La pieuvre polynésienne a la tête tournée vers l'Est. Ses huit tentacules unissent les îles autour de Taputapuatea.
PAPEETE, le 25 aout 2015 - La pieuvre, fe'e, feke, heke ou 'eke dans les langues du Triangle polynésien, est bien plus qu'un simple fruit de mer dans la culture de nos archipels. C'est le symbole du lien qui unit toutes les îles entre elles, et ce lien apparait dans nos langues aux endroits les plus surprenants.
Edgar Tetahiotupa est instituteur de formation, docteur en anthropologie, expert en langues polynésiennes à la DGEE et auteur de livres et d'articles de référence sur le sens des mots polynésiens et les symboles qu'ils renferment. Cet article est inspiré de son travail publié dans le livre "au gré des vents et des courants, l’histoire surprenante d’une anguille". Mais au lieu de parler de l'anguille, nous nous attardons sur la pieuvre, te fe'e. Cet animal gluant, et donc glissant, qui s'échappe facilement quand on essaye de le capturer mais qui peut s'attacher très fortement, était l'un des emblèmes de la navigation aux temps anciens. La pieuvre est aussi le plus important animal cité dans le mythe polynésien de la création du monde.
LA PIEUVRE EST UNE PIROGUE
Chez les Polynésiens la mer n’a jamais été un obstacle. Terre et mer sont un continuum, grâce à la pirogue qui servait à relier les îles. Et c'est la pieuvre qui fut utilisée pour symboliser ce lien. Une pieuvre se dit fe’e en tahitien, feke ou heke en marquisien, et enfin ’eke en langue des îles Cook et en pa’umotu. Mais les mots polynésiens ont souvent un sens symbolique bien plus profond que leur simple usage courant, et la pieuvre va se retrouver dans la pirogue et dans le voyage qui unit les îles.
D'abord le lien le plus évident : la pieuvre est un vaisseau, un navire. C'est ainsi que ’eke se retrouve dans eke (sans la glottale), utilisé comme synonyme de haveke. Et eke / haveke est une pirogue, comme en témoignait déjà le linguiste américain F. Stimson dans les années 1930. "Haveke : petite pirogue transportant une ou quelques personnes, utilisée pour la pêche, pour des activités quotidiennes." Les travaux de ce linguiste sont largement utilisés dans le reste de cet article.
LA PIEUVRE EST UN VOYAGE EN MER
En marquisien heke est donc le poulpe, mais est aussi le verbe "glisser", dans le sens d'un déplacement facile : aller du haut d'une vallée en direction du rivage, naviguer en mer vent arrière ou en suivant les courants, étant entendu que la plupart du temps c’est un courant et un vent d’Est.
En pa’umotu, on trouve des définitions identiques : se rendre dans un village qui se trouve à l’ouest, c’est heke, c’est-à-dire descendre (haere ki raro). Les îles Tenararo, Maruteararo, Amanuraro sont d'ailleurs des îles qui se trouvent i raro, donc en bas (à l'Ouest). Elles s'opposent à Tenarunga, Marutearunga et Amanurunga qui se trouvent i runga, en haut (donc à l’Est).Dans cette même langue, hakaheke, c’est aller en bateau, émigrer, mettre la voile, ou être porté par le vent. Hekeheke ou paheke, c’est naviguer vent arrière.
LA PIEUVRE EST LE LIEN ENTRE LES POLYNÉSIENS
La pieuvre est donc la pirogue et le voyage, dans le sens où ils servent de lien entre les îles. Elle représente ces expéditions commerciales ou diplomatiques qui profitent d'un vent favorable, ou ces grandes migrations à la recherche d'une nouvelle terre. Une relation à longue distance là encore révélée dans le sens des mots.
Les tentacules du poulpe se disent aveave, ils sont au nombre de huit. Ils symbolisent le lien, rendu par ave (filament). Les huit tentacules de la pieuvre sont les huit itinéraires qui permettent de relier toutes les îles de la Polynésie à Taputapuatea, à Raiatea. Cette idée se retrouve aussi dans le terme ava qui désigne une passe ou un passage, et ara qui signifie chemin, voie. Ava ou ara sont les voies navigables symbolisées par les tentacules du poulpe.
Mais ça va encore plus loin, puisque la pieuvre/pirogue se dit aussi kanoe en pa’umotu. Il semble donc y avoir une proximité linguistique avec canoë en français ou canoe en anglais, alors que les mots européens ont été empruntés à une langue amérindienne des Antilles. L'origine de cette connexion entre les océans Pacifique et Atlantique se perd dans les limbes des origines sémantiques des mots, mais dans ce cas comme dans tant d'autres, la langue nous donne un indice sur les liens qui existaient sans doute entre ces grands navigateurs qu'étaient nos ancêtres et tous les autres peuples du Pacifique. Jusqu'aux Indiens d'Amérique, pourtant situés tout en haut (donc à l'Est, si vous avez bien suivi) de la Pieuvre polynésienne.
