Petite fourmi de feu : est-il déjà trop tard ?


La petite fourmi de feu est arrivée à Tahiti en 2004, et elle y a fait sa maison, pour le grand dam des humains… (Crédit photo : Wikimedia commons)
PAPEETE, le 24 juillet 2017 - L'invasion de la Petite Fourmi de feu parait désormais impossible à arrêter. Tahiti, Moorea, Raiatea, Bora Bora et Rurutu sont contaminés et de tous les efforts pour éliminer la peste, seule deux réussites sont à célébrer au prix d'un travail bénévole acharné.

La petite fourmi de feu (PFF) est une toute petite fourmi rouge, à la piqure très douloureuse. En Nouvelle-Calédonie, on l'appelle "fourmi électrique" parce que sa morsure fait l'effet d'un électrochoc. Signalée pour la première fois à Mahina en 2004, elle a maintenant envahi les îles de Tahiti, Moorea, Raiatea, Bora Bora et Rurutu selon Matai Depierre, spécialiste de cette espèce invasive à la Diren.

Il nous explique que l'invasion, jusqu'ici largement ignorée par la population, attaque maintenant les constructions humaines. "Pour essayer de ralentir la progression de la PFF, des lotissements se regroupent pour essayer de traiter tous ensemble. Quand une seule maison traite, malheureusement la fourmi revient tout de suite par les habitations alentour. Mais même avec un effort collectif on n'éradique pas, on contrôle. Il faut retraiter régulièrement parce que la fourmi est trop bien implantée dans les vallées."

Temae revenu au point de départ après deux ans de traitement

Le traitement nécessite de préparer le produit à base de beurre de cacahuètes sur place puis de le répandre à la main. (crédit photo : EURL JC AGI Pestcontrol)
La meilleure illustration est le cas de Moorea, en particulier la zone de Temae. En 2015, une grande campagne de lutte contre la fourmi est lancée par le Pays et la commune de Moorea avec de nouvelles techniques et un produit plus adapté, un combat concentré sur Temae. Les habitants voient effectivement la peste disparaitre… mais leur joie a été de courte durée.

Léon, un propriétaire terrien de Moorea vivant en plein cœur de la colonie de PFF de Vaiare, la plus grande colonie de l'île-sœur nous raconte comment la situation a évolué : "Ils ont fait le travail, ça a été efficace on ne voyait plus de fourmis. Mais il a sans doute resté un bout de la colonie et c'est reparti comme avant. Maintenant je vois que le CJA ça va être infecté lui aussi, comme en bas de Vaiare, le long de la rivière. Même là où ça été traité, c'est reparti. Et là où c'est contaminé, c'est très difficile de travailler la terre pour le faapu ou même de passer la débroussailleuse : ça brule. Cette fourmi de feu c'est tout nouveau chez nous, on ne peut pas encore dire les conséquences pour l'avenir, mais quand c'est contaminé c'est vraiment dur. Là où j'habite ce sont des faapu, ça va encore, mais elle est aussi là où les gens habitent."

L'agriculteur est aussi devenu très lucide sur nos chances d'éliminer la peste de nos îles : "A Vaiare il y beaucoup de gens qui vendent des plantes et des fleurs, s'ils ne vérifient pas soigneusement leur terre, ils vont contaminer tout le reste. Maintenant la fourmi de feu est arrivée à Opunohu, elle n'y était pas avant."

"Elles sont terribles, elles sont dans le sol, dans les arbres, sur les falaises…"

La PFF est une des dix espèces les plus envahissantes au monde parce qu'elle est redoutablement adaptée à la conquête. Originaire de la jungle tropicale américaine, elle progresse sur la planète entière. Parmi ses adaptations, notons que les différentes colonies ne s'attaquent pas entre elles, mais collaborent sur leur zone d'influence, quand les autres espèces de fourmi se font la guerre entre elles. Elles ont aussi plusieurs reines dans chaque colonie, rendant le nid pratiquement immortel. Enfin la PFF s'adapte à tous les milieux.

