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Probité : Le cas Puta’i Taa’e secoue le Tavini


Tahiti, le 14 septembre 2022 – L'adhésion au Tavini de l'ancien maire de Papara et élu Tapura de l'assemblée, Puta’i Taa’e, secoue le parti indépendantiste. L'accueil d'un élu condamné par un parti prônant la probité des responsables politiques dérange cadres et militants. Quand plusieurs responsables du parti, Oscar Temaru en tête, détournent les yeux du problème.
 
“Vous posez la question qui est sur toutes les lèvres. On a fait campagne là-dessus en 2018. Il y a même eu une marche. Et là, en 2023, on se remet en ordre de bataille avec de drôles de canassons.” Les propos sont tenus par un jeune cadre du Tavini huiraatira, toujours interloqué par l'arrivée de l'ancien maire de Papara et élu Tapura de l'assemblée, Puta'i Taa'e, au sein du parti indépendantiste. Et ils sont nombreux, depuis ce week-end, à exprimer leur mécontentement en interne au Tavini après cette curieuse annonce de ralliement.
 
Condamné en 2019 pour “prise illégale d'intérêt” et “abus de confiance”, Puta'i Taa'e a été démis de ses fonctions de tāvana pour avoir détourné l'argent public d'une association culturelle de sa commune afin de s'offrir des voyages aux États-Unis. Et il ne doit son maintien à l'assemblée comme représentant que grâce à une subtilité rédactionnelle du statut d'autonomie… Une situation pas vraiment conciliable avec l'image de probité et d'intégrité allègrement prônée ces dernières années par le Tavini huiraatira pour les élus polynésiens. Le député Moetai Brotherson a même fait de ce combat pour écarter de la vie publique tous les élus corrompus, l'un de ses principaux axes de campagne pour les législatives. Ceci sans oublier la fameuse marche du Tavini contre la corruption en 2018, lorsque les cadres du parti bleu ciel battaient le pavé et frappaient les casseroles en appelant à “dégager” tous les élus condamnés pour des atteintes à la probité.
 
“Je peux comprendre la réaction des militants”
 
C'est peu dire que la situation de Putai Taa'e gène au sein du Tavini. La secrétaire générale adjointe en charge de la jeunesse, Ella Tokoragi, concède : “Ça a secoué l'ensemble de nos militants et je pense notamment à la jeunesse.” Mais immédiatement pour tempérer par un “qui est-on pour juger ?”. Au sein des responsables du parti, on s'offusque plus ou moins ouvertement : “Ça paraît incongru et surprenant comme ralliement” ou encore “c’est simplement de l’opportunisme, je ne sais pas pourquoi on fait entrer des gens comme cela”. Chez les trois députés, on est également très mal à l'aise : “Moi-même j'ai eu des retours”, confirme Steve Chailloux, qui calme le jeu : “Je peux comprendre la réaction de ces militants qui se sentent mis de côté. Mais c'est une adhésion au parti politique. Il ne s'agit nullement de venir diriger des fédérations Tavini de Papara. Il ne s'agit pas de candidature aux territoriales.”
 
Même discours chez Temata'i Le Gayic, aux premières loges de cette adhésion ce week-end. Il estime “normal” l'émoi des militants, mais tient à rappeler que le couple Taa'e n'a fait “qu'adhérer au projet” du Tavini. “Nous ferons en sorte de ne pas mettre sur la prochaine liste des personnes qui ont eu des problèmes aux yeux de la loi”, assure le jeune député. Moetai Brotherson, enfin, est encore plus circonspect : “On ne peut pas empêcher quelqu'un d'adhérer au Tavini s'il en a envie. Par contre, l'une des conditions sine qua non pour être sur une liste électorale, c'est de ne pas être condamné.
 
“Tout est bon à prendre”
 
À la tête du parti –question de génération peut-être– on accepte beaucoup plus facilement le ralliement de l'élu condamné de Papara. “Tout est bon à prendre. Et puis, c'est avec ça qu'on se retrouve avec une majorité”, réagit avec légèreté Antony Géros, maire de Paea et numéro deux du Tavini. “Aucun parti qui se respecte ne va refuser l'approche de qui que ce soit.” Pour Oscar Temaru enfin, pas question de “juger” Puta'i Taa'e : “Ce n'est pas notre affaire. C'est à la justice de faire son travail. Je ne suis pas juge et je n'ai pas le droit de dire que toi tu ne peux pas venir chez nous.” Et même sur le fait de savoir si l'ancien tāvana de Papara pourrait se retrouver sur la liste des territoriales malgré son casier judiciaire, Oscar Temaru botte en touche : “Oh, ça c'est autre chose. C'est dans six mois.”
 

​Oscar Temaru, président du Tavini : “Je ne vais pas refuser, non ?”

L'adhésion de Puta'i Taa’e au Tavini a créé un émoi au sein du parti sur les questions de probité et d'intégrité. Qu'en pensez-vous ?
 
