Portrait: Amputé d'une jambe il y a 20 ans, Lucien a su faire face


Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, elle sait se montrer dure

Lucien Rosin avait une vie toute tracée. Il était marié, élevait les enfants de sa femme comme les siens et avait un bon job dans l’entreprise Tahiti Agrégats. En bon gaillard, il faisait plusieurs sports.
Un jour, alors qu’il travaillait dans la vallée de la Punaruu, un bulldozer lui est tombé dessus.
S’en suivra 3 jours de coma et une amputation de la jambe gauche afin d’éviter une gangrène.

Lucien va rester deux mois et demi à l’hôpital, un mois et demi à Tetiare. Il n’a pourtant pas vu le temps passer. Sa convalescence chez lui fut plus difficile à vivre. Sa femme partant travailler, il restait seul face à ses incapacités physiques. Une dure réalité qu’il fuyait grâce à la lecture. Lui qui n’avait jamais le temps de lire dans sa "vie passée", il dévorait désormais chaque livre qui lui passait sous sa main.

Il n’a pas rencontré de souci particulier pour sa rééducation, elle s’est faite naturellement. Il faut dire que depuis son amputation, Lucien n’avait qu’un objectif : se remettre debout. Il comptait bien remarcher un jour, coûte que coûte. Fauteuil roulant, béquilles, Lucien a franchi les différentes étapes sans fléchir. Et un jour, enfin, avec une prothèse provisoire, Lucien a, pour la deuxième fois, fait ses premiers et a ressenti toute l’intensité du moment.

Huit mois après son accident, Lucien a pu réintégrer Tahiti Agrégats où son patron lui avait aménagé un nouveau poste et de nouvelles fonctions.

On pourrait croire que Lucien avait traversé le pire. Pas tout à fait. Jusque-là il avait lutté pour être de nouveau debout et il avait réussi. Cependant il ne retrouvait pas ses marques. Malgré tous ses efforts, sa vie d’avant lui échappait encore. Sa relation avec les autres avait changé, il ne supportait qu’on le materne. En outre, il chutait souvent à cause de sa prothèse et commençait à ressentir le poids de la honte. Il était découragé, fatigué de se battre alors que le combat semblait perdu d’avance. Il traversa plusieurs dépressions.

Un jour, il décida de se ressaisir. Il eut alors envie de reprendre la rame, comme un besoin de montrer à tous, et à lui-même d’abord, que la volonté peut suppléer toute déficience physique. Il lança une demande de sponsors et Tahiti Agrégats a répondu immédiatement. L’entreprise a tenu à l’aider dans sa quête d’une nouvelle vie et lui a offert un va’a ho’e. Lucien a ramé, au sens propre cette fois-ci, après avoir expérimenté le sens figuré pendant des années.

En 2000, Pacific Ortho, qui avait appareillé Lucien, lui propose de travailler chez eux. Un véritable nouveau départ. Lucien a commencé comme gérant de stock et aujourd’hui il est spécialisé dans la vente des fauteuils roulants. Il détermine avec la personne handicapée le type de fauteuil qui convient le mieux suivant le handicap, l’environnement et les activités. Mais Lucien va au-delà d’un simple conseil car, pour certains, acheter un fauteuil n’est pas simple. Derrière cet achat, il y a tout un vécu et de grosses souffrances. Lucien qui a connu les "deux mondes" est le mieux placé pour comprendre cette détresse.

L’année dernière, Lucien a créé l’antenne A.D.E.P.A., l’Association de Défense et Etude des Personnes Amputées, en Polynésie. Par son expérience, il connait les difficultés à traverser.
Ces personnes viennent de vivre un drame et ont besoin d’une approche psychologique spécifique. Or souvent l’administration ne voit, dans leur histoire, qu’un coût financier puisqu’une prothèse, comme celle de Lucien, coûte environ deux millions. Et les patients ont 30% de reste à charge. Un montant trop élevé pour certains qui renoncent à se faire appareiller. Pourtant, entre nous, deux millions une vie, c’est peu cher payé, non ?

Le meilleur exemple est Lucien. Aujourd’hui il travaille et paie des cotisations comme tout le monde. Sa prothèse fait qu’il n’est plus une charge pour la société. Bien au contraire, Lucien a su se servir de son histoire pour repérer et proposer des solutions quant aux manquements de notre système.
De plus, c’est un grand-père épanoui qui prend son rôle très au sérieux. Il récupère fièrement ses mo’otua à la sortie des classes. Et chez lui, il continue, seul, ses travaux de bricolage.

Aujourd’hui, cela fait 20 ans exactement que Lucien a eu son accident. Un anniversaire difficile à fêter. Pourtant Lucien n’a aucun regret. Il se dit grandi de cette expérience. "Il ne faut jamais renoncer. Dans la vie, il y a des hauts et des bas, chez nous il y a plus de bas. (Rires). Mais ça nous apprend à relever la tête."

Grâce à l’amour inconditionnel de sa femme et à une volonté de fer, Lucien a fait preuve d’un courage remarquable. Le chemin qu’il a parcouru ferait rougir plusieurs "normaux".

Rédigé par Nathalie Heirani Salmon le Lundi 22 Juillet 2013 à 10:49 | Lu 3785 fois