Paeke : les tiki des Taïpi


La partie basse du site de Paeke : en 1925, Linton l’avait référencé dans son travail de recherche aux Marquises, puis Heyerdhal et Ferton le signalèrent à nouveau en 1961.
PAPEETE, le 28 décembre 2017- Dans l’imagerie populaire, les grands tiki de Polynésie sont originaires de Hiva Oa (Puamau exactement), aux Marquises, et de Raivavae, aux Australes. Un troisième site moins connu, celui de Paeke, sur l’île de Nuku Hiva, mérite le déplacement.

Parmi les sites exceptionnels des Marquises, celui de Paeke, dans le fond de la large vallée de Taipivai, justifie une visite. Ces quelques lignes vous aideront peut-être à mieux apprécier la balade.
C’est dans cette vallée profonde de Taipivai, prolongée par la baie du Contrôleur, que résidaient jadis les redoutables et redoutés Taïpi chez qui le merveilleux conteur que fut Hermann Melville passa, “prisonnier volontaire”, quatre semaines avec la peur au ventre : les Taïpi avaient la fâcheuse habitude de mettre à leur menu tous ceux qui pénétraient dans leur domaine…


Site classé depuis 1952

Le site de Paeke vu depuis sa terrasse supérieure ; au premier plan, une fosse qui a pu avoir deux usages ; conserver les fruits de l’arbre à pain ou des prisonniers dans l’attente d’être sacrifiés.
L’ambiance est beaucoup plus calme aujourd’hui et il suffit d’une petite heure de voiture, au départ de Taiohae, pour atteindre Paeke, sur le versant nord de la vallée (à 2 km de Taipivai, en direction de Hatiheu).
L’ensemble lithique du meae de Paeke, décrit par Ralph Linton en 1925, a été classé, murs et tiki, en 1952. Le site, disons-le de suite, n’est pas immense. Une clairière, un quadrilatère en pente de soixante mètres par quarante mètres de côté environ, menacé d’être avalé par la forêt l’entourant, accessible seulement par un étroit sentier.


Les Marquisiens de Taipivai sont fiers de ces vestiges, mais l’entretien du site doit être permanent au cœur de la masse végétale qui l’entoure.
Dans les années cinquante, une équipe d’archéologues américains entreprit des travaux de dégagement et de restauration. Celle-ci fut partielle, mais du moins les Américains parvinrent-ils à extraire ces ruines de leur gangue végétale. Depuis, l’entretien a été très variable en qualité, mais l’ouverture, il y a quelques années, du sentier qui mène au site, à trente minutes de marche de la route, attire aujourd’hui de nombreux touristes. De ce fait, les édiles locaux sont bien inspirés, désormais, de veiller à entretenir ces vestiges d’un grand intérêt dans la statuaire marquisienne.


Des tiki avec des noms

Face à face avec le plus grand tiki de Paeke ; il mesure environ cent soixante-dix centimètres de hauteur.
Pour le visiteur qui arrive sur place, l’émotion est forte, au sortir de la forêt, de tomber nez à nez avec un premier mur duquel semblent jaillir en relief de gros tiki. Deux plate-formes carrées constituent le me’ae (site sacré), une première à peu près parfaite dans la partie basse du site et une seconde appuyée sur la pente naturelle, un peu plus haut, dominant le site comme une muraille (elle n’a donc que trois côtés, le dernier étant la pente de la montagne).

Les deux structures sont richement ornées de tiki énigmatiques insérés entre les pierres, comme autant de sentinelles. Tous, ou presque, ont des noms, même si, parfois, les uns et les autres aujourd’hui sont en désaccord sur les appellations.
On peut ainsi citer : Oneua (tiki double), Puamaumau Etua (tiki simple), Matuoto (tiki décapité), Haehaa, Haeouti, Vehea Etua, Mei te Moana...
Le plus grand mesure 1,70 m, ce qui en fait une très belle pièce dans la statuaire marquisienne. Tous sont sculptés dans un tuf rougeâtre ou grisâtre friable et très facilement attaquable (le ke’etu). L’érosion est importante, les éléments semblant bien décidés à dissoudre ces souvenirs cultuels anciens. Et si rien n’est fait, il n’est pas besoin d’être devin pour prédire que dans quelques décennies, il ne restera que des formes imprécises en lieu de place des tiki actuels, déjà très “fatigués” par leur exposition au grand air.
Faut-il remplacer les originaux par des copies et mettre les premiers à l’abri, en vue d’une restauration ? Faut-il les restaurer sur place ? Nous n’avons évidemment pas la réponse et la solution à ce problème archéologique.


