Opération "action et vérité" de l'armée à Moruroa


Avant de rénover le système de surveillance géo-mécanique Telsite, il faudra restaurer les infrastructures de l'atoll de Moruroa, notamment les routes pour faire accéder les engins et l'espace de vie où résident une trentaine de militaires chargés de la surveillance de l'atoll.
MORUROA, 13 février 2014. Le ministère de la Défense a programmé la modernisation de l’ensemble du dispositif de télésurveillance géo-mécanique Telsite de l’atoll de Moruroa alors que plusieurs rapports officiels évoquent, depuis 2010, un risque d’effondrement de la structure géologique de l’atoll. La presse a été conviée ce jeudi pour une visite sur site voulue rassurante.

> Lire : Anne Cullerre : "Moi, j’ai envie d’expliquer ce qu’est Moruroa, aujourd’hui"

Le dispositif Telsite de surveillance des mouvements géo-mécaniques sur l’atoll de Moruroa, installé début 1980, puis automatisé en 1997 présente des signes de fatigue. Le chantier de sa rénovation est planifié pour être achevé à l’horizon 2017. Il est qualifié d’"important" par l’Armée qui estime à "plus de 50 millions d’euros" (6 milliards de Fcfp), l’investissement sur la période 2014-2017.

"Un projet qui est ancien et que nous devons bien réaliser à un moment", explique la contre amiral Anne Cullerre, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française.

Le système Telsite comprend notamment un réseau de capteurs sismiques disposés en surface et d’autres placés dans six puits, profonds de plusieurs centaines de mètres. Ces capteurs mesurent les mouvements de sols en profondeurs sous les zones Françoise, Camélia et Irène. Ces trois secteurs situés au nord-est de l’atoll ont été fortement sollicités lors des expérimentations nucléaires souterraines menées par l’armée française et sont susceptibles d’être le théâtre de l’effondrement d’un bloc de falaise corallienne voire d’un affaissement plus grave. Des phénomènes dont l’éventualité avait été évoquée en janvier 2011 dans un rapport réalisé sous la direction Marcel Jurien de la Gravière, l’ancien Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSDN). Ce document soulignait, pour la première fois, le risque du glissement d'une "loupe" de la pente extérieure océanique de Moruroa.

Le volume prévisible de cet effondrement pourrait alors atteindre les 670 millions de m3. Un effondrement qui causerait une vague de 2 à 20 mètres de haut dans l’hypothèse "la plus pénalisante", et exposerait la population de l’atoll voisin de Tureia. Si cet effondrement se produisait le rapport de 2011 laissait également craindre un risque diffusion dans l’océan de résidus de plutonium stockés dans le sous-sol de l’atoll.

Le bilan 2010 de Surveillance de l’évolution géo-mécanique de l’atoll de Moruroa, publié en juin 2012, a confirmé ces perspectives potentiellement alarmantes. De manière beaucoup plus laconique, ce rapport officiel suggérait un risque d'effondrement de la zone Camélia, émettant l’hypothèse que la totalité de cette partie de Moruroa "est en mouvement".

Le réseau de surveillance géo-mécanique placé sur l’atoll est ainsi chargé d’observer les effets possibles d’une modification de la structure géologique profonde des zones Françoise, Camélia et Irène, de Moruroa consécutivement aux puissantes explosions nucléaires souterraines. La formation de zones de fracture a pu altérer leur stabilité, voire leur étanchéité.

Les grandes manœuvres sur le point de débuter pour moderniser le système Telsite sont présentées dans ce contexte comme "un projet de rénovation entrepris depuis 2010. On savait qu’il fallait rénover : les capteurs filaires situés en profondeur commencent à s’abîmer sérieusement. Ils date des années 1980", par la COMSUP.

Globalement, ce chantier de rénovation du système Telsite sera décliné en plusieurs temps : tout d’abord l’expertise des infrastructures logistiques de l’atoll puis leur rénovation. Dans un premier temps, la zone vie de l’atoll de Moruroa, conçue pour héberger 35 militaires qui surveillent constamment le site classé, doit être reconstruite. Elle devra être capable d’accueillir jusqu’à180 personnes, au plus fort du chantier. Puis, viendra la rénovation des infrastructures portuaires et routières de l'atoll. Enfin, le chantier de rénovation complète du système Telsite comprendra le forage et l’instrumentation de nouveaux puits. Durant les travaux, la surveillance des mouvements géo-mécaniques doit se poursuivre.

En octobre 2013, Bernard Dupraz, le Délégué à la Sûreté Nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations de la Défense (DSND) était en Polynésie française pour la première fois depuis sa nomination en 2011. Selon lui, les contrôles effectués par l’Etat sur le site des essais nucléaires le sont de manière rigoureuse. Il affirmait alors qu'il n'y avait ni risque radiologique ni géo-mécanique à Moruroa.

Radioactivité : rien d’anormal

Les sites français d’expérimentations nucléaires de Moruroa et Fagantaufa, à 1 250 kilomètres de Tahiti, dans le sud est de l’archipel des Tuamotu sont deux atolls classés Installations nucléaires intéressant la Défense (INID).

Depuis 1997, la surveillance de la radioactivité des sites INID est, sur les deux atolls, l’objet de relevés quotidiens, par des aérosols atmosphériques et des dosimètres d’ambiance pour ce qui est des mesures dans l’air. Des campagnes annuelles de relevés sur terre et dans le lagon sont organisées : la dernière a été conduite en mars 2013. Ces différentes mesures précisent qu’à Moruroa "il n’y a rien d’anormal". Toutefois, en raison de la quarantaine d’essais atmosphériques effectués sur place (de 1966 à 1975), certains motu en zone Nord de Moruroa, notamment la baie Colette sont des zones non autorisées car on y trouve des "traces infimes de plutonium dans le corail", même si "dans l’absolu, le risque de contamination est mineur".

Dans le socle basaltique de l’atoll, la réalité est toute autre : la France a effectué 147 essais souterrains à Moruroa et Fangataufa jusqu’au au 27 janvier 1996. Les explosions ont été produites dans les sous-sols de ces deux atolls, au pied de forages profonds de 600 à 900 mètres. Aussi, l’intégralité des résidus de plutonium produits par ces expérimentations – les estimations les plus sévères font état d’une masse proche de 500 kg – est-elle encore concentrée au fond des puits aménagés pour réaliser ces essais souterrains d'une puissance de 5 à 150 kilotonnes équivalent TNT.

Pour lire le rapport sur l'analyse de la radioactivité en Polynésie française en 2012, CLIQUER ICI

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 13 Février 2014 à 15:27 | Lu 3046 fois