Pas assez de terres rares, mais beaucoup de cobalt


PAPEETE, le 6 mai 2016. Les terres rares ne sont pas "en quantité suffisante pour présenter un intérêt économique", indique une étude de l'Institut de recherche pour le développement. En revanche, nos fonds-marins abriteraient beaucoup de cobalt, utilisé pour la fabrication de batterie. Mais les connaissances sont « encore insuffisantes ». Les experts recommandent de lancer des campagnes d'exploration scientifique d'ampleur.

Depuis près de 20 ans, les métaux rares sont utilisés pour la fabrication de nombreux objets de haute technologie. Les tensions sont de plus en plus fortes entre la disponibilité des minerais et les besoins mondiaux. Les fonds sous-marins constituent un potentiel de ressources minérales considérable. Avec notre Zone économique exclusive (ZEE) de 5 millions de km2, la perspective d'y trouver des métaux rares et, par conséquence, une source de revenus a fait rêver au fenua. C'est pourquoi en décembre 2014, le Pays et l'Etat ont demandé à un collège d'experts, composés de scientifiques spécialistes en anthropologie, biologie, droit, économie, géographie, géosciences, technologie, de réaliser un état des lieux des connaissances et de formuler des recommandations. Le travail de ces experts, parmi lesquels on retrouve Tamatoa Bambridge (CNRS-Criobe), Christian Jost (Université de Polynésie française) et Antonino Troianiello (Université de Polynésie française), a été présenté vendredi au public.

Le collège aboutit à un « diagnostic nuancé ». « Il constate qu'il n'y a pas de terres rares ni nodules polymétalliques en quantité suffisante pour présenter un intérêt économique en Polynésie française", indique le rapport. "Par contre, il souligne le potentiel de classe mondiale des encroûtements polymétalliques riches en cobalt de la ZEE de la Polynésie française, situés entre 800 et 4 000 mètres de profondeur dans ses zones de montagne sous-marines à faible sédimentation."

AUX TUAMOTU ET DANS LA SOCIÉTÉ
Ces encroûtements sont riches en cobalt (lire encadré ci-contre) et contiennent d'autres métaux intéressants comme le nickel, le manganèse, le titane, le platine... "Les zones les plus prometteuses sont localisées dans les parties nord-est et sud-ouest du plateau des Tuamotu, et secondairement vers la chaîne des monts sous-marins Tarava (au sud des îles de La Société)", décrit l'étude.
Mais les connaissances sont encore insuffisantes dans le domaine. « A l'heure actuelle, la connaissance du potentiel minéral sous-marin en Polynésie française reste trop fragmentaire pour permettre une décision quant à sa valorisation, que ce soit du point de vue de la localisation, des teneurs en métaux, des surfaces, des épaisseurs ou de la topographie de ces encroûtements", note le rapport. "De plus, de grandes lacunes subsistent dans la connaissance des écosystèmes susceptibles d'être perturbés par une telle exploitation. Il est donc indispensable de lancer des campagnes d'exploration scientifique d'ampleur pour combler ces déficits et éclairer les politiques. Il existe également des lacunes en matière de technologies pour l'exploration et l'exploitation."
Y aller ou pas alors ? Pour répondre à cette question, il va falloir attendre un peu : "On y voit un peu plus clair. Mais je ne pense pas que nous ayons tous les indicateurs à l'heure actuelle qui nous permettent de prendre des décisions", a commenté vendredi Patrick Howell, ministre de la Recherche. " Vu l'ampleur de ce projet et les enjeux, ce seront des discussions entre l'Etat et le Pays."

Dans ce dossier, le flou règne aussi toujours sur les risques environnementaux qui pourraient être liés à l'exploitation de mines sous-marines. « L'originalité des organismes (endémisme et spécialisation écologique) mais aussi la vulnérabilité et la résilience de ces milieux profonds sont très mal connues, et par conséquent, les impacts d'une activité minière sous-marine sont impossibles à prévoir pour l'instant", note le groupe d'experts. "Il faut explorer, consolider les connaissances, les affiner, consulter les populations, voir leurs attentes pour établir un diagnostic véritablement fondé", souligne Pierre-Yves Le Meur, président du collège des experts. "A partir de là, il sera possible de décider de continuer ou de ne pas y aller."
Les experts ont dressé une liste de neuf recommandations (lire ci-contre). "Il s'agit pour la Polynésie française de se mettre en ordre de marche et d'anticiper le montage de projets miniers du point de vue des dispositifs politiques et administratifs", insistent-ils. L'objectif est que la Polynésie soit prête si de gros groupes, plus aguerris aux affaires, venaient à s'intéresser à nos ressources minérales profondes.