“Nous sommes toujours pour cela. S'il y a des gens qui ont à faire avec la justice, il faut que la justice fasse son boulot. Un point c'est tout. Il est venu me voir à la maison chez moi. J'étais surpris. Il m'a parlé de rejoindre le Tavini. Il a compris que notre peuple souhaite aller vers l'indépendance de notre pays et il souhaitait que je vienne à Papara parler devant son entourage. Et c'est ce que nous avons fait samedi. Je l'ai prévenu : Ce que tu es en train de faire, cela va faire boule de neige. Et c'est ce qui se passe.”
 
Mais c'est un élu condamné pour des atteintes à la probité ?
 
“Ceux qui ont à faire avec la justice, c'est leur "bin's". Ce n'est pas notre affaire. C'est à la justice de faire son travail. Je ne suis pas juge et je n'ai pas le droit de dire que toi tu ne peux pas venir chez nous parce que parce que… Non, non, non.”
 
Est-ce qu'on pourrait retrouver Puta'i Taa'e sur la liste aux territoriales ?
 
“Oh, ça c'est autre chose. C'est dans six mois. Et je ne sais pas si dans six mois je serai toujours là. (…) On n'a pas parlé de ça. On a parlé de l'avenir de notre pays. Il n'y a pas eu de marchandage.”
 
Vous pensez que son adhésion au Tavini est sincère ?
 
“Il a dit en tahitien que c'est le cœur qui parle. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il aime son pays. Et c'est cela la Polynésie profonde, qu'on le veuille ou non. C'est notre peuple ça, c'est notre nuna'a. Je ne vais pas refuser non ?”
 
Le Tavini est donc prêt à accueillir tout le monde, même ceux qui ont été condamnés pour abus de confiance et prise illégale d'intérêt ?
 
“Ceux qui aiment leur pays. Attention encore une fois, je crois que nous sommes dans un état de droit. Je ne suis pas procureur moi, pour juger qui que ce soit. Moi aussi je suis devant la justice, mais pour d'autres raisons.”
 
Une marche a été organisée en 2018 par le Tavini, et notamment par les jeunes, pour dire dehors aux élus corrompus, au moment où Puta’i Taa’e était poursuivi ?
 
“Oui, ça c'est une chose. Mais pour l'instant il est toujours à l'assemblée et on attend une décision de justice. S'il est toujours à l'assemblée, cela veut dire qu'il a toujours ses droits civiques. Il peut toujours être élu.”
 
Mais il a été déclaré inéligible et démissionné de son siège de tāvana ?
 
“De la mairie, peut-être, mais il est toujours à l'assemblée.”
 

Moetai Brotherson, député Tavini : "J'avoue avoir été surpris"

Le Tavini prône la probité et l'intégrité des élus, votre projet de loi demande d'écarter les élus condamnés ou qui changent de partis en cours de mandat. Comment concilier cette position avec l'entrée de Putai Taae au sein du parti indépendantiste ?
 
"J'ai appris par la presse l'adhésion de l'ex-maire de Papara au Tavini. J'avoue avoir été surpris, mais je peux comprendre le point de vue de Putai, lorsqu'il dit que le fait de se rapprocher du Tavini est une volonté de sa population. J'ai vu les arguments qui ont été développé par les uns et les autres. Qu'il veuille se rapprocher du Tavini, pourquoi pas. Si c'est pour de bonnes raisons. Maintenant, mon sentiment et ma conviction sont que, sur une liste électorale, du Tavini notamment, ne devraient pas figurer des gens condamnés."
 
Après votre victoire lors des législatives et à l'approche des territoriales, est-ce qu'on pourrait parler d'opportunisme du Tavini d'accueillir Putai Taae et inversement pour lui ?
 
"Je ne connais pas suffisamment Putai pour émettre un diagnostic. Mais ce qui est sûr, c'est que depuis notre victoire nous avons eu beaucoup de sollicitations. Ensuite, après avoir discuté avec le maire de Tautira, monsieur Hamblin, je n'ai aucun doute sur la profondeur des convictions et sur la sincérité du rapprochement de Putai Taae au Tavini. Certes, il n'a pas tout à fait le même dossier. En revanche, est-ce qu'il se rapproche du Tavini pour profiter de la situation au vu des territoriales ? Je n'en sais rien."
 
Tony Geros nous dit que "tout est bon à prendre" pour constituer une majorité. Est-ce que ça veut dire que les adhésions de quiconque, même condamné, valent le coup tant qu'il y a une victoire ?
 
"Je ne suis pas de cet avis. Je pense qu'on ne peut pas empêcher quelqu'un d'adhérer au Tavini s'il en a envie. Par contre, l'une des conditions sine qua non pour être sur une liste électorale, c'est de ne pas être condamné."
 
Où en est votre proposition de loi vis-à-vis des élus condamnés ?
 
