Petits-enfants de la bombe : à quand une étude ?


Un tir nucléaire atmosphérique en Polynésie française : il y a eu au total 46 essais nucléaires aériens et 147 essais souterrains entre 1966 et 1996.
PAPEETE, le 22 janvier 2018. Après avoir rencontré un "nombre considérable" d'enfants touchés par un "trouble envahissant du développement, avec des anomalies morphologiques, et/ou un retard mental", le docteur Christian Sueur, ancien responsable de l’unité de pédopsychiatrie au CHPF, demande qu'une étude épidémiologique soit menée.

Samedi, le journal Le Parisien a publié l'article Essais nucléaires en Polynésie : les petits-enfants oubliés de la bombe. Dans cette publication, le journal évoque le travail de Christian Sueur, ancien responsable de l’unité de pédopsychiatrie au Centre Hospitalier de Polynésie française. Nous avons pu consulter le document rédigé par le médecin, qu'il qualifie de « conclusion d’étape » d’un projet de recherche élaboré à Tahiti entre 2012 et 2016. Ce projet avait pour but de connaître les conséquences transgénérationnelles des essais nucléaires réalisés au Centre d'expérimentation du Pacifique entre 1966-1974 sur la descendance des vétérans. "Ce projet a été conçu, dès son origine, avec Bruno Barrillot et l’Association Moruroa e tatou", indique le médecin.

Il y a sept ans, déjà dans les colonnes de Tahiti Infos, Christian Sueur soulignait : "Il serait vraiment important de réaliser ces enquêtes, à la fois épidémiologiques et génétiques, mais ça peut coûter beaucoup d’argent".
Cette étude est indispensable selon le docteur. Lors de ses consultations, Christian Sueur a en effet constaté un "nombre considérable de situations cliniques associant un trouble envahissant du développement, avec des anomalies morphologiques, et/ou un retard mental".

"Sans que l’on puisse quantifier, à l’heure actuelle, de façon épidémiologique la fréquence de ce type de situation, il semble bien, que cette fréquence soit supérieure au taux habituel de ce type de problématique reçue dans les consultations de pédopsychiatrie publique métropolitaines", constate-t-il. Au cours de ces consultations, il a aussi remarqué que "la majorité de ces situations cliniques se retrouv(ait), dans notre patientèle, chez des « petits-enfants », tout autant dans la descendance de vétérans civils ou militaires du CEP, que chez des populations résidant dans les atolls du sud des Tuamotu ou des Gambier, c'est-à-dire sur les atolls où une fraction très importante de la population a aussi bien travaillé au CEP de Moruroa et Fangataufa, qu’elle a été exposées à des retombées radioactives lors de essais atmosphériques."
Pour le docteur, la disparition de Bruno Barrillot, délégué pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (DSCEN) début 2017 a mis un coup d'arrêt à ce projet d'étude. "Les brefs échanges que nous avons pu avoir avec la nouvelle responsable de la DSCEN, dans les suites immédiates du décès de Bruno Barrillot, ont clairement montré que pour le gouvernement polynésien, il était « urgent de ne rien faire »", écrit-il.

Pour Yolande Vernaudon, aujourd'hui déléguée pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, ce reproche n'est pas justifié (lire interview ci-contre). Mettant en avant l'absence de convention et d'autorisation de recherche, elle indique que ce projet ne pouvait pas fonctionner "tel quel". La déléguée indique ne pas avoir "enterré" l'objectif de cette étude. "Bien sûr on travaille dessus et on a un crédit de deux millions budgété pour lancer des missions de préfiguration", précise-t-elle.

Dans une interview au Parisien, le docteur Baert, médecin militaire qui assure la surveillance et le suivi des vétérans civils et militaires autour des îles proches de Moruroa, explique les troubles envahissants du comportement et des retards mentaux chez les enfants par la présence de plomb dans leur organisme. « Ce sont les batteries des voitures qui sont dépecées et utilisées pour faire des plombs de pêche. Elles sont chauffées ou brûlées et dégagent des particules retombant sur les toits et dans les citernes de pluie dont tout le monde boit l'eau", indique-t-il au journal français avant d'ajouter qu'une étude sur les naissances est en cours et devrait être publiée d'ici à la fin de l'année.

Roland Oldham, président de l'association Moruroa e Tatou, est lui sur la réserve "Le travail de la déléguée pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, c'est du très fade, c'est de la surface. Cela n'a rien à voir avec Bruno Barrillot, qui était un chercheur militant."

Etat, Pays et associations concernées par les essais nucléaires se retrouveront ce mercredi pour l'installation du Comité de projet de l'institut d’archives et de documentation sur le fait nucléaire en présence de la ministre des Outre-mer Annick Girardin. Nul doute que le document écrit par le docteur Sueur sera évoqué. La mise en place de ce comité de projet fait suite à une promesse de François Hollande lors de sa visite au fenua en 2016. L'ancien président de la République avait annoncé la création de ce lieu "afin que la jeunesse polynésienne n'oublie pas cette période de notre histoire commune".


Consulter le document écrit par le docteur Christian Sueur




Yolande Vernaudon, déléguée pour le suivi des conséquences des essais nucléaires

Pour le docteur Christian Sueur, la disparition de Bruno Barrillot, délégué pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, a mis un coup d'arrêt aux recherches sur les conséquences transgénérationnelles. Que lui répondez-vous ?
Le Pays veut en savoir plus sur cette question d'éventuelles conséquences transgénérationnelles. Pour marquer son intérêt, le Pays budgète des crédits et il donne des instructions, à travers la lettre de mission qu'il a donnée à la Délégation, pour qu'il y ait des recherches dans ce domaine.
Ce n'est quand même pas aux Polynésiens de payer des mille et des cents pour apporte la preuve d'une transmission ou d'une non-transmission générationnelle. En fait, il faut se retourner vers l'Etat pour qu'il apporte éventuellement des preuves de la non –transmission. C'est un peu le monde à l'envers là. Pourquoi. M. Sueur vient accuser des Polynésiens de vouloir occulter une affaire pareille ?
Il accuse très clairement le gouvernement polynésien de m'avoir donné des ordres pour que je fasse enterrer cette histoire de projet d'étude.

Vous réfutez complètement cette affirmation?
Oui. Complètement. Il faudrait qu'il s'explique. Pourquoi, nous Polynésiens, aurait-on intérêt à un positionnement pareil ?

Selon Christian Sueur, "les psychiatres et psychologues du Service de pédopsychiatrie de Polynésie française, ne peuvent s’empêcher 'd’interpréter' cette situation comme un stigmate du 'refoulement' et de 'l’interdit' toujours à l’œuvre en Polynésie, chez les acteurs politiques et sanitaire locaux". Y a-t-il encore un tabu selon vous ?
Moi je parle librement des essais et des conséquences des essais nucléaires. Je parle sans tabu. J'ai aucun ordre de quiconque de censurer ce que j'ai à dire sur les conséquences des essais nucléaires.

Rédigé par Mélanie Thomas le Lundi 22 Janvier 2018 à 15:45 | Lu 3372 fois