" On pilote 365 jours par an des navires de toutes tailles et toutes nationalités. "


Papeete, le 10/11/15- Ollivier Amaru est pilote maritime au port de Papeete depuis 1990. Tous les jours, avec les 4 autres pilotes du port, il assiste les commandants pour la conduite des navires à l'entrée, à la sortie et à l'intérieur des ports, rades et lagons de la Polynésie. Ils n'ont pas le droit à l'erreur, un navire qui bloquerait le port peut stopper toute la vie économique d'une île.

Comment cela se passe-t-il quand un navire est annoncé pour rentrer dans le port de Papeete ?

Un bateau nous est annoncé officiellement 72 heures à l'avance au minimum. En amont, nous avons déjà reçu les itinéraires. Nous recueillons les informations techniques du navire sur un site spécifique. Au vu de ces informations-là, nous nous assurons que l’opération de pilotage est possible de bout en bout. La Station de pilotage Te ara tai est certifiée ISO 9001 depuis 2006, ce qui implique des procédures très précises. Nous assurons les opérations 24h/24h, 365 jours par an pour Tahiti et les autres îles où le pilotage est rendu obligatoire par l’autorité publique : Moorea, Huahine, Raiatea-Tahaa, Bora Bora, et Rangiroa – Le 2 novembre dernier, l’atoll de Fakarava a également été reconnu réglementairement comme une zone de pilotage maritime obligatoire- . Pendant la journée, nous avons toujours un pilote présent à la station de Motu Uta pour assurer l’organisation du service ainsi qu'un pilote d'astreinte qui se rend sur les navires. La nuit, un pilote d'astreinte est également présent.
Une heure avant qu'un bateau ne rentre dans la rade, nous confirmons l'embarquement du pilote à son bord. 20 minutes avant, nous partons de la station de Motu Uta avec la pilotine, le petit bateau qui sert à rejoindre les plus gros navires. A Papeete, nous en avons deux : JW AHNNE et VAI ARA, qui nous amènent à bord et nous récupèrent. Quand nous arrivons au niveau du navire, nous grimpons par l'échelle de pilote pour accéder sur le pont principal, puis à la passerelle souvent par une petite centaine de marches.

Comment se passe votre travail à bord ?

Légalement le capitaine reste responsable de son navire. Quand le pilote monte à bord, il devient en quelque sorte un membre de l'équipage, il est pris en compte par les assurances du navire. Le travail du pilote se fait en partenariat avec le commandant, et en coopération avec les services de la capitainerie, du remorquage, et du lamanage. Un commandant changeant de navire et de ligne très souvent dans sa carrière ne maitrise pas la manœuvre dans tous les ports. Alors que le pilote est spécialisé dans son port et pilote 365 jours par an des navires de toutes tailles de tous types et toutes nationalités. Grâce aux éléments que nous recevons avant l'arrivée du navire, nous anticipons sur la façon dont il va réagir. Nous restons le conseiller du commandant mais dans la pratique, nous prenons quasiment tout le temps la manœuvre. A Papeete, une manœuvre dure à peu près une heure entre le temps d'embarquement et de débarquement. Cela dépend de la manœuvre envisagée, évitage dans la rade par exemple, etc.
Dans les îles, si nous ne sommes pas déjà à bord, nous avons des fournisseurs agréés, souvent des prestataires d'activités nautiques, qui nous amènent à bord et nous récupèrent. Alors qu'à Papeete, comme je le disais plus tôt, ce sont les pilotines qui nous amènent à bord du navire. Le plus important pour nous dans le choix de nos prestataires, c'est la ponctualité, en plus du type et du niveau de maintenance du bateau qu’il met en œuvre.

Les zones de pilotage obligatoire en Polynésie française couvrent les îles de Tahiti, Moorea, Huahine, Raiatea-Tahaa, Bora bora, Rangiroa et Fakarava
Les pilotes de la station sont toutefois amenés à piloter à la demande de certaines compagnies dans d’autres îles, et plus particulièrement à Nuku Hiva et parfois Hiva Oa.

"LE TRAFIC DES PAQUEBOTS DE CROISIERE REPRESENTE 63 % DE NOTRE ACTIVITE"

Quels sont les navires que vous pilotez le plus ?

Le trafic des paquebots de croisière représente 63 % de notre activité. En pilotage propre, les paquebots nous occupent 80 % de notre temps. Souvent on séjourne à leur bord pour piloter dans les entrées et les sorties des autres îles polynésiennes.

Depuis quand existe le pilotage ?

