“On est de plus en plus anti-Farani”


De retour à Tahiti après cinq semaines d'absence, Edouard Fritch était de retour au travail à son bureau de l'assemblée ce lundi matin. Il a accordé une interview à Tahiti Infos. Crédit photo : SD
Tahiti, le 30 octobre 2023 – Après avoir subi une lobectomie il y a cinq semaines en métropole, le président du Tapura Huiraatira, Édouard Fritch, est revenu ce week-end au fenua et il est au travail. Il confirme sa volonté de réconcilier et regrouper toute la famille autonomiste pour que “l'alternance soit assurée” dans un contexte de “dérive” avec des “propos racistes” où “aujourd'hui, on est de plus en plus anti-Farani”. Interview.
 
 
Avant toute chose, comment allez-vous ?
 
“Ça va bien. Je reviens de loin puisqu'au départ de Papeete, le diagnostic qui avait été fait par les médecins était alarmant, et je suis tombé avec un peu de chance sur une équipe à l'hôpital Cochin qui a été très efficace et très professionnelle bien sûr. De ce fait, je suis revenu, cinq semaines après l'opération, par obligation puisque je ne peux pas voyager compte tenu de la lobectomie – on m'a enlevé une partie du poumon – et aujourd'hui, je suis revenu à la maison et je suis content d'être là.”
 
Vous avez arrêté de fumer ?
 
“Bien sûr ! Bien sûr que j'ai arrêté de fumer. Et puis j'ai beaucoup pensé à mes parents. J'ai beaucoup pensé à tous ceux qui, en permanence, m'alertaient sur le fait que fumer est dangereux. J'ai fumé pendant une cinquantaine d'années. J'ai commencé lorsque j'ai fait mes études parce que c'était un besoin, parce que c'était nerveux. Dès que je suis stressé, je fume beaucoup. Mais aujourd'hui, je paie l'addition. C'est clair et c'est net. Et si quelque chose m'a effectivement traversé l'esprit au lendemain de cette opération, c'est qu'il faut qu'on fasse très attention. J'ai vu les investissements sur place... La santé coûte cher, on le sait, et quand on ne fait pas attention à sa santé, on coûte cher à la société.”
 
Sur un plan politique maintenant, vous avez déjà annoncé que vous étiez prêt à vous remettre au travail et que vous aviez rencontré Teva Rohfritsch à Paris pour commencer à discuter et à réfléchir à une plateforme autonomiste. Les tensions entre lui et vous appartiennent-elles au passé ?
 
“Il faut. Il faut tourner la page. Lors des premiers travaux que nous avons menés avec monsieur Flosse, le président du Āmuitahiraa, l'objectif effectivement était de regrouper tout le monde. C'est la tendance autonomiste qu'il faut mettre autour de la table. Ça passe par Teva Rohfritsch et par Nuihau Laurey et Nicole Sanquer, et je pense que nous aurons fait le tour des autonomistes qui représentent quelque chose dans ce pays. Il faut qu'on fasse cet effort. Je sais que l'échec des élections n'est pas très loin, c'était en mai dernier. Je sais aussi qu'il faut un peu de souffrance parce que lorsqu'on regarde la situation du Pays – je ne vais pas commenter mais enfin je crois que tout le monde s'en est bien rendu compte – on n'a pas beaucoup avancé, les équipes en place n'ont pas l'air non plus de se bouger. On a oublié qu'on sort d'une crise, la crise de la Covid, qu'on a une économie qui se relève à peine, ce qui nécessite de faire de gros efforts, et j'ai bien peur que l'on ne soit pas au rendez-vous. On le saura l'année prochaine, mais je crains cela. Donc il faut se remettre au travail pour que l'alternance soit assurée, même si ce n'est pas l'année prochaine mais dans deux, trois, ou quatre ans, mais il faut que le mouvement autonomiste soit vu, soit entendu et soit reconnu.”
 
