Le “nuage laiteux” produit par les colonies de Porites Rus mâles. Crédit : Louis COSTES le 4 décembre 2020
Tahiti, le 3 avril 2024 - Ce vendredi 30 mars a eu lieu l’avant-dernière ponte des coraux Porites Rus avant la fin de la saison, en avril. Comme d’habitude, plusieurs curieux ont sorti leur masque pour observer cette bizarrerie de la nature, qui a lieu “à la minute près” dans tout le Fenua, et dans le monde entier. Vetea Liao, directeur de l’association Tama no te Tairoto suit le phénomène depuis de nombreuses années. Il espère ardemment découvrir un jour la raison de cette synchronisation spatiale de leur reproduction. Mais pour l’instant, le mystère demeure…
7h27 à Mahana Park, plage du PK19 de l’ouest de Tahiti. À peine le temps d’enfiler masque et tuba et d'entrer dans le lagon qu’il est 7h32. Malgré un réveil prématuré, il faut rester attentif : d’une minute à l’autre, les Porites Rus, une espèce de coraux bien particulière s’apprête à se reproduire. 7h33 : le phénomène débute ; et il est troublant. Littéralement. Une fois l’aiguille passée à la 33e minute, toutes les colonies de Porites Rus lâchent, simultanément, un nuage laiteux dans tout le lagon. Le spectacle est bref, et impressionne autant qu’il déconcerte. D’autant plus qu'il a été observé sur 14 îles du Fenua, même heure, même minute. Encore plus déroutant, il a également été observé en Indonésie, aux îles Fidji et à La Réunion tôt le matin dans la journée du 30 mars. Mais aussi en exclusivité aux Seychelles, par Clémentine Violette du club de plongée Équinoxe, à 7h37 du matin très précisément.
Si le phénomène interpelle, c’est que les coraux se reproduisent rarement en journée et avec ce mode opératoire. Mais les Porites Rus, en plus de faire leurs ébats à la lueur du soleil, semblent être réglés comme des horloges : ils se reproduisent la même matinée, au même moment, peu importe leur situation géographique.
Ce phénomène a lieu chaque année, de novembre à avril et à différente intensité explique Vetea Liao, directeur de l’asso Tama no te Tairoro et biologiste marin. “En novembre, environ 30% des colonies vont pondre. En décembre/janvier, plus de 90% des colonies qui sont prêtes pondent. Et ensuite, l’intensité commence à redescendre petit à petit jusqu’à avril.” À une heure bien précise, les colonies mâles vont libérer leur semence qui forme ce nuage trouble, et les colonies femelles leurs œufs, à peine visibles à l’œil nu. Lâchés dans cette masse d’eau, les œufs vont se faire féconder pour donner naissance à des larves qui se fixeront sur les colonies déjà existantes pour les agrandir.
La coordination des Porites Rus
L’apparition du phénomène est déterminée par le Soleil et la Lune : “C’est d’abord la Lune qui va déterminer le jour, 5 jours après la pleine lune, et ensuite le lever du soleil pour déterminer l’heure où il faut être dans l’eau.” Grâce à ces calculs, Vetea peut prévoir précisément l’heure des futures pondaisons. “Il y a deux ans je calculais pour les trois prochaines années l’heure du phénomène. C’est quelque chose de très prédictible et très juste”, ajoute-t-il. Ce qui le laisse sans voix, en revanche, c’est cette synchronisation quasi parfaite de la reproduction entre les différentes colonies de Porites Rus, situées à des endroits géographiques parfois très éloignés les uns des autres. “Cette ponctualité nous bluffe toujours, même aujourd’hui”, dit Vetea.
