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Perles : une invention pour lutter contre la contrefaçon


Ces perles de culture d'eau douce sont normalement blanches, mais des entrepreneurs chinois les teintent et les vendent comme des perles noires à 1300 Fcfp le collier...
Ces perles de culture d'eau douce sont normalement blanches, mais des entrepreneurs chinois les teintent et les vendent comme des perles noires à 1300 Fcfp le collier...
PAPEETE, le 21 novembre 2016 - Des chercheurs métropolitains ont découvert une technique permettant de marquer les perles et certifier leur origine et leur qualité. Il leur aura fallu trois ans de recherche en collaboration avec les perliculteurs polynésiens, mais ils devraient aider à redorer le lustre de la Perle de Tahiti.

"Nos perles de culture, aujourd'hui, sont mélangées avec toutes les perles du Pacifique. Fiji, la Micronésie, le Vietnam, les Cook et les Marshall cultivent tous la même espèce que nous, et sur les marchés internationaux elles sont toutes vendues comme des " Black South Seas Pearls". De leur côté, les Chinois ont développé des techniques pour colorer leurs perles blanches et sur les marchés internationaux, nos perles de basse qualité sont mélangées avec des perles teintées… Donc de marquer nos perles, ça va nous permettre de les identifier par rapport aux autres pays, de les différencier et d'en garantir la qualité" nous explique Marcelle Howard, présidente du GIE Toa Rava.

C'est là qu'interviennent les recherches menées par le Monaco Gem Lab et l'Institut Lumière Matière de l'Université Lyon 1. Marcelle Howard nous raconte l'origine du projet : "ces recherches ont été entamées en 2011. La maison de la perle existait encore et avec Jeanne Lecourt nous avions mis en place une première formation internationale à la perle de Tahiti au Salon de Nice. Deux gemmologues de Nice étaient venus participer à cette formation, sur 3 ou 4 jours, et ils ont été tellement émerveillés et étonnés qu'ils ont demandé à me rencontrer, parce que j'avais apporté plusieurs variétés de perles de différentes qualités. Ils m'ont invitée à visiter leur laboratoire de gémologie à Monaco, et à cette occasion je leur ai demandé s'ils pouvaient trouver une façon de marquer les perles de Polynésie, parce que déjà à cette époque il y avait des perles traitées, colorées, retravaillées. Je leur ai du coup offert des lots de perles de ma ferme pour qu'ils puissent effectuer des recherches. C'est en mars 2013 qu'ils ont repris contact pour nous dire qu'ils avaient trouvé une solution, même si la recherche était encore en cours. Et ce sont ces résultats finalisés qu'ils sont en train de diffuser."

UNE PROTECTION ISSUE DES NANOTECHNOLOGIES

Pour marquer l'origine polynésienne des perles et garantir leur qualité, elles sont plongées dans un bain d'éléments luminescents. Le message est absorbé par la surface de la perle. Il est invisible à l'œil nu mais est lisible à l'aide d'un appareil spécial.
Pour marquer l'origine polynésienne des perles et garantir leur qualité, elles sont plongées dans un bain d'éléments luminescents. Le message est absorbé par la surface de la perle. Il est invisible à l'œil nu mais est lisible à l'aide d'un appareil spécial.
Le procédé découvert a été nommé Luminapearl, est breveté (patent WO 2015104509 A1) et commence à être commercialisé par leurs inventeurs. Il est ingénieux : les perles qui doivent être marquées sont plongées quelques heures dans un bain contenant des éléments luminescents. Le brevet parle de terres rares de la famille des lanthanides, des atomes particulièrement prometteurs et largement étudiées en nanotechnologie et en biotechnologie. Ces éléments se fixent à la surface de la perle sur quelques micromètres (millièmes de millimètres). Ils sont totalement invisibles à l'œil nu et résistent à toutes les utilisations normales de la perle : bains de mer, piscine, transpiration, savon, et même des bains de javel ne les supprimeront pas entièrement. Par contre, ils disparaissent si la perle est trafiquée chimiquement ou "arrondie" artificiellement par polissage.

Les perles ainsi traitées contiennent un message unique, encodé par les divers éléments utilisés et leur concentration. Elles révéleront le message encodées à leur surface quand elles seront exposées à une lumière UV : les atomes de terre rare réémettront de la lumière dans des longueurs d'onde très spécifiques, lisibles par un appareil spécial. En quelques secondes, le bijoutier ou grossiste étranger connaitra le pays d'origine de la perle et sa qualité.

Rassurer les acheteurs internationaux de perles de Tahiti est une priorité face à l'explosion des perles de mauvaise qualité ou carrément contrefaites. On pense à ces perles arrondies ou colorées artificiellement… Mais ce ne sera pas suffisant, comme l'explique Marcelle Howard : "Aujourd'hui le client final est totalement confus. D'abord notre marque n'existe pas, nos perles sont mélangées aux autres perles noires du Pacifique. Ensuite notre classification, A, B, C ou D pour la qualité, n'est plus utilisée à l'international, c'est archaïque. Enfin il y a tout un travail de promotion et de marketing à faire. Les bijoutiers et clients en Europe ne savent même pas où se trouve Tahiti, l'histoire de notre perle… L'information n'a pas été assez diffusée, or ce sont les vendeurs les premiers ambassadeurs de notre perle. Mais l'identification des perles est la première étape. Je pense que les plus gros producteurs, à commencer par Robert Wan, vont vouloir marquer leurs perles du nom du producteur et l'île d'origine."



