Papeete d’antan : La place Tarahoi


PAPEETE, le 13 mai 2016. Nous pénétrons cette semaine avec Tahiti Heritage et Vahineitiara dans le cœur du Papeete d’antan, La place Tarahoi qui est le centre administratif, institutionnel et politique de la Polynésie française.

La grande terre Papeete, au lieu dit Taraho’i, est une terre ancestrale de la royauté Pomare. C’est ici, dans cette enceinte sacrée, que les grands chefs et les terribles guerriers du Grand Océan étaient accueillis. C’est ici que les Hīvā y débattaient des grandes questions de pouvoir, de prestige, de gouvernance, de conquête.

Cette terre marécageuse est parcourue par de nombreux ruisseaux souterrains dont la Vaietē qui ressurgit sur la partie sud de cette terre et dont les eaux puissantes (pape/vai) de délivrance et de purification (tē) racontent des rites séculaires dont seules se souviennent encore d’anciennes paroles. En aval de la Vaietē, sur la partie nord-ouest de la terre, se trouve encore une petite parcelle, vestige de la très grande place traditionnelle « Tahua Taraho'i », sur laquelle était érigé autrefois le célèbre marae du même nom « Taraho'i-i-Papeetē ».

Étrangement, cette terre a été et est toujours le centre administratif, institutionnel et politique du pays. Ce site a abrité le Palais royal et l’Hôtel du Gouvernement qui ont fait place à l’Assemblée de la Polynésie française et au Haut Commissariat de la Polynésie Française.

La place Tarahoi vue d’avion dans les années 1970

Avec au premier plan de gauche à droite : Les « double W » de la toiture du Haut Commissariat de la Polynésie Française et sa grande esplanade gazonnée. Au centre, l’Assemblée de la Polynésie française avec son grand toit plat d’ou émerge la toiture de la grande salle en forme de « chip ». Au second plan, la place Tarahoi qui était encore un grand espace gazonné, l’ancien bureau de Poste, en orange la maison de la Reine Marau, puis plus à droite en bleu ciel le Fare Tony.

La place du Gouvernement en 1897

Une place qui fut longtemps symbole de joie et de gaité. Par le passé, un kiosque à musique existait sur la place qui à l’époque s’appelait, tout naturellement, place de la musique. Il avait été installé en 1878 par le gouverneur Planche et attirait, chaque jeudi, la foule venue écouter la fanfare.

Sur la pelouse, avaient lieu, jusqu’en 1966, les concours de chants et de danses qui constituaient l’attraction principale des fêtes de juillet. Le jury siégeait dans le kiosque qui sera du reste déplacé pour laisser plus de place aux danseurs et aux invités.

Paul Gauguin, qui aimait déambuler en cet endroit, raconte : « Dans une ville comme Papeete, il y a beaucoup de partis gouverneur, maire, évêque protestant, missionnaires catholiques, et Mesdames. A ce point qu’un jour de fête du 14 juillet deux dames de magistrats se crêpaient le chignon sur la place publique, se jetant à la tête les faveurs du gouverneur, et les maris, d’honorables magistrats de colonies, prenant fait et cause pour leur moitié, se donnaient des coups de cannes ».

Lucien Gauthier 1897

Le banian en 1890

Du temps de Gauguin, le Cercle militaire, club sélect des officiers et des fonctionnaires métropolitains, occupait la pelouse devant le Palais. Tant qu'il fut admis à ce cercle. Gauguin aimait déguster son absinthe quotidienne sur la plate-forme de bois, garnie de tables et de chaises et construite à deux mètres de hauteur dans les branches d'un énorme banian dont il ne reste plus que la moitié du tronc.

Le Palais royal

La reine Pomare avait sa première résidence ici même. C'était une maison extrêmement simple en bois, sans étage. En 1861 le gouvernement français consentit à aider la reine à construire le nouveau et vaste palais dont elle rêvait. Mais le projet était trop ambitieux et les dépenses augmentaient sans cesse, de sorte qu'il ne fut achevé qu'en 1883, six ans après la mort de la reine et trois ans après la transformation du royaume en colonie. Le gouvernement français trouvant qu'il y avait d'autres dépenses prioritaires ne voulut jamais accorder les crédits nécessaires pour le meubler. C'est ainsi que ce palais qui avait coûté plus de 200 000 francs à la France, ne fut paradoxalement jamais habité. Cependant, il était parfois utilisé pour des fêtes et la dépouille mortelle du dernier roi de Tahiti y fut exposée du 12 au 16 juin 1891 Neuf ans après la mort du souverain, le palais fut vendu aux enchères pour 60 000 francs à un riche commerçant local, procédé qui souleva tant de critiques que l'administration le racheta et y installa le secrétariat général et les services des Finances et du Trésor. Le bâtiment aux épais murs en pierres taillées, était encore en excellent état de conservation au moment de sa démolition en 1966.

Cette maison prestigieuse, d’un si noble caractère et si typiquement « coloniale », aurait mérité d'être conservée comme une relique du Tahiti des Pomare. Partout ailleurs dans le monde elle aurait été transformée en musée.

L’assemblée de la Polynésie française en 1966 et 2016

Le Palais royal étant détruit, l’actuelle Assemblée est construite à son emplacement en 1969 sur les plans des architectes Christian Regaud et Michel Prévot. Mais avant la création de l’Assemblée, il y a eu d’abord la naissance du conseil colonial puis du conseil général à la fin des années 1880 avec le premier gouverneur des Etablissement Français d’Océanie. Le 31 août 1945, la première assemblée représentative est finalement créée et installée sur le quai, à l’emplacement de l’actuel Office du tourisme. Au même moment, la colonie française devient un Territoire d’Outre-Mer, mais il faudra attendre six ans pour que cette première assemblée représentative deviennent l’Assemblée Territoriale des EFO. En 1957, le Territoire d’Outre-Mer change de nom pour devenir la Polynésie française. Une Polynésie qui obtiendra son statut d’autonomie interne en 1984. La Polynésie française se gouvernant désormais librement et démocratiquement, c’est tout naturellement que l’Assemblée Territoriale devient Assemblée de Polynésie française le 12 avril 1996.