Les prédictions sont si justes que le sujet est devenu récurrent, traité et photographié chaque année par les médias du Fenua. Un marronnier à la tahitienne en quelque sorte, que l’on n’arrive toujours pas à expliquer. Passé par le Criobe pendant quelques années, Vetea traque le phénomène depuis longtemps. Le biologiste l’avait découvert par hasard en 2014, avant de mettre à jour cette synchronisation entre tous les spécimens en 2019. Il fonde par la suite une association et un observatoire participatif en 2020 pour en apprendre plus sur le phénomène, “pas du tout assez traité” par la communauté scientifique, selon lui. Depuis, le chercheur est tombé sous le charme de cette symbiose reproductive, et s’évertue aujourd’hui à en expliquer la raison. “Comment expliquer que peu importe l’endroit, Fidji, Polynésie française, Seychelles… Les paramètres de pondaison s’appliquent partout à la minute près ? Comment est-ce que ces coraux se synchronisent ?”, s’interroge Vetea, animé par l’ampleur du challenge scientifique qui l’attend.
Un mystère à élucider
Surtout que le mystère ne s’arrête pas là. Car le Porites Rus est une colonie de corail qui peut prendre plusieurs formes. À faible profondeur dans les lagons, il s’apparente à ce qu’on appelle vulgairement “une patate de corail”. Mais dès qu'il évolue en eau plus profonde, il prend un aspect de pétales de rose, de rosace. Et le mystère s’amplifie : lorsque les Porites Rus se reproduisent, les spécimens en eau plus profonde vont systématiquement lâcher leur semence 4 heures après leurs petits cousins du lagon. Une synchronisation dans la synchronisation. Mais selon Vetea, si l’on arrive à “découvrir le facteur qui crée ce décalage de reproduction entre les colonies en profondeur et en lagon, on devrait pouvoir identifier celui qui crée cette synchronisation dans leur reproduction”.
L’hypothèse du biologiste est la suivante : comprendre la ponte des Porites Rus serait un indicateur de ce qui se passe dans l’écosystème. Il explique : “Par exemple, j’ai un site d’observation vers le PK15 où la ponte est toujours très faible peu importe le mois.” Comprendre le phénomène de synchronisation permettrait d’identifier quel facteur altère la ponte de certaines zones et par écoulement, d’en apprendre plus sur les rouages de la biodiversité marine. Une problématique qui se veut urgente, à l’heure où les coraux blanchissent et meurent du fait de l’augmentation durable de la température des eaux. Mais le chemin semble encore long. La prochaine ponte des Porites Rus sera, elle, le dimanche 28 avril à 7h40 précisément. “La dernière avant novembre”, assure Vetea.
7h27 à Mahana Park, plage du PK19 de l’ouest de Tahiti. À peine le temps d’enfiler masque et tuba et d'entrer dans le lagon qu’il est 7h32. Malgré un réveil prématuré, il faut rester attentif : d’une minute à l’autre, les Porites Rus, une espèce de coraux bien particulière s’apprête à se reproduire. 7h33 : le phénomène débute ; et il est troublant. Littéralement. Une fois l’aiguille passée à la 33e minute, toutes les colonies de Porites Rus lâchent, simultanément, un nuage laiteux dans tout le lagon. Le spectacle est bref, et impressionne autant qu’il déconcerte. D’autant plus qu'il a été observé sur 14 îles du Fenua, même heure, même minute. Encore plus déroutant, il a également été observé en Indonésie, aux îles Fidji et à La Réunion tôt le matin dans la journée du 30 mars. Mais aussi en exclusivité aux Seychelles, par Clémentine Violette du club de plongée Équinoxe, à 7h37 du matin très précisément.
Si le phénomène interpelle, c’est que les coraux se reproduisent rarement en journée et avec ce mode opératoire. Mais les Porites Rus, en plus de faire leurs ébats à la lueur du soleil, semblent être réglés comme des horloges : ils se reproduisent la même matinée, au même moment, peu importe leur situation géographique.