Edgar Tetahiotupa est instituteur de formation, docteur en anthropologie, expert en langues polynésiennes à la DGEE et auteur de livres et d'articles de référence sur le sens des mots polynésiens et les symboles qu'ils renferment. Cet article est inspiré de son travail publié dans le livre "au gré des vents et des courants, l’histoire surprenante d’une anguille". Mais au lieu de parler de l'anguille, nous nous attardons sur la pieuvre, te fe'e. Cet animal gluant, et donc glissant, qui s'échappe facilement quand on essaye de le capturer mais qui peut s'attacher très fortement, était l'un des emblèmes de la navigation aux temps anciens. La pieuvre est aussi le plus important animal cité dans le mythe polynésien de la création du monde.
LA PIEUVRE EST UNE PIROGUE
Chez les Polynésiens la mer n’a jamais été un obstacle. Terre et mer sont un continuum, grâce à la pirogue qui servait à relier les îles. Et c'est la pieuvre qui fut utilisée pour symboliser ce lien. Une pieuvre se dit fe’e en tahitien, feke ou heke en marquisien, et enfin ’eke en langue des îles Cook et en pa’umotu. Mais les mots polynésiens ont souvent un sens symbolique bien plus profond que leur simple usage courant, et la pieuvre va se retrouver dans la pirogue et dans le voyage qui unit les îles.
D'abord le lien le plus évident : la pieuvre est un vaisseau, un navire. C'est ainsi que ’eke se retrouve dans eke (sans la glottale), utilisé comme synonyme de haveke. Et eke / haveke est une pirogue, comme en témoignait déjà le linguiste américain F. Stimson dans les années 1930. "Haveke : petite pirogue transportant une ou quelques personnes, utilisée pour la pêche, pour des activités quotidiennes." Les travaux de ce linguiste sont largement utilisés dans le reste de cet article.
LA PIEUVRE EST UN VOYAGE EN MER
En marquisien heke est donc le poulpe, mais est aussi le verbe "glisser", dans le sens d'un déplacement facile : aller du haut d'une vallée en direction du rivage, naviguer en mer vent arrière ou en suivant les courants, étant entendu que la plupart du temps c’est un courant et un vent d’Est.
En pa’umotu, on trouve des définitions identiques : se rendre dans un village qui se trouve à l’ouest, c’est heke, c’est-à-dire descendre (haere ki raro). Les îles Tenararo, Maruteararo, Amanuraro sont d'ailleurs des îles qui se trouvent i raro, donc en bas (à l'Ouest). Elles s'opposent à Tenarunga, Marutearunga et Amanurunga qui se trouvent i runga, en haut (donc à l’Est).Dans cette même langue, hakaheke, c’est aller en bateau, émigrer, mettre la voile, ou être porté par le vent. Hekeheke ou paheke, c’est naviguer vent arrière.
LA PIEUVRE EST LE LIEN ENTRE LES POLYNÉSIENS
La pieuvre est donc la pirogue et le voyage, dans le sens où ils servent de lien entre les îles. Elle représente ces expéditions commerciales ou diplomatiques qui profitent d'un vent favorable, ou ces grandes migrations à la recherche d'une nouvelle terre. Une relation à longue distance là encore révélée dans le sens des mots.
Les tentacules du poulpe se disent aveave, ils sont au nombre de huit. Ils symbolisent le lien, rendu par ave (filament). Les huit tentacules de la pieuvre sont les huit itinéraires qui permettent de relier toutes les îles de la Polynésie à Taputapuatea, à Raiatea. Cette idée se retrouve aussi dans le terme ava qui désigne une passe ou un passage, et ara qui signifie chemin, voie. Ava ou ara sont les voies navigables symbolisées par les tentacules du poulpe.
Mais ça va encore plus loin, puisque la pieuvre/pirogue se dit aussi kanoe en pa’umotu. Il semble donc y avoir une proximité linguistique avec canoë en français ou canoe en anglais, alors que les mots européens ont été empruntés à une langue amérindienne des Antilles. L'origine de cette connexion entre les océans Pacifique et Atlantique se perd dans les limbes des origines sémantiques des mots, mais dans ce cas comme dans tant d'autres, la langue nous donne un indice sur les liens qui existaient sans doute entre ces grands navigateurs qu'étaient nos ancêtres et tous les autres peuples du Pacifique. Jusqu'aux Indiens d'Amérique, pourtant situés tout en haut (donc à l'Est, si vous avez bien suivi) de la Pieuvre polynésienne.
"au gré des vents et des courants, l’histoire surprenante d’une anguille"
Le livre d'Edgar Tetahiotupa aborde ces concepts plus en profondeurs et avec bien plus de rigueur académique que les interprétations que nous en faisons. Il est disponible dans toutes les librairies de Polynésie.
Le livre d'Edgar Tetahiotupa aborde ces concepts plus en profondeurs et avec bien plus de rigueur académique que les interprétations que nous en faisons. Il est disponible dans toutes les librairies de Polynésie.