Oui ou non à l'indépendance de la N-Calédonie: les conséquences en débat à Paris


Nouméa, France | AFP | vendredi 20/05/2021 - A l'invitation de Jean Castex, indépendantistes et loyalistes de Nouvelle-Calédonie se réunissent du 25 mai au 3 juin à Paris pour tenter de préciser les conséquences du maintien ou non de l'archipel dans le giron français.

"Il s'agit de forcer tout le monde à discuter de ce que sera le jour d'après", indique-t-on dans l'entourage de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer.

Ces échanges sont indispensables alors qu'un troisième et dernier référendum sur l'indépendance doit se tenir avant octobre 2022 en Nouvelle-Calédonie, mettant un terme à l'accord de Nouméa (1998), qui a organisé l'émancipation progressive de ce territoire de 270.000 habitants. 

Les deux premiers scrutins référendaires, en 2018 et 2020, ont vu la victoire des partisans du maintien dans la France, avec des scores qui se sont érodés de 56,7% à 53,3%. 

Quel que soit le résultat du troisième vote, il faudra imaginer un nouveau statut pour le "caillou" où les clivages politiques sont aussi communautaires, entre loyalistes très majoritairement d'origine européenne et indépendantistes kanak (peuple autochtone).

La semaine dernière, le gouvernement a transmis à dix dirigeants locaux (5 loyalistes, 5 indépendantistes) un document de plus de 40 pages, attendu de longue date, détaillant les conséquences du oui et du non à l'indépendance.

Ce texte confidentiel, qui doit nourrir les échanges parisiens, décline les impacts techniques, juridiques et financiers dans le domaine des compétences régaliennes, de la citoyenneté, de l'économie, du corps électoral ou encore de la position vis-à-vis de l'ONU. Depuis 1986, la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des pays et territoires à décoloniser des Nations Unies.

"On a toujours réclamé que la France nous dise quels sont ses intérêts à maintenir sa présence ici", rappelle Gilbert Tyuienon, vice-président de l'Union Calédonienne (UC-FLNKS) dont le parti avertit que "rien" ne serait validé à Paris.

Côté loyaliste, Thierry Santa, président du gouvernement et du parti Rassemblement-LR, salue "le travail de fond de l'Etat, qui va pouvoir être exploité lors des discussions".

Des réunions avec différents ministères référents selon les thématiques sont à l'agenda, dont un entretien avec le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sur la place de la Nouvelle-Calédonie dans l'axe Indo-Pacifique, que défend la France en contrepoint à "l'hégémonie chinoise".

Une "séquence" avec Emmanuel Macron pourrait "éventuellement" avoir lieu, a en outre indiqué le ministère des Outre-mer.

Désunion du FLNKS

La question sensible de la date du troisième référendum sera également évoquée. Les non indépendantistes le réclament "au plus vite" soit fin 2021, tandis que les indépendantistes n'en veulent pas avant septembre 2022.

La période intermédiaire a été neutralisée pour éviter que le dossier calédonien ne devienne un enjeu national des élections présidentielle et législatives.

Compte tenu des divergences, la date du scrutin pourrait n'être arrêtée que fin juin. 

Le paysage politique de Nouvelle-Calédonie ne sera pas au complet à Paris.

L'Union nationale pour l'indépendance (UNI), qui forme avec l'Union Calédonienne (UC) les deux tendances du FLNKS, ne feront pas le voyage, en raison notamment d'un objectif "flou" de l'Etat "quant aux résultats escomptés et leur formalisation".

Cette formation, dont le chef de file est l'influent président de la province nord, Paul Néaoutyine, a aussi mis en cause la transmission jugée tardive du document sur les implications du oui et du non et "la rupture observée depuis 2 ans dans le pilotage de l'accord de Nouméa".

Il s'agit d'un nouvel épisode dans la lutte fratricide entre l'UC et l'UNI, qui par ailleurs empêche le nouveau gouvernement collégial élu le 17 février, d'entrer en fonction.

Alors que pour la première fois depuis le début de l'accord de Nouméa, les indépendantistes sont majoritaires dans l'exécutif (six membres sur 11), UNI et UC se disputent sa présidence. Le gouvernement sortant, présidé par Thierry Santa, est cantonné à l'expédition des affaires courantes. 