Le pilotage existe en Polynésie Française depuis 1828 (voir encadré). En 1996, le port autonome a demandé au service de pilotage de sortir de la structure pour des questions de responsabilité civile. Pour ma part, j'ai commencé en 1990. Pendant 6 ans, j'ai été à la fois pilote et officier de port. Aujourd'hui, la station de pilotage est une entreprise complètement autonome comme en métropole et dans les DOM TOM. La prestation de pilotage est facturée au navire par l’intermédiaire de son agent maritime.

Le pilotage est-il obligatoire ?

Le pilotage est obligatoire à Tahiti pour les navires qui font plus de 40 mètres de long sauf pour les caboteurs locaux qui en sont en sont exemptés lorsqu’ils font moins de 90m. Pour les autres îles de la Polynésie recevant régulièrement des navires de fort tonnage, le pilotage est obligatoire pour les navires de plus de 90 mètres de long.

Les stations de pilotage existent partout dans le monde ?

Oui, les stations de pilotage sont quasiment dans tous les ports du monde. Partout où il existe un trafic soutenu, avec un risque d’impact environnemental et où il y a un risque stratégique si jamais l'accès du port était bloqué. Cela peut devenir un problème pour la communauté. De fait, la communauté contrôle nos activités et nous assurons un service public, obligatoire dans 99 % des ports du monde. En métropole, le pilotage est contrôlé par la Région, ici par le Pays. Notre ministre de tutelle est le ministre des transports.

Comment devient-on pilote ?

Il faut un brevet de commandement et avoir navigué comme officier pendant 72 mois dont au moins 36 mois effectifs au pont, ce qui peut représenter 10 ans de navigation avec les congés. Une personne qui veut devenir pilote va essayer de passer le plus de temps possible au pont. Une station recrute souvent quand un pilote va partir à la retraite, ici, nous recrutons deux ans à l'avance. Ensuite, le futur pilote doit passer un concours de niveau national pour toutes les stations de France et d'Outremer, puis il suit une formation en doublure avec ses pairs sur une durée minimale de deux ans.
Pour être pilote, il faut bien connaître les conditions de navigation locales mais également être impliqué dans la vie économique du pays. Aussi, en Polynésie comme ailleurs, le challenge réside dans le recrutement de candidats implantés depuis longtemps dans le pays, susceptibles de franchir le barrage du concours.

Comment la station de pilotage va-t-elle réagir en cas de cyclone ?

Le service du pilotage sera mobilisé en prévision du cyclone comme ceux de la capitainerie, du remorquage et du lamanage pour sortir les navires du port avant la fermeture de la passe, à cause des fortes houles de secteur Nord attendues. Nous participerons également à l’organisation de l’occupation du plan d’eau du port par les petits caboteurs, voiliers et autres embarcations diverses qui ne peuvent raisonnablement pas prendre la mer, mais ne peuvent pas non plus rester à quai à cause du fort clapot dans certaines parties du port.

Comment avez-vous géré l'entrée et la sortie des navires avec les baleines ?

Les baleines et leurs baleineaux ne sont pas rares chaque année. De juillet à novembre, elles évoluent dans le port et aux approches des passes de Papeete et des îles où nous pilotons des navires.
Leur présence est bien évidemment prise en compte : déroutement des trajectoires et vitesse réduite dans la mesure du possible. Sinon, à Papeete, on envoie la pilotine pour les forcer tranquillement à libérer l’espace qui nous est absolument nécessaire pour évoluer.
La dernière baleine et son baleineau pour lesquels j’ai dû manœuvrer étaient dans la passe de Bora Bora le 2 octobre au matin avec le Golden Princess. J'ai dû faire réduire la vitesse à moins de 5 nœuds et passer le plus près possible de la bouée verte dans des fonds de moins de 10 mètres pour lui laisser l’espace qu’elle avait décidé d’occuper, juste sur le haut-fond du récif au Nord de la passe.

Propos recueillis par Noémie Debot-Ducloyer

Un peu d'histoire ...

Dès les premières heures du 19ème siècle, des témoignages de navigateurs européens font état de l’existence de pilotes pour conduire les navires dans les rades de Taunoa, de Papeete, de Moorea et des Iles Sous Le Vent. Règlementé par des textes en langue tahitienne, l’organisation du service du pilotage des navires escalant à Tahiti et Moorea est retranscrite dans la Loi XXVIII du recueil des Lois du Code Tahitien de 1842, sous le sous le règne de Pomare IV.


L’activité en chiffres sur 2014 :

- 2044 opérations de pilotage (409 opérations par pilote) dont 689 hors Papeete
- + 306 sous licence de capitaine-pilote,
- 55.253.342 m3 de volume piloté,
- 17.000 heures d’activité dont 27,6% sur la zone portuaire de Papeete et 72,4% dans les îles,
- 123 déplacements hors de Papeete pour 12350 heures (515 jours),

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Mardi 10 Novembre 2015 à 17:21 | Lu 2885 fois