PGE, les entreprises coincées dans les taux


Les prêts négociés avec l'État pendant la crise Covid reviennent comme un mauvais boomerang au visage des entreprises polynésiennes. (Archives TI)
Tahiti, le 23 juillet 2023 - Plus de 900 prêts garantis par l'État ont été souscrits par des sociétés polynésiennes pendant la crise Covid pour disposer d’une trésorerie et se maintenir à flot. Trois ans plus tard, le remboursement de ces PGE engendre incertitudes et inflation.

2020, le Covid-19 frappe aveuglément et bloque l'économie. Dans tous les pays, l'activité se met à tourner au ralenti. La plupart d'entre-eux confinent leur population, les industries sont à l'arrêt. S'ouvrait alors le bal de deux années de marasme économique au cours desquelles, faute d’intervention de la puissance publique, de nombreuses entreprises se trouvaient menacées de mettre la clef sous la porte. 

En Polynésie française, sur des confettis éparpillés au beau milieu de l'océan Pacifique, cette réalité a frappé d'autant plus fort que l'économie dépend grandement (en dehors des versements de l'État, bien entendu) des revenus du tourisme. 

L'État lancait alors les Prêts garantis par l'État (PGE), mis en place pour aider les sociétés à garder la tête hors de l'eau. En avril 2020, 60 milliards de francs sont débloqués par l'État pour aider les entreprises polynésiennes. Un montant sur lequel Paris apporte une garantie à hauteur de 90%. Les 10% restants représentent le “risque contenu” pris par les banques “qui y vont à reculons”, expliquait alors Matahi Brothers, ancien directeur de la Socredo et président du comité des banques de la Polynésie française. 

Ces PGE seront plafonnés à 25% du chiffre d'affaires 2019 pour les entreprises créées avant le 1er janvier 2019 ou à deux années de masse salariale estimée pour celles créées après cette date. Les taux d'intérêt applicables sont alors de 0,75% la première année et comprendront une part variable à partir de la seconde. L’opportunité est apparue providentielle, alors.

Mais c’est cette part variable qui pose aujourd'hui problème. “Il n'y a pas de réponse particulière qui a été donnée par les autorités en dehors du Prêt garanti par l'État (PGE), qu'il faudra rembourser ensuite et au vu de l'activité que l'on a, ça va être compliqué de rembourser”, s'inquiétait déjà en 2021 un patron de boîte de nuit. 

Des taux directeurs inquiétants pour la suite

Le gouvernement Brotherson a lui aussi découvert le problème au moment d'étudier les comptes du Pays et de préparer le collectif budgétaire. “Dans un contexte d’évolution haussière, les taux pourraient s’établir de 4,5 à 5% sur les prochaines tranches.

Ces PGE, plus de 900 entreprises polynésiennes en ont contracté un. L'IEOM en 2022 expliquait que 942 PGE avaient été octroyés au fenua représentent la bagatelle de 55 milliards de francs de prêts octroyés. 70% des entreprises ayant contracté des PGE étaient des très petites entreprises (TPE) de moins de 10 salariés et 25% des PME.

L'IEOM a remonté ses taux de façon importante”, constate aujourd’hui Christophe Plée, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). “Il y a plein d'entreprises qui sont aujourd'hui dans la panade pour rembourser ce PGE. Les taux sont calés sur le taux de réescompte de l'IEOM en lien avec les augmentations de la Banque Centrale européenne.” 

En effet, pour contrer les effets de l'inflation, l'IEOM a augmenté ses taux directeurs. Mais cette augmentation provoque par plusieurs phénomènes par ricochet : La hausse des taux d'emprunts bancaires pour les particuliers (crédits d'acquisition de logement et voiture) qui va faire baisser le pouvoir d'achat des ménages ; et pour les entreprises, c'est la baisse de leur capacité d'investissement. “L'impact est énorme pour les entreprises”, explique-t-on du côté du Medef. “Et même si on veut rembourser par anticipation, il faut payer les frais de garantie à l'État. Les conditions de remboursement sont tellement défavorables à l'entreprise qu'elle va préférer payer le crédit que rembourser la totalité en une fois.” 

Lors de la signature de ces PGE, les taux en vigueur avoisinaient les 0,7%. Une aubaine pour les entreprises qui pouvaient alors payer leurs employés en l'absence d'activité, ou reconstituer leurs trésoreries pour maintenir la capacité d'investissement de l'entreprise. Désormais, avec des taux qui approchent les 4% et qui pourraient encore augmenter, ces mêmes entreprises, sauvées par les PGE, se retrouvent dans l'obligation d'augmenter leurs marges pour ne pas être coulées par le remboursement de ce dernier. Paradoxal dites-vous ? 

L’institut Rexecode estimait récemment que 9% des entreprises qui ont contracté un PGE pour soutenir leur activité lors du Covid craignent de ne pas pouvoir les rembourser. Désormais, beaucoup de sociétés polynésiennes vont devoir se débattre avec ce remboursement de prêt en augmentant leurs marges pour pouvoir les honorer. Dans ces conditions, le retrait de la Taxe CPS promise en octobre par le gouvernement Brotherson, risque fort d'être parfaitement invisible sur les prix des denrées et des services.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 24 Juillet 2023 à 04:55 | Lu 3903 fois