Port de pêche de Papeete : Une gestion “structurellement déficitaire”


Tahiti, le 10 janvier 2024 - La Chambre territoriale des comptes consacre son premier rapport d’observations définitives à la gestion de la société d’économie mixte Port de pêche de Papeete durant les exercices 2017 à 2021. Une SEM à la gestion “structurellement déficitaire”.
 
La société d’économie mixte Port de pêche de Papeete (S3P) est détenue majoritairement par le Pays. Elle se charge de la gestion des quais de Fare Ute, des locaux de mareyage et de la tour à glace sur la base de conventions d’affermage conclues avec la Polynésie française et avec l’Épic Port autonome de Papeete.
 
Cette société d’économie mixte développe un résultat comptable en dents de scie avec un chiffre d’affaires annuel moyen de l’ordre de 227 millions de francs entre 2017 et 2021. Les recettes de la S3P sont à 92% liées aux produits d’exploitation. Les charges à 55% “autres achats externes” et à 31% des charges de personnel, qui sont en moyenne de 76 millions de francs par an sur la période d’observation. Elle compte 15 agents en CDD dont les contrats avaient été transférés à la S3P par la CCISM, gestionnaire du Port de pêche avant que la convention d’affermage ne soit donnée à la société d’économie mixte.
 
“Comme déjà évoqué dans le précédent rapport de la chambre, l’exploitation courante de la S3P apparaît structurellement déficitaire”, constate la Chambre territoriale des comptes (CTC) dans le rapport d’observations définitives sur la gestion de la S3P durant les exercices 2017 à 2021 : “Augmentation constante de ses charges d’exploitation en raison notamment de la dégradation récurrente de ses équipements (tour à glace principalement) et de l’inflation du coût des services nécessaires à son fonctionnement (électricité, eau, déchets), qui s’oppose en matière de recettes à un défaut crucial de maîtrise du niveau de ses tarifs réglementés par le Port autonome de Papeete ou le Pays”. À quoi on peut ajouter un important niveau de créances impayées de la part des usagers et un déficit de contrôle des encaissements (voir encadré).
 
Résultat, les comptes de la SEM sont soutenus par les deniers publics. Sur la période examinée, le résultat d’exploitation courant a été négatif en 2017 (-10,9 millions de francs), 2019 (-0,6 million) et 2021 (-16 millions). Si pour les exercices 2018 et 2020, la S3P a pu dégager un résultat positif, c’est uniquement à la faveur du versement d’une subvention du Pays. “Les comptes provisoires 2022 confirment cette situation, avec un résultat d’exploitation courant qui serait d’un peu plus de 4 millions de francs quand la subvention d’exploitation du Pays enregistrée pour cet exercice est de 25 millions.”
 
Échec du plan de redressement
 
Un plan de redressement avait été décidé par la direction de la SEM en 2017. Mais “les mesures préconisées, retardées dans le temps, n’ont pas abouti aux résultats escomptés et n’ont dès lors pas suffi pour que la S3P retrouve un équilibre financier issu de ses seules ressources propres, d’autant plus que les charges de structure n’ont cessé de croître depuis la reprise d’après-crise sanitaire”, constate la CTC. Une série de mesures, dans le cadre de ce plan de redressement sur la période 2017 à 2021, devait permettre à la S3P de retrouver un équilibre financier. Ce plan de redressement comportait, outre une proposition d’augmentation et de nouvelle répartition du capital, également des mesures, tant en matière d’augmentation des produits qu’en matière de réduction des charges. Il a été basé sur une baisse de l’activité de 10% en 2017 par rapport à 2016, puis une augmentation graduelle de 5% par an pour les exercices suivants. Enfin, et en raison d’encours importants sur des navires en activité ou hors service, le travail de recouvrement des créances douteuses, sur contentieux, avait également été signalé comme indispensable.

Mais eu égard à la progression de l’activité du Port de pêche, et en dépit des conséquences de la crise sanitaire, le chiffre d’affaires réalisé par la S3P sur la période a été, le plus souvent, bien inférieur aux prévisions du plan de redressement, déplore la CTC.

Petites magouilles dans la vente de glace
 
Le commissaire aux comptes de la SEM Port de pêche de Papeete (S3P) ne cessait, dans chacun de ses rapports, de formuler des réserves sur l’exhaustivité du chiffre d’affaires issu de l’activité de vente de glace en raison du manque de fiabilité des outils de contrôle en place.
 
Une surveillance a donc été mise en place, au moyen des caméras de contrôle installées à la tour à glace. Elle a permis d’établir, en mars 2022, que le nombre de factures journalières émises pour la vente de glace était largement inférieur au nombre de clients comptabilisés dans le cadre du contrôle par vidéosurveillance. Sur 189 clients recensés durant onze journées de travail, seules 101 factures ont été émises, soit 53% de taux de facturation. La S3P n’a toutefois pas été en mesure d’évaluer le montant des pertes estimées. Mais la direction de la S3P en a déduit que soit les agents ne facturaient pas l’ensemble des clients, soit que les fonds avaient été détournés. Dans le doute, la SEM n’a pas engagé de procédure de licenciement, mais un accord pour la démission des deux agents impliqués a été conclu en avril 2022. Ils avaient vingt ans d'ancienneté.
 
Le directeur général de la société s’appuie désormais sur le responsable d’exploitation pour procéder au contrôle du service et de la recette de l’activité de vente de glace, suite à la récente nomination de deux nouveaux agents affectés au service de glace et la mise en place d’une caméra de surveillance.
 
Reste que sur la période d’observation de la Chambre territoriale des compte, l’activité de vente de glace représente une recette annuelle moyenne de 65,3 millions de francs et représente bon an mal an autour de 30% du chiffre d’affaires de la SEM. Après une année record en 2019 (77 millions), les recettes de la vente de glace n’ont cessé de chuter jusqu’en 2022 : 66 millions en 2020 ; 61,2 millions en 2021 ; 59,1 millions en 2022. Une chute des recettes alors que dans le même temps, l’activité hauturière était en plein boom, à en croire les volumes de poissons qui ont transité par le port de pêche : 4 733 tonnes en 2020 ; 5 938 tonnes en 2021 ; 6 810 tonnes en 2022.

La comptable remplaçante se sert dans la caisse
 
En juin 2019, la comptable titulaire de la société du Port de pêche a constaté des incohérences entre les écritures comptables et les dépôts. Cette situation a été établie, à son retour de congé, durant lequel elle a été remplacée par une agente non titulaire. Il s’est avéré qu’entre le 27 novembre 2018 et le 18 avril 2019, l’agente recrutée en contrat à durée déterminée (CDD) en qualité de comptable remplaçante a détourné les recettes de la société à hauteur de 1 785 426 francs ainsi que des chèques en les utilisant à des fins personnelles, à hauteur de 136 530 francs.
 
Par jugement du tribunal correctionnel du 16 mars 2021, l’agente intérimaire a été déclarée coupable des faits reprochés et condamnée notamment à “réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l’infraction” et à l’interdiction d’exercer la profession de comptable pour une durée de cinq ans. Bien qu’un projet de reconnaissance de dette et de son étalement sur six mois (entre février et juillet 2022) ait été établi, l’intéressée n’a pas souhaité y donner suite. La direction générale de la S3P a indiqué que son suivi est assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Polynésie française et qu’elle a versé, à ce jour, un seul acompte de 15 000 francs. Les honoraires d’avocat, dépensés par la S3P pour sa défense dans cette affaire, se sont élevés à 101 700 francs.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 10 Janvier 2024 à 17:19 | Lu 2163 fois