"C'est l'une des raisons majeures de notre décision" de ne pas aller à Paris, indique l'UNI, assurant ne pas "vouloir minimiser l'impact sur la crédibilité (des indépendantistes)" de cette situation au gouvernement local.

des accords de Matignon à un troisième référendum

Depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie est lancée dans un difficile processus de décolonisation par étapes, qui va donner lieu avant octobre 2022 à un troisième et dernier référendum posant à nouveau la question de son indépendance.

- 1988: Ouvéa et Matignon -
Cet archipel du Pacifique sud, français depuis 1853, connaît une période de troubles avec le boycott en 1984 des élections territoriales par les indépendantistes du FLNKS et surtout la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988, au cours desquels 19 militants kanaks et six militaires ont été tués.

Moins de deux mois après, le 26 juin 1988, les accords tripartites dits "de Matignon" sont conclus non sans mal entre Jean-Marie Tjibaou pour le FLNKS (indépendantiste), Jacques Lafleur pour le RPCR (anti-indépendantiste) et le Premier ministre socialiste Michel Rocard.

Ces accords, ratifiés par les Français lors d'un référendum le 6 novembre 1988, créent trois provinces (Nord, Sud, Iles Loyauté) et prévoient l'organisation d'un scrutin d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie dans les dix ans.

Le 4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, autre figure du FLNKS, sont tués par balle par le kanak indépendantiste Djubelly Wéa, qui ne lui a pas pardonné d'avoir signé ces accords.

- 1998: l'accord de Nouméa -
Dix ans plus tard, le 5 mai 1998, la signature de l'accord de Nouméa, sous l'égide du Premier ministre Lionel Jospin, lui aussi socialiste, instaure en Nouvelle-Calédonie un processus de décolonisation sur vingt ans. 

Ce texte fondateur, conclu entre l'État, les anti-indépendantistes et les indépendantistes kanaks, puis ratifié à 72% par les Calédoniens lors d'un référendum, organise l'émancipation par étapes de l'archipel. C'est également le garant du maintien de la paix en Nouvelle-Calédonie, après la quasi-guerre civile des années 80.

Un référendum d'autodétermination est prévu entre 2014 et 2018 au plus tard. En cas de rejet de l'indépendance, deux autres scrutins référendaires sont possibles jusqu'en 2022.

- 2018: "Non" à l'indépendance mais poussée du FLNKS -
Le Parlement adopte en 2009 un projet de loi qui permet des transferts progressifs de compétences de l'État à la Nouvelle-Calédonie, assortis de leurs modalités financières, pour les affaires de police, l'organisation scolaire ou le droit civil et commercial.

Ensuite, conformément à l'accord de Nouméa, un référendum est organisé le 4 novembre 2018 au cours duquel 175.000 électeurs, inscrits selon des critères restrictifs sur la Liste électorale spéciale pour la consultation (LESC), sont amenés à répondre à cette question: "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?". Il débouche sur la victoire du "non" à l'indépendance (56,7%), tout en étant marqué par une forte percée des indépendantistes (FLNKS).

- 2020: Nouveau référendum -
Ces derniers demandent l'organisation d'une nouvelle consultation, comme les y autorise l'accord de Nouméa.

Cette nouvelle consultation est précédée de nombreuses polémiques, le FLNKS reprochant notamment à l'Etat français de "prendre fait et cause pour le non".

Le non l'emporte cette fois à seulement 53,26% des voix, confirmant la percée des indépendantistes.

- 2021: dernier référendum -
Le 8 avril 2021, les deux groupes FLNKS au Congrès (25 élus sur 54) demandent l'organisation du troisième et dernier référendum sur l'indépendance à l'Etat, qui dispose de 18 mois pour l'organiser et en fixera la date par décret, après consensus entre les acteurs politiques calédoniens. 

Cette date suscite pour le moment des divergences. Les indépendantistes souhaitent que le référendum ait lieu au plus tard (septembre-octobre 2022) et les non indépendantistes au plus tôt en 2021. La période intermédiaire a été neutralisée d'un commun accord pour que la Nouvelle-Calédonie ne devienne pas un enjeu des campagnes électorales présidentielle et législative.

Une éventuelle indépendance de la Nouvelle-Calédonie serait une première pour la France depuis celle de Djibouti (1977) et du Vanuatu (1980), ex-Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, voisin de la Nouvelle-Calédonie.

le Vendredi 21 Mai 2021 à 06:03 | Lu 440 fois