Parole au Professeur Gérard Panczer et à Alain Caussinus

Le Professeur Gérard Panczer dirige l'Institut Lumière Matière de l'Université Claude Bernard - Lyon1 ; Alain Caussinus est le directeur du Monaco Gem Lab
"Le système permettra de pouvoir marquer les origines de chaque perle"

Combien de temps ont pris ces recherches ?
Gérard Panczer : Un protocole d’accord concernant le marquage de la nacre des perles de Tahiti a été initié en septembre 2012 entre la société Monaco Gem Lab dirigé par M. Alain Caussinus, expert gemmologue et l’Institut Lumière Matière de l’Université Lyon 1 sous la forme d’un projet OSEO. Les recherches entreprises ont donc nécessité plus de 3 années et l’implication de 2 chercheurs (Prof. Olivier Tillement et Gérard Panczer) et de 2 doctorants. Elles ont conduit à un dépôt de brevet (WO 2015104509) le 16 juillet 2015.

Quelle a été la genèse du projet ? J'ai cru comprendre que ces recherches avaient été entreprises spécialement pour la perle de Tahiti ?
Gérard Panczer : La nécessité d’un système performant de marquage des perles de Tahiti a été soulevée par le Monaco Gem Lab et le Tahiti Pearl Consortium International (Marcelle Teahio Howard). C’est donc suite à cette demande que le laboratoire de recherche a été sollicité du fait de son expertise dans la mise au point de marquages (Hermès, Banque de France, Total, Andra…) entre autre pour l’anti-contrefaçon.

Alain Caussinus : L’idée de départ vient du Monaco Gemlab. Marcelle Howards nous a aidés dans notre approche et notre compréhension du marché tahitien. Au commencement, j’avais eu l'idée d’un marquage à l'extérieur de la perle car l'on m'avait indiqué que les perles de basse qualité étaient achetées en ventes aux enchères, en l'occurrence par les Chinois, dans le but de travailler dans les 3 dixièmes d'épaisseur de nacre (la faisant passer de 8 à 5 mm). Ils créent l'illusion d'une perle parfaite et la remettent sur le marché à des prix plus importants. Je me suis dit qu'il ne fallait pas marquer le nucleus mais la surface de la perle. Puis le projet a évolué vers un autre type de marquage.

Si votre invention est appliquée à grande échelle dans le monde de la perle, comment pourra-elle aider le secteur perlicole polynésien ?
Gérard Panczer : Le procédé Luminapearl, simple à mettre en œuvre permet de garantir l’origine Tahiti, d’éliminer toute imitation par coloration. Il permet de plus d’identifier les perles traitées tant du point de vue de leur forme que de leur couleur. En effet le marquage est conçu pour ne pas subsister en cas de traitement de polissage modifiant la forme originelle de la perle.

Alain Caussinus : Le système permettra de pouvoir marquer les origines de chaque perle en suivant le cahier des charges de chaque pays

Combien ça va coûter aux perliculteurs ? Aux bijoutiers ? Aux acheteurs de perles ?
Gérard Panczer : Le coût de ce marquage est modeste, de l’ordre de quelques euros par perles pour les perliculteurs et peut être facilement reporté sur le coût final de la perle. Dans le cas des perles d’exception un certificat peut être établi précisant la qualité de la perle, la date et le type de marquage.

En ce qui concerne la lecture du code, il peut être effectué par un spectromètre compact. Ce détecteur permet la lecture de perle individuelle non montée, ou de collier, ou encore de bijoux. Il permet de vérifier le type de codage. Il est destiné aux grands acteurs du commerce de la perle, grossistes internationaux et aux laboratoires d’expertise. Son prix devrait être de l’ordre de 2000 € (240 000 Fcfp, NDLR).

Alain Caussinus : Le coût sera de quelques dizaines de centimes d'euro (quelques dizaines de francs, NDLR) pour les perles de basse qualité et de quelques euro pour les autres. Nous trouverons un moyen pour équiper gratuitement les GI d'un lecteur de codes portable.

Combien d'informations pourra-t-on encoder dans une perle ? Pourra-t-on assurer la traçabilité jusqu'au nom de la ferme qui a produit la perle ?
Gérard Panczer : Le procédé est rapide et permet de marquer un grand nombre de perles simultanément. Les informations encodées sont cependant pour l’instant limitées à l’origine Tahiti de la perle, l’année de marquage et sa qualité (Top qualité ou qualité courante).

D’autres systèmes de marquage concurrents basés sur le marquage du nucléus avant greffage ou de la perle après récolte permettent de coder plus d’informations. Cependant le marquage du nucléus avant greffage bien qu’infalsifiable et permanent implique un marquage individuel long, complexe et couteux. Quant aux marquages après récolte, comme la gravure laser ou le micro-étiquetage, ils nécessitent également un marquage individuel délicat, long et cher risquant d’altérer même localement l’aspect de surface de la nacre.

Comment ce marquage peut-il n'avoir aucun impact sur les qualités physiques et la couleur de la perle ? Affecte-t-il sa durabilité ?
Gérard Panczer : Ce marquage invisible ne modifie en aucune façon l'aspect de la perle de culture (couleur, lustre et orient). Ce marquage a été testé et présente une durabilité à long terme dans des conditions d’usage normal et au contact de l’eau de mer ou de piscine, de la transpiration ou du parfum.

Quelles sont les limites objectives de la technologie ?
Gérard Panczer : Les limites actuelles sont principalement le nombre limité de type de marquages.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 21 Novembre 2016 à 11:12 | Lu 8066 fois