marseille, Me Denis Fayolle ne retenait pas ses traits à l'égard du parquet de Papeete, jeudi, au terme d'une journée de comparution immédiate retentissante destinée à juger les douze prévenus suspectés d'avoir eu recours à une prostituée mineure de 14 ans courant 2022. L'affaire avait défrayé la chronique au mois de novembre dernier avec le placement en garde à vue du directeur de l'Institut de la statistique en Polynésie française (ISPF), Nicolas Prud'homme, d'un policier de la Direction territoriale de la police nationale et d'un médecin. Elle avait fait l'objet d'un premier renvoi en décembre dernier. Et jeudi, l'avocat marseillais et l'un de ses confrères ont rejoint une dizaine d'autres avocats du barreau de Papeete pour assurer la défense des douze hommes finalement jugés en comparution immédiate à délai différé…
 
Sauf que l'examen des faits précis et du fond de cette affaire n'a jamais eu lieu. Les six heures d'audience n'ont été consacrées qu'à des questions procédurales, qui ont conduit le tribunal à se déclarer “incompétent”.
 
Nullités…
 
La journée a commencé jeudi matin par une salve “d'exceptions de nullités” déposées par Me Denis Fayolle, avocat de l'ancien directeur de l'ISPF, contre la procédure d'enquête. Demande d'annulation des écoutes téléphoniques, de la garde à vue, du rapport d'examen technique des téléphones… Le pénaliste marseillais a estimé le dossier bien trop mal embarqué pour éviter le “naufrage judiciaire”. L'avocat du médecin, Me Édouard Varrod, a emboité le pas de son confrère marseillais pour plaider rien de moins que “l'annulation de toute la procédure” ou encore demander le renvoi du dossier à l'instruction. Au terme d'une première suspension de séance dans cette journée, la représentante du ministère public a défendu au contraire toute la “logique” et la “cohérence” des poursuites. Le président du tribunal a joint les différents recours à sa décision au fond et invité tous les protagonistes du dossier à reprendre les débats après déjeuner à 13h30.
 
Ce n'est pourtant qu'à 15h30, une fois deux autres dossiers de comparution immédiate renvoyés, que le président du tribunal a repris l'audience. Mais pour faire finalement part à l'assistance de son inquiétude sur un “point procédural difficilement contestable”. Devant une quinzaine d'avocats pendus à ses lèvres, le magistrat a évoqué la très médiatique réforme pénale du 21 avril 2021, qui a posé pour principe que “toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant est d'au moins cinq ans”. De sorte que le président du tribunal s'est interrogé sur sa compétence pour juger de faits de nature criminelle.
 
… et incompétence
 
Se sachant visiblement attendue sur cette question, la représentante du parquet a indiqué que la réforme de 2021 n'avait pour autant pas supprimé le délit de “recours à la prostitution de mineur”, passible quant à lui du tribunal correctionnel et plus adapté, selon la magistrate, à la réalité du dossier du jour. Mais il n'en fallait pas moins pour que les avocats s'engouffrent dans la brèche procédurale. Certains, minoritaires, souhaitant juger rapidement l'affaire au fond dans la journée. D'autres, majoritaires, plus prompts à demander le renvoi du dossier à l'instruction pour espérer faire valoir un examen du dossier plus individualisé pour leur client.
 
Nouvelle suspension. Nouvelle décision. Le tribunal correctionnel s'est déclaré “incompétent s'agissant de faits de nature criminelle”, a indiqué être “dessaisi” du dossier, l'a renvoyé entre les mains du parquet et a demandé à sa représentante à l'audience de se prononcer sur d'éventuelles “mesures de sûreté” à l'encontre des prévenus. Laconique, la magistrate a indiqué tirer les conclusions de la nouvelle qualification criminelle en requérant quatre “placements en détention provisoire” et a minima de nouveaux contrôles judiciaires. Bronca dans les rangs de la défense. “Monsieur le président, vous êtes dessaisi. Donc, vous n'êtes plus saisi du dossier. Je ne vois pas devant qui je plaide !”, a rugi Me Denis Fayolle. Nouvelle suspension. Nouvelle décision. Le tribunal a refusé les demandes de détention et, n'étant plus saisi, ne s'est pas prononcé sur les contrôles judiciaires.
 
Et pour le fond de l'affaire ?
 
“C'est à la fois une grande satisfaction et une vraie frustration. Pourquoi une grande satisfaction ? Parce que le tribunal vient d'infliger un camouflet retentissant au ministère public, en renvoyant le procureur de la République à mieux se pourvoir”, s'est réjoui l'avocat marseillais en fin de journée. “Le dossier est purement et simplement anéanti. Il y aura maintenant des suites, mais nous serons ravis de pouvoir nous expliquer dans un cadre adapté. S'agissant de la frustration, à partir du moment où nous défendons quelqu'un qui crie son innocence dans les faits qui lui sont reprochés (…) notre client voulait être blanchi aujourd'hui et il devra attendre encore un peu.”
 
Il faudra donc attendre aussi pour en savoir davantage sur le fond de ce dossier, qui va désormais filer à l'instruction. Les différentes plaidoiries du jour auront tout de même permis d'en apprendre davantage sur la défense de ces douze clients et sur la jeune prostituée mineure. Selon les avocats, tous les prévenus affirment qu'ils n'avaient aucune connaissance de la minorité de la jeune fille. Ils assurent tous qu'elle leur annonçait avoir 18 ans. Une jeune fille qui passait parfois par des “contacts” pour trouver ses clients. Deux d'entre eux ont d'ailleurs été renvoyés il y a deux semaines en procédure dite de “plaider-coupable”. Mais l'examen de leur affaire a été renvoyé.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 9 Mars 2023 à 21:24 | Lu 4932 fois