L’hôtel du Gouvernement en 1915 (Photo Holmes)

Le Palais du Gouverneur, ou Hôtel du gouvernement se trouvait à l’emplacement de l’actuelle résidence du Haut Commissaire de la République, à l’extrémité de la rue du Petit-Thouars. C’était une grande habitation de bois, de 18 m sur 17 m et haute de 12 mètres, construite à Paris qui a été embarqué en pièces détachées et réédifiée en 1843 à Papeete pour servir de « résidence aux commissaires que la France entretenait auprès de la royauté tahitienne ». Au rez-de-chaussée se trouvaient le service du Chiffre, les bureaux du chef de cabinet et une salle de billard. Le bureau du gouverneur et la residence privée du Gouverneur et de sa famille étaient au premier étage.

En 1858, son pourtour est pourvu de jalousies mobiles, ce qui a notablement modifié l’aspect extérieur du bâtiment. Un bassin avec des poissons rouges, un jardin potager soigné par les prisonniers de la ville, et un tennis l’agrémentaient. On vécut là, les grandes heures de la donation de Tahiti à la France, le bombardement de 1914, et les tragi-comédies de la France libre en 1940... Mais, dès 1930, le gouverneur Bouge se plaignait de risquer sa vie à chaque instant en passant au travers des planchers termités, et prétendait que seules les couches de peintures maintenaient la cohésion de l’édifice.

La résidence du Haut commissaire de la République

L'actuelle résidence du Haut-commissaire est construite en 1968 par les architectes Christian Régaut et Michel Jean Prévôt dans un soi-disant style « néo-polynésien » Elle remplace l’Hôtel du Gouvernement, installé à Tahiti en 1843, mais démoli, comme nous l’avons vu pour vétusté en 1966. L’agencement comprend notamment une salle à manger de 32 couverts, sept chambres à coucher et neuf toilettes. La décoration réalisée par Tallien et Chauvin de Saint-Tropez est d’un style un peu « pompeux » typique des années 60 : marbre d’Italie et de Sienne, carrelage de Provence; glaces imitation XVIIIème siècle, avec des meubles de style « ancien sino-italiens du XVIe siècle ».

Maison de la reine Marau

Témoignage d’un passé que l’on pourrait qualifier de « colonial », cette magnifique demeure en face de l’Assemblée de Polynésie, à Papeete appartenait autrefois à la reine Marau.

En 1844, Ariitaimai et son époux Alexandre Salmon s’installent sur cette terre dite Papeete, offerte par la reine Pomare IV à sa cousine. Une première maison y est construite. En 1899, elle est dans un tel état de délabrement que la reine Marau, fille des époux Salmon, se décide à en faire construire une nouvelle.

La princesse Takau, fille de la reine Marau décrit ainsi la maison :

« Ma mère vivait à Papeete, dans une grande maison de bois qu’elle avait fait bâtir, d’après ses propres plans, par un charpentier tahitien. On avait dû la couvrir avec des tôles ondulées. Les toits de pandanus n’étaient plus alors autorisés à Papeete, par suite du danger d’incendie. C’est bien dommage car ces feuilles de Pandanus entretenaient la fraîcheur à l’intérieur des habitations.

Cette maison, située sur l’ancien «Broom road» entre le Palais Pomare et la mer, remplaçait la demeure bâtie à la chaux et couverte de feuillage qu’avait longtemps habitée Ariitaimai (la mère de la reine Marau).

La maison était très spacieuse, avec deux larges vérandas à ses extrémités, l’une en face de l’ancien palais, l’autre face à la mer. Elle était entourée d’arbustes aux couleurs chaudes, de plantations de tiare et de jasmin qui l’enveloppaient de leur doux parfum. Ces vérandas vous mettaient à l’abri de la réverbération et de la chaleur, de sorte que l’on vivait très peu dans les chambres. C’est face à la mer que ma mère se tenait le plus souvent ; c’est là qu’elle recevait ses intimes, tandis que le grand salon aux murs couverts de portraits de famille et meublé avec ce qu’elle avait pu sauver en rachetant une partie du mobilier du palais lorsqu’il fut vendu aux enchères, ne servait que pour recevoir les visiteurs de marque. Face au salon, il y avait la grande salle à manger en continuation de la véranda, à droite de laquelle se trouvait une autre salle à manger plus petite ; ouverte sur le jardin ; de l’autre côté une petite véranda qui donnait accès au jardin et par laquelle on pénétrait là où se tenait le plus souvent ma mère »

Plusieurs tentatives ont été lancées pour protéger cette maison. En 1971, Rudy Bambridge a lancé une pétition pour la sauvegarde de la maison de la reine avec l’appui de nombreuses personnalités du monde de l’art, locales métropolitaines et américaines. Plus récemment, un projet de classement de la maison a été proposé à la commission des monuments naturels et des sites, mais le dossier est resté sans suite, les propriétaires demandant un prix exorbitant.

Pierre Carabasse. Course de porteurs de fruits devant la Maison de la Reine Marau en juillet 1966

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Rédigé par TAHITI HERITAGE le Vendredi 13 Mai 2016 à 15:32 | Lu 3552 fois