Procès Training Sandra Network : "Elle nous a vendu des rêves"


Sandra Faraire, grande prêtresse de Training Sandra Network. Charismatique, certains l'appelaient même "Divine" ou "Déesse" ont raconté des plaignants.
PAPEETE, le 18 octobre 2016 - Le tribunal correctionnel a renvoyé au 18 avril 2017, ce mardi, le procès en escroquerie visant Sandra Faraire, grande prêtresse de feue la société Training Sandra Network (TSN). S'inspirant du modèle économique de la vente pyramidale, illégal, TSN vendait à grand renfort de publicité, sur les réseaux sociaux notamment, de courtes formations en développement personnel promettant richesse et bien-être à ceux qui payaient pour les suivre. 48 plaignants se sont signalés mais les enquêteurs parlent de 6 000 victimes potentielles.


Poursuivies pour "escroquerie", "abus de confiance", "banqueroute" et "travail dissimulé", Sandra Faraire et deux de ses collaboratrices, Anouciatha Faoa et Heiata Huria, devaient être jugées ce mardi à l'audience du tribunal correctionnel de Papeete dans l'affaire de vente pyramidale TSN. Mais deux d'entre elles n'ayant pas encore d'avocats désignés, son président n'a eu d'autre choix que de renvoyer l'affaire en avril de l'année prochaine.

Une enquête préliminaire avait été ouverte début 2015 sur instruction du parquet de Papeete concernant des faits d’escroquerie présumés à l’encontre de la société SARL Training Sandra Network. A grand renfort de communication, notamment via Facebook, et de réunions d’information payantes, cette société installée à Tahiti depuis mai 2014 se vantait de dispenser des formations sur la réussite personnelle et financière, dont la finalité était de "devenir légalement riche", voire "ultra riche" en quelques mois seulement, pour reprendre les formules marketing utilisées par TSN.

Les investigations avaient été confiées à la brigade financière de la direction de la Sécurité publique (DSP), le procureur de la République soupçonnant les animateurs de cette société de se livrer à une arnaque de type pyramidale, promettant à leurs clients un retour sur investissement rapide moyennant un droit d’entrée de l'ordre de 30 000 Fcfp et une formation de quelques jours axée sur le développement personnel.

"Leur discours consiste à dire que pour cette somme, et à l’issue d’une courte formation, la clientèle pourra espérer un retour sur investissement de l’ordre de 500 000 Fcfp au bout de 6 mois, 1 million Fcfp au bout de un an", expliquait le commandant de police Heimana Besineau lors des prémices de l'enquête. "Si les clients estiment avoir été abusés, qu’ils n’hésitent pas à s’orienter vers la police ou la gendarmerie pour se signaler", poursuivait l'enquêteur.

Ne voyant pas l'argent promis revenir dans les délais, c'est ce qu'une cinquantaine d'entre eux avaient fini par faire, vite rejoints par leurs formateurs qui n'arrivaient pas, de leur côté, à se faire payer. Un nombre important de plaignants, la grande salle du palais de justice était bondée ce matin, mais finalement ridicule comparé aux 6 000 victimes potentielles du programme TSN.

Pendant plus d'un an, Training Sandra Network avait multiplié à un rythme effréné les sessions de recrutement clientèle à travers tous les archipels de la Polynésie française, jusqu'en Nouvelle-Calédonie sur la fin. Et pour cause : la vente pyramidale est une forme d'escroquerie dans laquelle le profit ne provient pas vraiment du succès du produit, mais du recrutement massif de nouveaux représentants payant leur droit d'entrée. Seuls les initiateurs du système en profitent en spoliant la base, jusqu'à l'explosion du modèle.

Sans actifs ni liquidités, la société liquidée fin 2015

C’est la très sérieuse Direction générale des affaires économiques du pays (DGAE) qui s'est trouvée à l’origine de l’ouverture de l'enquête dans ce dossier. Le service d'information des consommateurs polynésiens s'était inquiété auprès du parquet d’apprendre que la SARL Training Sandra Network (inscrite au registre du commerce, Ndlr) se vantait d’avoir obtenu son agrément pour se donner une légitimité, alors même que la DGAE ne délivre jamais de caution de ce genre.

