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“On a toujours dit que les élections locales n'étaient pas des référendums”


Tahiti, le 26 avril 2023 – Député et futur président du Pays en cas de victoire du Tavini aux territoriales, Moetai Brotherson a accordé un entretien à Tahiti Infos pour détailler le programme du Tavini avant le second tour : Géopolitique, environnement, fiscalité, autodétermination et coût de la vie au programme…
 
La géopolitique du Pacifique est peu présente dans cette campagne des territoriales. Le sujet est pourtant particulièrement important pour le Tavini, sur le fait de savoir comment on garantit la sécurité et la souveraineté de la Polynésie dans un contexte de tensions dans le Pacifique, notamment si on est indépendant demain ?

“Il faut aussi d'abord poser la question à la France, qui est la patrie des droits de l'Homme. C'est un grand pays avec de grandes valeurs, qui est intervenu dans des zones où elle n'avait pas de colonies, ni de territoires. La question que je pose à la France, c'est est-ce que vous avez uniquement une approche patrimoniale du sens commun et de l'Humanité ? Ou est-ce que la France joue son rôle de grande puissance humaniste et prête à défendre même des peuples qui ne sont pas sous son administration ? La réponse a déjà été donnée dans un passé récent. Aujourd'hui, la France est une grande puissance humaniste. C'est la conception que moi j'en ai.”
 
C'est à dire qu'on garde un lien avec la France dans votre vision de l'indépendance de la Polynésie ?

“Bien sûr. Les indépendances aujourd'hui ce ne sont pas les indépendances des années 60. On n'est plus dans le même contexte. Le monde a évolué. Il y a une mauvaise compréhension, alimentée par nos adversaires, de la réflexion du Tavini huiraatira. S'il y a un parti qui, depuis sa création, réfléchit en termes de géopolitique mondiale, c'est le Tavini. À l'époque des essais nucléaires, il fallait internationaliser le combat et cela fait très longtemps qu'on a été les premiers à aller aux États-Unis. On a des relations avec tous les pays du Pacifique. On a rencontré tous les grands leaders du monde. On n'est pas pour une indépendance autarcie, refermée sur elle-même, où on va retourner aux champs, habiter dans des grottes à manger des tubercules. Ce n'est pas ça l'indépendance. La compréhension de la géopolitique mondiale existe depuis toujours au Tavini. Notre vision des choses, par contre, c'est un peu celle des mouvements non-alignés qui s'est créée dans les années 60 au sein des Nations Unies. C'est de dire qu'on n'a pas envie d'être assimilés à un bloc ou l'autre. On veut pouvoir avoir des relations avec tout le monde. Dans notre bassin naturel, il y a un ensemble de grandes puissances. La France, historiquement, est présente alors qu'elle n'a pas de frontières directes hexagonales avec le Pacifique. Mais c'est aujourd'hui la seule puissance européenne qui est encore présente dans le Pacifique. Nous avons l'intention de garder de bonnes relations avec la France. On n'est pas dans un réflexe anti-français, ce n'est pas du tout ça.”
 
Est-ce qu'on peut résister à des pressions financières, économiques ou sécuritaires quand on est non-aligné ?

“Il faut un sens des responsabilités de la classe politique. Il faut avoir aussi une vraie volonté de développer ce pays par ses ressources propres et pas simplement en faisant financer des espèces d'éléphants blancs, des projets pharaoniques par des puissances extérieures pour pouvoir dire : ‘Vous voyez on a des milliards et on va créer des milliers d'emplois.’ Alors que si on regarde bien ce qu'a fait la Chine avec sa politique de la dette, ce n'est pas ce qui s'est produit. Tous les projets d'infrastructures financés par la Chine dans le Pacifique, ce sont des ouvriers chinois qui sont venus travailler, des entreprises chinoises et il y a eu très peu d'embauches locales sur ces grands projets. Ce n'est pas ce qu'on veut.”
 
