"On ne peut plus entendre les mêmes versions édulcorées sur les essais"


Tahiti, le 9 mars 2021 - Sollicitée par le média d’investigation Disclose, l’association Moruroa e Tatou a mis en relation ses adhérents, ainsi que de nombreuses victimes, avec l’organisation et ses journalistes. Son avocat, Philippe Neuffer, espère que l’enquête baptisée "Toxique"  et très largement relayée depuis sa diffusion hier, “ouvre la voie à une reconnaissance des préjudices propres des ayants droits des victimes, comme c’est le cas pour les accidents de voiture, ou les empoisonnements à l’amiante.”
 
Comment est-ce que Moruroa e tatou accueille les résultats de cette enquête ?
“Avec honneur puisqu’on y a participé activement. On attendait ce type d’enquête contradictoire qui reprend un peu les éléments –qu’on nous fait passer pour des vérités– et qui les retourne. C’est donc quelque chose qu’on accueille avec beaucoup de satisfactions. Et quand on voit les résultats, ils ne font que conforter ce qu’on dit depuis des années : à savoir qu’il faut remettre en question la parole officielle, il faut apporter la contradiction. Ce qui rend absolument nécessaire la tenue d’une expertise internationale, indépendante du pouvoir d’État. On ne peut plus entendre les mêmes centres de recherche et autres organismes d’État nous servir des versions édulcorées par rapport à la réalité.”

Cette enquête peut-elle ouvrir une porte à une reconnaissance de l’État ?
“Aujourd’hui l’État ne prend pas ses responsabilités. Les obstacles sont encore nombreux, à l’instar de l’absence d’indemnisation des ayants droits des victimes, des veuves et leurs enfants pour la plupart, dont le père, ancien travailleur à Moruroa, est décédé d’un cancer. On est dans du très concret. Ces femmes ont dû travailler deux fois plus pour nourrir leurs enfants et payer leurs études. Tout ça doit être indemnisé. On espère que cette enquête ouvre la reconnaissance des préjudices propre des ayants droits des victimes, comme c’est le cas pour les accidents de voiture, ou les empoisonnements à l’amiante. Qu’on reconnaisse aussi les victimes collatérales.”
"C’est ce discours officiel et cette pensée unique publique sur les essais nucléaires qu’il faut combattre"

Selon cette enquête, 110 000 personnes –exposées à une dose supérieure à 1 mSv– pourraient demander des comptes à l’État, est-ce que l’association s’attend à être saisie de davantage de dossiers d'indemnisation ?
“96% des demandes déposées à Moruroa e tatou ont été accueillies. Si ces personnes rentrent dans les critères, on les accueillera. Mais la question ce n’est pas tant l’indemnisation que la reconnaissance des effets indirects dans l’empoisonnement des populations polynésienne et algérienne. C’est ce qui explique la difficulté de l’indemnisation, cette absence de reconnaissance. Un peu comme si le fait d’avoir déversé des millions d’euros sur la Polynésie suffisait à dédouaner de cette responsabilité.
Heureusement, aujourd’hui on n’entend plus parler d’innocuité des essais, mais il y a seulement quelques jours l’Inserm minimisait les empoisonnements. C’est ce discours officiel et cette pensée unique publique qu’il faut combattre. Que ce soient les anciens militaires, les anciens salariés, ou anciens personnels civils recrutés par l’armée, on entend la plupart du temps ce discours : “j’y suis allé, j’ai choisi en tout état de cause”. Ce qui est faux, parce que tout ça a été dissimulé. Le CEA le sait depuis le début.”
 

Rédigé par Esther Cunéo le Mardi 9 Mars 2021 à 16:50 | Lu 2321 fois