En septembre 2015, c'est la CPS qui signait la fin de la récréation constatant plusieurs millions de francs de cotisations sociales impayées. Car TSN a compté jusqu'à plus d'une centaine "d'employés". Placée en redressement judiciaire, la SARL TSN, sans actifs ni liquidités, sera liquidée en octobre. Sandra Faraire, elle, était placée en garde à vue pendant 48 heures deux mois plus tard. 3,5 millions de francs avaient été saisis lors d'une perquisition au domicile de cette ancienne de la CPS, qui avait reconnu utiliser l'argent pour faire tourner sa "société" et assurer son train de vie.

Démarchage jusque dans les archipels, ouverture d’une salle de formation louée dans des bureaux neufs payés cash et rubis sur l’ongle, employés par dizaines, organisation de réunions d’information payantes sur ces formations miracles, la vitrine était trop belle. Un miroir aux alouettes sur lequel se sont potentiellement fracassés des milliers de polynésiens, sous le charme d'une patronne charismatique, Sandra Faraire, au discours séduisant et extrêmement bien rodé, habillé d'un décorum fastueux et de références bibliques promettant monts et merveilles à ceux qui voudrait bien répandre sa méthode ou lui confier leur argent pour investissements. Chaîne Youtube, montages photos sur internet mettant en scène des formateurs avec le créateur de Facebook Mark Zuckerberg, le tout servi à un public sous le charme d’un discours empreint de positivisme et aux allures de prêche, truffé de références à la foi, il n'en fallait pas plus pour séduire une armée de naïfs.

Sandra Faraire : "Je n'ai pas voulu faire de mal"

Présente à l'audience ce matin avec ses deux co-prévenues, celle qui a imaginé Training Sandra Network, Sandra Faraire, ne s'est pas démontée au moment de quitter le tribunal après l'annonce du renvoi de l'affaire. S'exprimant face caméra, en français et en tahitien, la vahine a assuré qu'elle travaillait au remboursement des personnes lésées et s'est défendue d'avoir manigancé une escroquerie :

"Je n'ai voulu faire de mal à quiconque, ce n'était pas intentionnel, je tiens à le dire publiquement et à m'excuser auprès de ceux que j'ai pu froisser. Il faut savoir que quand on monte une société ce n'est pas pour être pauvre, logiquement. Maintenant je me prépare pour le renvoi de l'affaire (le 18 avril 2017 devant le tribunal correctionnel, Ndlr). Le but c'est de rembourser tout le monde, on va travailler là-dessus. Je suis confiante, la TSN n'est pas la seule société dans cette situation. Merci à vous, et une excellente journée".

Dans une conversation sur Facebook avec une plaignante enregistrée une semaine avant l'audience d'hier au tribunal, Sandra Faraire poursuit sa fuite en avant et ses promesses de remboursement, "maximum d'ici juin 2017".

"On a été naïfs et stupides, c'est de la manipulation" confesse un plaignant

Léa Faatoa, plaignante et ancienne formatrice à TSN : "Nous avons perdu notre dignité, le moral, des mois de salaires, à travailler sans être payés ni déclarés à la CPS".
De nombreuses victimes de Sandra Faraire et de sa société de formation en réseau de marketing avaient fait le déplacement, ce mardi à l'audience du tribunal. Ils reviendront le 18 avril 2017, date à laquelle a été renvoyé le procès. Dans la salle des pas perdus, certaines d'entre elles ont accepté de revenir sur leur expérience malheureuse. Il y a ceux qui ont payé pour une formation qui ne leur aura servi à rien, ceux qui ont investi du temps et placé de l'argent en pure perte, et des formateurs qui ont cru comme les autres aux belles paroles de leur pseudo employeur. Avant de déchanter :

"Elle nous a vendu des rêves", peste Léa Faatoa, la seule du groupe à accepter de témoigner à visage découvert. "Tous les Polynésiens veulent réussir leur vie, ont un besoin financier. Nous avons perdu notre dignité, le moral, des mois de salaires, à travailler sans être payés ni déclarés à la CPS".

