Presqu'île : Un trafic de pakalolo à 110 millions de francs à la barre


Selon les calculs des enquêteurs, 14 000 pieds de pakalolo auraient été élevés et écoulés par les deux producteurs et leurs complices, générant 110 millions de francs de revenus.
PAPEETE, le 2 mai 2017 - Vingt prévenus comparaissent depuis ce mardi devant le tribunal correctionnel pour un vaste trafic familial de produits stupéfiants impliquant un oncle et son neveu, deux présumés gros producteurs de pakalolo originaires de la Presqu'île.


Les chiffres avancés par l'accusation ont de quoi donner le tournis : 14 000 pieds de pakalolo écoulés entre 2007 et 2012, pour un bénéfice estimé à 110 millions de francs pacifiques. Les deux principaux prévenus, un oncle et son neveu, sont soupçonnés d'avoir mis en place une production quasi industrielle de cannabis, de l'élevage au conditionnement des plantes jusqu'au convoyage "sécurisé" des commandes passées par les clients, des grossistes et semi-grossistes de Papeete.

Sans parler de go fast comme on peut en voir en métropole, les deux producteurs confiaient à des complices, et parfois même à leurs compagnes, la mission de partir en éclaireur sur la route pour s'assurer qu'aucun gendarme ne viennent contrarier leurs plans en interceptant la marchandise filant vers la capitale.

Les pieds de pakalolo étaient vendus en pot, de 5 000 à 15 000 francs selon la vigueur des plants. Verts, ou séchés. Mais aussi conditionnés dans les traditionnelles boîtes d'allumettes ou dans les boîtes d'ice cream pour les commandes moyennes, et enfin en vrac dans des sacs-poubelles pour les grosses transactions dont certaines pouvaient atteindre les 500 000 francs l'unité.

De recoupements d'informations en filatures et autres écoutes téléphoniques, les gendarmes de la brigade de recherches avaient fait tomber toute l'organisation en juin 2012. Les perquisitions menées chez les deux producteurs, qui cultivaient chacun de leur côté, l'un à Vairao l'autre dans le delta d'une rivière reculée du Fenua Eichere, avaient permis de découvrir plus de 3 000 plants d'un coup. On leur reproche trois à quatre cultures de cet ordre par an. Des chiffres largement contestés ce mardi au premier jour d'audience par des mis en cause cherchant à tout prix à minimiser l'ampleur du trafic qui leur vaut ce renvoi collectif devant le tribunal correctionnel.

Des trous de mémoire

"Je pense que les gendarmes ont compté des pots où les pieds avaient été coupés avant, il n’y avait pas beaucoup de grands plants", avance l'aîné des producteurs qui reconnaît du bout des lèvres quelques récoltes mais "jamais plus de 200 ou 300 pieds" à la fois. Depuis 2009, le trafic lui aurait rapporté 4 ou 5 millions de francs, peut-être 9, mais pas plus assure-t-il. Appelée à son tour à la barre, la compagne du plus jeune pakaculteur perd son calme, accuse le procureur de la République de "raconter n'importe quoi", "d'emmerder les petits juste pour une histoire de drogue". On est à deux doigts de l'outrage. Pour elle aussi, pas question de tomber d'accord sur ces milliers de plants évoqués par l'accusation : "Ils ont compté les boutures aussi, tout ne pousse pas, il y a 20 % de réussite, le reste meurt ! Mais automatiquement, pour le juge, on en planterait 1 000 et quelques pieds tous les mois !".

Son compagnon emboite la même ligne de défense : "Les chiffres sont exagérés, il y avait une quarantaine de plants adultes, le reste c'était des petites boutures, sans racines, il y a une forte mortalité". "C'était juste pour la déco ? Vous comptiez en faire quoi ?", recadre le président Martin, rappelant aux prévenus les déclarations beaucoup plus circonstanciées des uns et des autres pendant le temps de la garde à vue, puis dans le bureau du juge d'instruction.

Celles de l'un des trois jardiniers qui travaillaient sur les plantations par exemple. Et qui avait raconté aux enquêteurs ces trois à quatre récoltes annuelles de 800 pieds à chaque fois. Embarrassé à la barre devant ses anciens patrons qui l'écoutent, il jure avoir tenu ces propos, mensongers, "sous la menace des gendarmes de Taravao". Sans convaincre : "Comment avez-vous pu donner autant de détails dans ce que vous avez déclaré, y compris sur les transactions, et nous dire aujourd'hui que tout est faux !", tance le parquet. "Je ne sais pas…".

Lourdes peines encourues

L'un des principaux acheteurs des deux producteurs, un grossiste de Titioro, a lui aussi la mémoire qui flanche. Il reconnait aujourd'hui huit transactions en tout et pour tout sur une période de deux ans après avoir admis pendant l'enquête "faire affaire toutes les deux semaines" avec ses fournisseurs. Lui, achetait la drogue par kilos entiers dans des sacs-poubelles, des transactions parfois proches du million de francs par livraison. Il est aussi suspecté de blanchiment. 142 kilos de perles d'origine inconnue avaient été saisies au domicile de cet amateur de jeux de hasard et de combats de coq, sans revenus déclarés ni activité professionnelle.

Les quantités présumées de pakalolo écoulées sur la période visée par la procédure et les bénéfices qui ont pu en être retirés tranchent, en revanche, avec le train de vie des mis en cause. Comme l'a souligné le président du tribunal : "La situation patrimoniale des prévenus n'est pas extraordinaire, il n'y a pas énormément d'argent sur les comptes bancaires, pas de maisons ni de voitures de luxe". Discrets et peu bavards sur la question, les deux producteurs ont simplement laissé entendre qu'ils n'en auraient retiré que de quoi assurer les dépenses de tous les jours. "C'était pour avoir de l'argent, pour gagner notre vie, aider la famille", lance la femme, complice, de l'un des deux hommes. "C'est dur de trouver du travail, je ne cache pas que c'était aussi la facilité. On savait qu'on allait se faire attraper, on a pris le risque et on le paie aujourd'hui".

Le procès se poursuit mercredi. Les vingt prévenus comparaissent libres. Neuf mandats de dépôts et de lourdes peines de prison ferme avaient été prononcés dans un dossier de trafic de pakalolo du même ordre, jugé il y a un peu plus de deux semaines par ce même tribunal correctionnel.


Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 2 Mai 2017 à 18:09 | Lu 9759 fois