Ce phénomène a lieu chaque année, de novembre à avril et à différente intensité explique Vetea Liao, directeur de l’asso Tama no te Tairoro et biologiste marin. “En novembre, environ 30% des colonies vont pondre. En décembre/janvier, plus de 90% des colonies qui sont prêtes pondent. Et ensuite, l’intensité commence à redescendre petit à petit jusqu’à avril.” À une heure bien précise, les colonies mâles vont libérer leur semence qui forme ce nuage trouble, et les colonies femelles leurs œufs, à peine visibles à l’œil nu. Lâchés dans cette masse d’eau, les œufs vont se faire féconder pour donner naissance à des larves qui se fixeront sur les colonies déjà existantes pour les agrandir.
La coordination des Porites Rus
L’apparition du phénomène est déterminée par le Soleil et la Lune : “C’est d’abord la Lune qui va déterminer le jour, 5 jours après la pleine lune, et ensuite le lever du soleil pour déterminer l’heure où il faut être dans l’eau.” Grâce à ces calculs, Vetea peut prévoir précisément l’heure des futures pondaisons. “Il y a deux ans je calculais pour les trois prochaines années l’heure du phénomène. C’est quelque chose de très prédictible et très juste”, ajoute-t-il. Ce qui le laisse sans voix, en revanche, c’est cette synchronisation quasi parfaite de la reproduction entre les différentes colonies de Porites Rus, situées à des endroits géographiques parfois très éloignés les uns des autres. “Cette ponctualité nous bluffe toujours, même aujourd’hui”, dit Vetea.
Les prédictions sont si justes que le sujet est devenu récurrent, traité et photographié chaque année par les médias du Fenua. Un marronnier à la tahitienne en quelque sorte, que l’on n’arrive toujours pas à expliquer. Passé par le Criobe pendant quelques années, Vetea traque le phénomène depuis longtemps. Le biologiste l’avait découvert par hasard en 2014, avant de mettre à jour cette synchronisation entre tous les spécimens en 2019. Il fonde par la suite une association et un observatoire participatif en 2020 pour en apprendre plus sur le phénomène, “pas du tout assez traité” par la communauté scientifique, selon lui. Depuis, le chercheur est tombé sous le charme de cette symbiose reproductive, et s’évertue aujourd’hui à en expliquer la raison. “Comment expliquer que peu importe l’endroit, Fidji, Polynésie française, Seychelles… Les paramètres de pondaison s’appliquent partout à la minute près ? Comment est-ce que ces coraux se synchronisent ?”, s’interroge Vetea, animé par l’ampleur du challenge scientifique qui l’attend.
Un mystère à élucider
Surtout que le mystère ne s’arrête pas là. Car le Porites Rus est une colonie de corail qui peut prendre plusieurs formes. À faible profondeur dans les lagons, il s’apparente à ce qu’on appelle vulgairement “une patate de corail”. Mais dès qu'il évolue en eau plus profonde, il prend un aspect de pétales de rose, de rosace. Et le mystère s’amplifie : lorsque les Porites Rus se reproduisent, les spécimens en eau plus profonde vont systématiquement lâcher leur semence 4 heures après leurs petits cousins du lagon. Une synchronisation dans la synchronisation. Mais selon Vetea, si l’on arrive à “découvrir le facteur qui crée ce décalage de reproduction entre les colonies en profondeur et en lagon, on devrait pouvoir identifier celui qui crée cette synchronisation dans leur reproduction”.
L’hypothèse du biologiste est la suivante : comprendre la ponte des Porites Rus serait un indicateur de ce qui se passe dans l’écosystème. Il explique : “Par exemple, j’ai un site d’observation vers le PK15 où la ponte est toujours très faible peu importe le mois.” Comprendre le phénomène de synchronisation permettrait d’identifier quel facteur altère la ponte de certaines zones et par écoulement, d’en apprendre plus sur les rouages de la biodiversité marine. Une problématique qui se veut urgente, à l’heure où les coraux blanchissent et meurent du fait de l’augmentation durable de la température des eaux. Mais le chemin semble encore long. La prochaine ponte des Porites Rus sera, elle, le dimanche 28 avril à 7h40 précisément. “La dernière avant novembre”, assure Vetea.