Le cobalt utilisé pour les batteries

"Les zones les plus prometteuses sont localisées dans les parties nord-est et sud-ouest du plateau des Tuamotu, et secondairement vers la chaîne des monts sous-marins Tarava (au sud des îles de La Société)", décrit l'étude.
Avec l'utilisation croissante des smartphones, tablettes, liseuses et autres portables, la demande pour les batteries rechargeable est en augmentation fulgurante. Qu'elles fonctionnent avec du nickel-cadmium ou du lithium-ion, toutes ces piles ont besoin de cobalt.
L'augmentation de ce besoin est appelée à se poursuivre au vu des projets de vélos et de voitures électriques de plus en plus nombreux.
Le cobalt est aussi utilisé pour la constitution d'alliage et de superalliage extrêmement résistants à la chaleur, utilisé dans les réacteurs d'avion par exemple.


"D'importants obstacles" à une réglementation

Antonino Troianiello, professeur de droit à l'université

"Les contraintes normatives -notamment celles issues de la Charte de l'environnement- constituent un obstacle très significatif au développement d'activités minières sous-marines. Il faut avoir l’esprit trois éléments importants. Le premier est sur le plan juridique. L'autonomie de la Polynésie française est assez relative. En effet, comme le rappelle l'article 176 de la loi statutaire, les normes les plus importantes adoptées par la Polynésie française que sont les lois du Pays doivent respecter une série de normes plus éminentes encore que sont les principes généraux du droit et la Constitution.

Le second est que l'évolution du droit minier est aujourd'hui complètement dominée par les contraintes issues du droit de l’environnement. A l'inverse d'un pays, comme les États-Unis, les considérations environnementales prévalent de manière écrasante sur le développement des activités minières. L'intégration de la Charte de l'environnement dans la Constitution témoigne de cette nouvelle prééminence du droit de l'environnement. Or ce droit comporte de nombreux principes, comme le principe de précaution qui pourraient s'avérer très bloquants…
Le troisième élément important est qu'il existe n'est pas de cadre réglementaire permettant d'accompagner l'éventuel développement des activités minières sous-marines. Le projet de réforme du code minier national n'en prévoit même pas. Quant au code minier de la Polynésie française, qui date d'une délibération de 1985 et qui ne comporte qu'une soixantaine d'articles, il n'est même pas en mesure de constituer un outil fiable pour des activités terrestres. Ces trois facteurs montrent que la mise en place par la Polynésie française d'une réglementation permettant d'accompagner un éventuel développement des activités minières sous-marines, suppose de surmonter d'importants obstacles. "

Les recommandations

Le collège d'experts a émis neuf recommandations à l'attention des autorités.

1. Construire un système d’information afin de mettre en cohérence et organiser l’accès aux données existantes ;
2. Réaliser des campagnes d’exploration, la production de connaissances nécessitant le développement de technologies adaptées ;
3. Définir la stratégie de développement d’une filière sous-marine ou bien décider d’y renoncer, sur la base d’un travail de combinaison des données acquises avec des scénarios technico-économiques affinés et des premières consultations.

La suite dépend du choix qui est fait à ce stade. S’il est décidé de développer la filière, le collège recommande les actions suivantes :
4. Associer les parties prenantes et organiser les dispositifs de gouvernance suffisamment en amont et dans une logique participative ;
5. Inscrire le pays dans les dynamiques régionales, européennes et internationales de coopération, de recherche et d’innovation dans le domaine des ressources minérales profondes
6. Réaliser des programmes de recherche et de développement technologique pour l’exploration, l’exploitation et la métallurgie ;
7. Construire des dispositifs administratifs et réglementaires efficaces et attractifs pour le développement d’un secteur minier sous-marin ;
8. Définir les normes de sélection, de suivi et d’évaluation des projets miniers à des fins de contrôle et de transparence dans la communication publique ;
9. Organiser le suivi et l’évaluation de la politique des ressources minérales sous-marines pour mesurer ses effets et envisager, le cas échéant, des réorientations.


Pratique

L'expertise est publiée aux éditions de l'IRD en version bilingue français/anglais, dans la collection Expertise collégiale.

Rédigé par Mélanie Thomas le Vendredi 6 Mai 2016 à 16:58 | Lu 4375 fois