"Il faut savoir que la mandature reprend actuellement sur les chapeaux de roue. (…) Pour l'instant, cette proposition de loi n'est pas sur le radar immédiat, mais cela ne veut pas dire qu'elle est oubliée. Elle sera terminée certainement dans le courant de 2023. Elle a été présentée et renvoyée en commission."
 
Si le président du Tavini tient à mettre Putai Taae sur sa liste, comment réagirez-vous ?
"Je pense qu'il faudra d'abord en discuter, mais on verra en temps voulu. Mais en général il m'écoute."
 

​Ella Tokoragi, SGA en charge de la jeunesse au Tavini : “Il a peut-être envie de se racheter”

L'arrivée de Puta’i Taa’e au Tavini vous a-t-elle surprise ?
 
“L'intégration de Puta’i dans les rangs du Tavini a secoué l’ensemble de nos militants. Et je pense notamment à la jeunesse, en tant que secrétaire générale adjointe en charge de la jeunesse, qui essaie de redorer le blason de ces élus corrompus. Nous ce qu’on veut c’est la reprise de la confiance de notre jeunesse envers le politique. C'est vrai qu’on a marché avec nos casseroles en 2018 contre la corruption de nos élus et contre ce système qui permet à ces élus de se maintenir en place. C’est ce système colonial qui fait que nos élus sont encore en place et sur l’échiquier politique. C'est vrai aussi que cela m’a un peu chagriné de voir Puta’i rejoindre nos rangs. Mais en même temps, avec du recul, ça m’a permis de réfléchir et de mettre les petites choses en place. Dieu seul jugera et on n'a nullement, nous simples hommes, à juger qui que ce soit.”
 
En intégrant Puta’i Taa’e, le Tavini cautionne ce système que vous dénoncez ?
 
 
"Le système colonial imposé par les colons permet à ces mêmes élus corrompus de rester sur l’échiquier politique. Ils sont condamnés et sont encore en train de siéger au sein de l’assemblée. On condamne monsieur Temaru et il est éjecté comme un malpropre. Il y a deux systèmes différents. Un pour celui qui dérange et puis un autre pour un petit nounours de Papara qui ne dérange personne et donc on va le garder à l'assemblée… Non, en reprenant Puta’i en toute humilité et en toute sagesse, on accueille un homme comme un autre. Il a payé. Il paie sa dette au Pays et à l’État. Mais au-delà, c’est un homme comme un autre qui a peut-être envie de se racheter, qui a peut-être compris ce que c’est que le ti'amara'a et qui, au final, a décidé du jour au lendemain de soutenir notre action.”
 
Il a compris le ti'amara'a car les trois députés sont Tavini et que bientôt il y a les territoriales ?
 
“C’est ce que tout le monde se dit au sein du Tavini. Et je suis d’accord avec ça. Mais au-delà de tout ça, il faut bien qu’un jour le nuna'a, même celui qui est le plus paumé du fenua, se réveille. Peu importe les bêtises qu’ils font un jour ils vont trouver la lumière. Et Puta'i a trouvé la lumière aujourd’hui.”
 
Y a-t-il aussi une aubaine politique pour le Tavini à récupérer un élu ?
 
“Une aubaine, non. Ce n’est pas comme cela qui faut voir les choses. Ce n’est pas le premier tāvana qui rejoindra le Tavini. Et ce ne sera pas le dernier avant les échéances de l’année prochaine.”
 

Heimata Estall, SGA en charge des tomite oire : “Nous laisserons toujours notre porte ouverte”

L'adhésion de Puta’i Taa’e a créé beaucoup d'émoi ce week-end au Tavini ?

“Il y a effectivement un sentiment d'insatisfaction venant des uns et des autres. Il faut savoir qu'au niveau du Tavini Huiraatira, on a toujours dénoncé ces manques de probité, de transparence. En tant que secrétaire générale adjointe en charge des tomite, je peux dire qu'il peut y avoir des émotions que je peux comprendre. Mais, qui sommes-nous pour jeter la première pierre ? S'il y a une volonté de monsieur d'intégrer le Tavini pour des raisons qui lui appartiennent, nous laisserons toujours notre porte ouverte. Il faut qu'à un moment donné, on puisse se rassembler. Qu'est-ce qu'on fait pour notre pays, au-delà de toutes ces condamnations ? (…)”
 
C'est quand même en contradiction complète avec vos actions contre la corruption des élus ?
 
“Je ne porterai pas de jugement sur ça et ce n'est pas ce que j'ai dit. Nous nous sommes levés pour condamner tous ces comportements politiques. Il y a eu des condamnations effectivement, mais ces condamnés sont encore là. Pour pousser plus loin la réflexion, je dirais que la loi protège ces hommes politiques. […] C'est vrai qu'on a marché et que je condamne ce type de personnes, mais je ne peux pas parler au nom du parti. Même si pour moi c'est condamnable et que ces condamnés ne devraient pouvoir se présenter sur une liste. Si Puta’i Taa’e est présent sur la liste, nous verrons ce que nous ferons en temps et en heure."
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 14 Septembre 2022 à 22:17 | Lu 5042 fois