Jean-Luc de l'EURL JC AGI Pestcontrol, qui est sur tous les fronts où la PFF progresse, nous explique son travail de Sisyphe : "Ce sont des traitements à refaire régulièrement, et pour couvrir toutes les zones attaquées il faudrait qu'on s'y mette tous pour l'éradiquer. Mais là c'est déjà un peu trop tard. L'an dernier on avait traité 15 Ha à Moorea, on est revenu dans la zone toutes les six semaines pendant un an. Mais s'il reste une seule colonie en dehors de la zone, elles reviennent. Je pense qu'il va falloir apprendre à vivre avec maintenant."

Surtout que la PFF se cache en fond de vallée et à flanc de falaise, où il faut des spécialistes comme des cordistes et des équipements lourds pour l'attaquer : "Quand on traite dans la nature en fond de vallée, avec le relief du terrain, c'est très dur. Et il faut entrer en plein cœur de la zone contaminée donc on se fait piquer, même si on est équipé… J'avais fait Ahonu à l'arrivée de la PFF et ce n'était pas évident. On était partis à pied tout au fond de la vallée pour traiter, mais c'était trop difficile d'accès et ça n'a pas suffi, on la connaissait encore mal. Elles sont terribles, elles sont dans le sol, dans les arbres, quand il pleut elles se font des petits radeaux et montent dessus…"

L'expert poursuit : "pour le traitement comment ça se passe. On va sur zone et la première chose c'est de fabriquer le produit sur place pour qu'il soit au max de sa fraicheur. Ensuite on pulvérise à la main, on ne peut pas utiliser de gros moyens dans la nature, par les airs le produit n'arriverait pas au sol. Il faut une semaine de travail à 5 gars pour traiter 15 hectares. Et il faudrait le refaire toutes les six semaines… C'est comme les rats, si tu traites ta maison mais le voisin ne le fait pas, il y en aura toujours. Et les gens se baladent avec de la terre, des plantes, des graviers, et c'est comme ça qu'elle revient ou se propage."

Une seule success story

Selon Matai Depierre de la Diren, un seul acteur de la lutte contre la PFF a obtenu des résultats, l'association SOP-Manu qui a déployé d'importants moyens, soutenus par des entreprises, la mairie de Punaauia, le Pays et l'Europe, pour éradiquer la fourmi de feu de deux vallées protégées de Tahiti. Il s'agit des derniers lieux de vie des 50 monarques de Tahiti encore en vie. Mais comme l'explique Matai Depierre, "c'est chirurgical, ils grimpent dans tous les arbres, sur les falaises… Je ne pense pas que ce soit duplicable sur toute l'île."


Alice Bousseyroux (debout les bras dans le dos) entourée des équipes de Manu, qui luttent sans relâche contre la PFF pour protéger nos espèces endémiques. (Crédit photo : SOP-Manu)
Alice Bousseyroux, volontaire de service civique à l'association SOP-Manu depuis janvier 2017 et titulaire d'un master en gestion de l'environnement et écologie littorale obtenu l'année dernière, travaille justement avec les équipes de terrain de Manu pour lutter contre la PFF. La fourmi, en plus de s'attaquer aux agriculteurs, habitants et animaux, est une menace mortelle pour nos espèces endémiques comme le monarque de Tahiti.

Elle nous explique sa mission : "Je suis chargée d'étudier la petite fourmi de feu, qui compte parmi les 9 menaces recensées du Monarque de Tahiti. Cette fourmi est invasive en Polynésie, et elle peut faire de gros dégâts sur la biodiversité locale : nous faisons des expériences en milieu infesté et non infesté afin de voir ses impacts sur l'environnement. Nous cherchons aussi à comprendre son fonctionnement sur le territoire, savoir à quels moments elle monte dans les arbres ou produit de nouvelles reines par exemple. Sur le terrain, c'est un sacré travail d'équipe ! Les résultats doivent permettre d'ajuster au mieux les traitements afin qu'ils soient plus rapides, moins coûteux financièrement et moins impactants pour l'environnement. Si on connait davantage l'espèce, on pourra lutter plus efficacement contre son invasion au fenua. Initialement, ces recherches par l'association ont pour but de sauvegarder le Monarque de Tahiti mais elles servent aussi à améliorer la qualité de vie des habitants qui vivent au quotidien avec une telle fourmi."

La carte des zone contaminées avec TeFenu@ :


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 24 Juillet 2017 à 22:48 | Lu 6359 fois