Vous aviez annoncé il y a quelques mois que vous étiez prêt, vous et Gaston Flose, à passer la main. Pensez-vous que c'est la clé pour réunir tous ces autonomistes qui finalement étaient un peu cristallisés autour du Tapura et de votre personnalité ?
 
“C'est une conclusion, je le rappelle, des derniers résultats électoraux de la Polynésie française où on a vu apparaître effectivement de nouvelles têtes, des gens qui n'étaient pas dans la politique. Aujourd'hui, on se rend compte que ça peut représenter un sérieux handicap dans le fonctionnement du Pays parce qu'il ne suffit pas d'être diplômé. On a besoin de beaucoup d'expérience, de sagesse, de beaucoup d'humilité... de qualités qui ne sont pas nécessairement des jeunes fougueux qui arrivent comme ça dans un monde qui est complètement différent du monde professionnel qu'ils ont l'habitude de connaître. Mais cet esprit de changement a en effet traversé la Polynésie de façon sérieuse. On est un peu fiu des mêmes vieilles chansons, des vieux chanteurs et il faut penser à autre chose. Il faut aussi s'assurer que le Pays est prêt à faire ce pas. Il faut s'assurer que le monde politique est prêt à faire ce pas et c'est maintenant qu'il faut y travailler. Je crois qu'il faut qu'on mette autour de nous des jeunes qui vont mettre la main à la pâte, qui vont commencer à connaître ce qu'est la politique d'abord, ce qu'est la gestion d'un pays, un budget... on a besoin d'un minimum de connaissances pour arriver à ce stade. C'est avec beaucoup d'humilité que je regarde cela car il faut tirer les leçons de tout ce passé. On n'a pas fait que de mauvaises choses, la preuve quand on regarde ce que fait le gouvernement aujourd'hui. Ils ont beau critiquer l'ancien gouvernement, en fin de compte, on est dans la reconduction et la continuité.”
 
Justement en parlant du gouvernement, on a un président du Pays, Moetai Brotherson, qui a un discours beaucoup plus policé concernant l'autodétermination et l'accession de la Polynésie à l'indépendance, un président de l'assemblée, Antony Géros, qui lui a un discours beaucoup plus tranchant, à l'instar du président du Tavini, Oscar Temaru, qui quant à lui tient des propos assez durs... Quelle est votre analyse de la situation ?
 
“On peut se poser beaucoup de questions effectivement. L'un qui a un discours plus policé, l'autre qui est plus virulent, plus raide, mais en fin de compte, est-ce que tout cela n'est pas orchestré par le président du Tavini Huiraatira ? C'est une analyse que je fais, parce que lorsqu'on regarde Moetai Brotherson et une partie des gens autour de lui, ce sont quand même des Polynésiens, des jeunes qui savent travailler, qui sont diplômés, qui ont quelques compétences, peut-être pas au niveau du Pays. C'est vrai que de l'autre côté, Tony Géros est beaucoup plus expérimenté, il connaît bien la chose, tout ça n'est-il pas plus complémentaire qu'autre chose ? La dérive contre laquelle je m'inscris et qui me préoccupe beaucoup, ce sont les propos racistes qui remontent dans ce pays. On est en train de mettre les blancs devant, ça me rappelle à un moment donné où le Tavini Huiraatira parlait des Chinois. Aujourd'hui, on est de plus en plus anti-Farani, il faut le dire. Il faut le dire haut et fort et c'est là-dessus qu'il faut recadrer et être très vigilant. Regardez ce qui se passe dans le monde : il y a eu la Russie et l'Ukraine, aujourd'hui il y a les Palestiniens et les Israéliens... les uns provoquent les autres, les autres réagissent... Il faut faire très, très attention et je me demande si ici, en Polynésie française, on n'est pas en train d'assister à ce genre de phénomène. Je ne mets pas tout le Tavini Huiraatira dans le même panier, ce sont ces têtes pensantes qui aujourd'hui, à mon avis sont en train de monter des scenarii qui risquent de provoquer la division de notre pays.”

Rédigé par Stéphanie Delorme le Lundi 30 Octobre 2023 à 13:54 | Lu 7134 fois