Oscar Temaru : "Organisons un référendum"


Tahiti, le 5 octobre 2020 – Dans une interview accordée lundi à Tahiti Infos, le leader indépendantiste, Oscar Temaru, commente les résultats du référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie ce week-end et s'exprime sur le parallèle avec la situation institutionnelle en Polynésie française. Le président du Tavini ne manque pas de tacler l'opportunisme de Gaston Flosse sur cette question et dénonce une nouvelle fois la position de l'État face aux revendications souverainistes au fenua.
 
Que pensez-vous du score obtenu par le "Oui" au référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie ?
 
"J'aimerais d'abord faire une rétrospective sur cette affaire qui ne date pas d'aujourd'hui. Il y a eu la réinscription de la Nouvelle-Calédonie en 1986 et ensuite le début des Accords de Matignon en 1988. C'était quelque chose en quoi Jean-Marie Tjibaou ne croyait pas tellement. On en a discuté un peu. Son seul souci, c'était de calmer les esprits parce que la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. C'était ça la situation. Mais bon, il y a eu des missions pour la pacification, pour calmer les esprits… Mais dans sa tête, aussitôt le calme revenu, le combat c'est le droit de souveraineté du peuple kanak. Et peu importe les résultats. Je ne veux pas parler des chiffres. Je pense qu'on peut analyser les résultats du premier et du deuxième tour en affirmant qu'il est clair que 95% du peuple kanak souhaite la reconnaissance de ce droit de souveraineté. Et c'est ça la responsabilité de la France. Reconnaître ce droit de souveraineté. Il n'y a pas besoin de faire un troisième référendum. Ça suffit comme ça, c'est clair. C'est le peuple kanak qui a été privé de ce droit de souveraineté. Et c'est ça qu'il faut que la France reconnaisse. Écrire une Constitution avec toutes les parties et mettre cette Constitution en place pour la Nouvelle-Calédonie. Et que cette Constitution garantisse le droit de vote à tous ceux qui figurent sur la liste électorale arrêtée en 1988. Ce qui fait que la Nouvelle-Calédonie sera un État souverain qui reconnaît l'égalité des Droits de tous ceux qui ont décidé de vivre en Nouvelle-Calédonie. Et qui sait ? Il y aura des élections et peut-être que le futur président de la Nouvelle-Calédonie sera monsieur Thierry Santa ? On l'a vu au Vanuatu avec un Tahitien premier ministre. Le premier maire de Port Villa, c'est aussi un Français… Mais voilà ce qu'il faut faire, reconnaître clairement la volonté du peuple kanak de récupérer son droit de souveraineté."
 
Pensez-vous néanmoins qu'il soit encore possible que ce score évolue lors du troisième référendum ?
 
"Je pense que les Kanaks ont une belle progéniture, surtout dans les tribus. Il y a des gosses de 16 à 17 ans qui auront le droit de vote d'ici deux ans et cela fera un électorat assez important."
 

"Flosse n'est pas concerné du tout par notre combat"

Est-ce que vous souhaitez un tel référendum en Polynésie française ?
 
"Les arguments utilisés par nos adversaires politiques se basent sur les statistiques des dernières élections, qu'elles soient territoriales, municipales ou sénatoriales, pour dire que la majorité de la population ne veut pas entendre parler de l'indépendance. C'est pour ça que nous demandons : Organisons un référendum. Parce que ce ne sera plus le même électorat."
 
En Nouvelle-Calédonie, ce sont les Accords de Matignon qui ont conduit à l'organisation de ce référendum. Est-ce qu'en Polynésie française, en l'absence de dialogue avec la France sur ce processus, la réinscription en 2013 à l'ONU peut permettre à elle seule d'arriver à un tel référendum ?
 
"Je ne vais pas refaire l'histoire. Que s'est-il passé le 17 mai 2013 ? Le premier acte adopté par le gouvernement territorial de monsieur Gaston Flosse a été de faire passer une motion pour s'opposer à la réinscription de notre Pays. Et ça, c'est un ordre du gouvernement français dès le départ. Et on l'a vu au niveau du comité de décolonisation de l'ONU. Dès qu'on arrive sur la question de la Polynésie, le représentant de la France se lève et s'en va. Ils ne reconnaissent pas la réinscription de notre Pays. Ensuite, après le renversement du gouvernement de monsieur Gaston Flosse, ils ont trouvé quelqu'un d'autre pour venir prendre la parole à New York. On ne veut pas avoir affaire à eux, on veut avoir affaire à l'État. Ce pays a été colonisé par l'État, pas par Édouard Fritch."
 
Roch Wamytan expliquait il y a quelques jours dans une interview à Radio 1 que si la Nouvelle-Calédonie basculait vers l'indépendance, la Polynésie suivrait elle aussi. Est-ce que vous pensez que la situation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie peut avoir des conséquences sur celle de la Polynésie ?
 