"Du coup, en tant que formateurs, nous avons nous même le sentiment d'avoir menti aux gens", renchérit une autre ex-formatrice. "On s'est excusé, les vrais amis sont restés, mais c'est dur. C'était beaucoup de développement personnel en réalité. La société était construite sur quatre valeurs : la bienveillance, la patience, l'enthousiasme et l'humilité. On y a cru. La légalité de la société était mise en avant. Naïfs et stupides comme nous l'étions, nous l'avons cru. On s'est aussi fait avoir par tout le décorum mis autour, il y avait une dynamique de groupe qui était géniale. Ce qui nous a attiré c'est que Sandra nous a laissé penser qu'elle aimait les petites gens, aux salaires modestes, ou qui n'avaient pas de travail, de bénir cette catégorie de la population. Il y avait aussi beaucoup de références à la religion et cela aussi c'était une arnaque. Parce que le Polynésien est pieux, les gens se sont précipités. C'est vraiment dommage car tout cela n'a rien avoir avec Dieu ou avec la Bible. C'est de la manipulation".

On l'appelait "Divine" ou "Déesse"

"Employés, on faisait notre travail avec cœur, on nous disait que la société était en règle", poursuit un troisième plaignant. "Ce n'est que des mois après qu'on a découvert que nos salaires n'étaient pas versés, qu'on n'était pas déclarés à la CPS, il a fallu que nous comprenions de nous-même que la situation était empoisonnée. C'était en janvier 2015. Rien de ce qui était dit n'avait été fait. C'est là qu'on a démissionné en avertissant l'inspection du travail des raisons de notre démission".

Et quand il s'agit de parler de Sandra Faraire, c'est à l'unisson que le petit groupe décrit une femme "à l’ego démesuré", qui "aime que les gens l'applaudissent sur scène". "Certains l'appelaient Divine, ou Déesse, la mettait sur un pied d'Estal. Elle a une voix très douce, jamais énervée, elle a du charisme tout simplement, et on a été naïfs. Quand on s'est rendu compte de l'arnaque, on a appelé nous même ceux à qui nous avions donné des formations pour nous excuser et expliquer que nous avions nous-mêmes été dupés. Elle manipule les gens. On est très peu à avoir porté plainte finalement. Je pense que beaucoup ont encore peur, ou honte".

Me Arcus Usang, avocat de l'une des victimes : "De l'abus de confiance"

-Quel est le profil de cette, chef d'entreprise dirons-nous…

Elle proposait à ses clients un tableau de placements financiers, portant parfois sur des sommes considérables, jusqu'à 25 millions de francs, avec des taux de rendement et de rémunération du capital très importants, de l'ordre de 15 à 20 %.

-Des taux évidemment très fantaisistes…

Fantaisistes oui, mais c'est surtout le capital apporté qui n'est pas près d'être représenté. D’où les poursuites pour abus de confiance aujourd'hui.

-Comment votre client est-il tombé dans le panneau et combien a-t-il perdu dans l'affaire ?

La technique était bien rodée. Mon client, sous prétexte d'une formation à réaliser, qu'il a aussi payée soit dit en passant, avait été sollicité à la fin de cette formation pour faire un placement financier. Il a placé 5,4 millions de francs exactement via TSN. Tout ce qu'il espère aujourd'hui, c'est retrouver a minima ce capital. Mais je crois qu'il a renoncé définitivement aux intérêts…

-Quelles explications lui avaient donné les prévenues pour justifier l'absence de retour sur investissement ?

Que l'argent est bien placé et qu'il faut attendre. Peut-être devra-t-il attendre toute sa vie…


Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 18 Octobre 2016 à 16:26 | Lu 9178 fois