L’oubli a presque tout effacé

Les Marquisiens étaient-ils quatre-vingt mille avant l’arrivée des Européens, comme certains le soutiennent ? Pas de recensement à cette époque, pas de certitudes, mais une réalité incontournable : ils n’étaient plus qu’un souffle de peuple en 1926, exactement 2094 survivants (9 habitants à Taipivai à cette époque ; autant dire que tout a été effacé de la mémoire collective de cette vallée) : l’Occident et son cortège de santaliers, de baleiniers, de beachcombers, porteurs de toutes les maladies et de tous les germes de dissension (armes à feu, alcool…) étaient passés par là.
Comme à l’île de Pâques, l’oubli est le fait culturel majeur de cet archipel où le passé a été noyé par la brousse, la forêt et surtout l’indifférence associée à l’ignorance.
À Paeke, la mémoire d’hier est à fleur de pierres. Des pierres précieuses (mais muettes), qui méritent, dans leur écrin de verdure, une protection durable…

Textes et photos : Daniel Pardon


Des tiki « femmes » ?

Certains chercheurs du début du XXe siècle ont affirmé que tous les tiki de Paeke étaient des représentations de femmes, interprétation aujourd’hui très largement remise en cause.
Selon les premiers, certains tiki étaient féminins car les seins étaient dessinés sur la pierre et parce qu’ils n’avaient pas de sexe apparent. Toujours selon les mêmes archéologues, les tiki avec ce qui ressemblent à des sexes masculins étaient des représentations de femmes portant des cache-sexes ou des ceintures, à la manière des cartouches que l’on trouve à la base de certains moai à l’île de Pâques.
Aujourd’hui, un consensus est à peu près établi pour considérer que ces tiki sont pour certains masculins et pour d’autre féminins.

Nuku Hiva pratique

Pour y aller
Quasiment un avion par jour au départ de Tahiti (ATR). Vols directs certains jours. Atterrissage à Terre Déserte, à l’opposé de Taiohae. Une bonne heure à une heure trente de route bétonnée. Prévoir des frais de taxi élevés (5 000 Fcfp/personne environ) si vous n’avez pas de liaison prévue entre le petit aéroport et votre hébergement.

Pour y séjourner
Tahiti Infos, avec Séjours dans les îles, a choisi l’établissement le plus moderne et le plus confortable, le Nuku Hiva Keikahanui Pearl Lodge. Bungalows très confortables nichés sur le flanc ouest de la baie de Nuku Hiva, dans un jardin aux riches essences tropicales. Restaurant, bar, piscine, de quoi se délasser après une journée de randonnée. Autre possibilité d’hébergement, la pension Mave Mai pour les budgets plus serrés.

Quoi faire ?
On ne va pas à Nuku Hiva pour ses plages. Certaines sont gardées par des hordes de nono, ainsi que quelques coins de vallée. Redoutable expérience. On va aux Marquises pour faire de la randonnée, ou pour visiter : Taipivai bien sûr (où séjourna Melville ; relisez “Typee”, roman et document extraordinaire), la cascade de Hakaui au fond de sa vallée, Hatiheu (sites archéologiques exceptionnels), Anaho (seule belle plage frangée de coraux), et Aakapa avec ses somptueux clochetons de basalte.

À savoir
Nono blancs, nono noirs, moustiques… Ne partez pas en balade sans vos produits “anti-bestioles”, sous peine d’être une cible de choix.










Rédigé par Textes et photos : Daniel Pardon le Jeudi 28 Décembre 2017 à 15:19 | Lu 3491 fois