"Oui, oui, oui. Et c'est ce que craint l'État. C'est sûr que ça aura un impact sur la Polynésie. J'en suis sûr. Parce que c'est le même combat. Nous avons commencé ensemble. Nous avons réussi la réinscription de la Nouvelle-Calédonie en 1986 alors que l'on devait le faire ensemble. Nous sommes partis au Forum de Suva et la résolution qui a été prise concernait la Nouvelle-Calédonie. Mais dans notre stratégie avec Jean-Marie Tjibaou et le FLNKS, l'idée était de faire passer les deux pays en même temps. Et après concertation, Jean-Marie m'a dit qu'il avait peur que la France utilise son droit de véto. Qu'il valait mieux traiter d'abord le cas de la Nouvelle-Calédonie et que l'on reviendrait l'année prochaine pour la Polynésie. Je lui ai dit oui. Malheureusement, il y a eu tout ce qui s'est passé après…"
 

Polynésie et Calédonie : "La colonisation est la même"

Et qu'est-ce qui fait qu'il y a aujourd'hui une telle différence sur l'avancée du processus d'évolution institutionnelle entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ? Est-ce que ce sont uniquement des évènements marquants comme ceux d'Ouvéa par exemple ?
 
"Non… La colonisation est la même. Que ce soit chez nous, en Afrique ou dans d'autres pays. C'est le système colonial. Simplement, depuis le combat de monsieur Pouvana'a a Oopa, nous avons affaire aux mêmes adversaires politiques qui continuent à tromper notre population. Quand monsieur Gaston Flosse parle d'indépendance et dit qu'il serait aussi pour l'indépendance, je rigole et je dis qu'un chien saura pédaler avant. Non, il n'est pas concerné du tout par notre combat. C'est un peu les colons de notre Pays… Donc qu'est-ce qui renforce ce comportement là ? C'est cette politique d'assistanat, soutenue par l'État. Tout ce qui intéressait la France, notamment pendant les essais nucléaires, c'est la paix sociale. Et Gaston a obtenu tout ce qu'il voulait… Et ça continue jusqu'à aujourd'hui. Parce que lorsque l'on parle de l'assistanat, il y a des assistés mais il y a aussi les autres. Il y a les achetés et les acheteurs, comme on dit. Il y a les corrompus et les corrupteurs… Ça c'est l'enjeu qui fait que l'État ne veut pas lâcher le morceau. Aussi bien en Nouvelle-Calédonie, où ce n'est pas fini cette affaire. On sait qu'il y a le nickel là bas, on sait ce qu'il y a ici. Mais bon sang, le droit de souveraineté n'a pas à tenir compte de tout ça."
 
Vous ne pourriez donc même pas vous entendre avec Gaston Flosse sur la finalité d'un référendum ?
 
"Non, ce n'est pas avec Gaston Flosse qu'il faut qu'on s'entende. C'est avec l'État. C'est pour ça qu'il nous fallait un œil extérieur, parce que sinon le rapport de force n'est pas assez équilibré. C'est pour ça que notre stratégie a toujours été de réussir notre réinscription. Comme pour la Nouvelle-Calédonie d'ailleurs. Si elle n'était pas réinscrite sur la liste des Pays à décoloniser, ils auraient eu beau faire… Heureusement, il y avait la pression des pays du Forum et la pression des pays du monde entier parce que la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. On se pose la question, faut-il en arriver là pour que notre droit de souveraineté soit reconnu par la France ? On se pose la question…"
 
Quand on compare notre situation politique de ces dernières années avec la Nouvelle-Calédonie, on a l'impression que le débat idéologique entre indépendance et autonomie est moins présent en Polynésie française ?
 
"Ce sont plutôt les médias que je critique. À chaque fois quand j'entends et j'analyse ce qui se dit, c'est toujours pour soutenir le parti majoritaire en place et maintenir le statu quo. Et nous on avance avec nos petits moyens."
 
Croyez-vous ceux qui appellent à dépasser ce clivage indépendance-autonomie en Polynésie ?
 
"Non. On essaie de confondre la situation sociale ou les problèmes économiques du pays avec les compétences qui sont accordées pour dire qu'on n'a plus rien à revendiquer, qu'on a les apparats d'un État souverain et qu'on se suffit avec ça… Ça, on peut raconter ça aux gens de Pukarua ou de Reao, mais pas au niveau international. Ça ne marche pas."
 
Dernière question sur une idée que l'on entend souvent comme contre-argument à l'indépendance. Faut-il selon vous d'abord créer les conditions de l'autogestion, notamment économique, pour accéder ensuite à l'indépendance ou est-ce qu'il faut obtenir l'indépendance et réadapter ensuite notre développement ?
 
"J'ai toujours dit que c'est le politique qui doit dicter l'économie. Et non le contraire".
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 6 Octobre 2020 à 09:22 | Lu 13013 fois