Le Tavini ne tient-il pas deux discours avec d'un côté Oscar Temaru qui souhaite vendre les droits d'exploitation des ressources marines profondes de la Polynésie aux puissances étrangères et vous qui signez un moratoire contre l'exploitation de ces ressources ?

“Non, là-encore c'est une incompréhension. Il n'y a qu'un seul discours au Tavini, c'est le même depuis le début. Pendant des années, on a voulu nous faire croire qu'il n'y avait rien au fond de nos océans. Et comme pendant des années Oscar Temaru a crié dans le désert que les essais nucléaires étaient dangereux. On l'a traité de fou, pendant des années alors qu’il disait qu'il y a du cobalt, des terres rares, énormément de ressources au fond de l'océan, on l'a aussi traité de fou… Aujourd'hui, tout le monde reconnaît qu'il y a cette énorme fortune potentielle au fond de notre océan. Partant de là, on dit qu'en l'état actuel de la technologie, il est hors de question d'exploiter ces ressources. Car ce serait tuer l'océan. Et tuer l'océan, c'est tuer le berceau de l'humanité et on n'est pas dans ce schéma-là. Contrairement aux autres, on est allé voir en Papouasie-Nouvelle Guinée, on est allé voir ce qu'a fait la société Nautilus. Et c'est absolument atroce ce qui est fait aujourd'hui en termes environnementaux… Maintenant se pose la question dans 50 ans, 100 ou 200 ans. Est-ce que la technologie atteindra un niveau suffisant pour pouvoir éventuellement aller chercher ces ressources sans détruire l'océan ? Aujourd'hui, on n'en sait rien. Ce qui est sûr, c'est qu'on diffère de nos camarades autonomistes. Le statut dit qu'on est compétent en matière d'exploration et d'exploitation. Mais ils oublient la virgule : “À l'exception des ressources stratégiques.” Ces ressources stratégiques, c'est la France. Et c'est là que le discours d'Oscar Temaru dit qu'aujourd'hui cela ne nous appartient pas et qu'on rappelle qu'on est souverain sur ces ressources. Cela ne veut pas dire que parce qu'on est souverain, on veut aller exploiter. La réalité c'est que si, demain, brisant ses engagements, l'État français décidait d'aller exploiter ces matières premières stratégiques, nous, on n'aurait que nos yeux pour pleurer. Statutairement et constitutionnellement aujourd'hui, c'est la France qui a la main sur ces matières premières stratégiques.”
  
Autre sujet absent de la campagne, l'environnement et surtout l'urgence climatique. Comment est-ce qu'on éveille les consciences et qu'est-ce qu'on fait sur ce sujet ?

“Il y a deux questions, l'environnement en général, avec le traitement des déchets – la pollution qu'on subit directement – et le réchauffement climatique. Une question très compliquée car on pourrait être le pays le plus vertueux du monde, ce n'est pas nous qui allons changer les équilibres atmosphériques et géo-climatiques du monde. Tant que la Chine continuera à avoir des centrales au charbon, l'Australie, etc. En attendant, il faut essayer d'être nous-mêmes le plus vertueux possible. Il faut s'y préparer d'abord en termes agricoles. Si d'ici 10 ans on se prend 1,5 degré dans la vue en termes de température ambiante, l'agriculture ne va pas fonctionner de la même manière qu'aujourd'hui. Il y a des espèces qui ne vont plus pousser, d'ailleurs. Il faut se poser ces questions-là de la résilience de notre modèle agricole par rapport à cette augmentation prévisible de la température. (…)”
 
Sur la question de la fiscalité, vous souhaitez la suppression de la TVA sociale. Comment remplace-t-on cette ressource financière ?

“On n'a pas dit que c'était simple. On n'a pas dit, contrairement au Amuitahira'a, qu'on allait la supprimer au premier conseil des ministres. On a dit qu'on allait la supprimer de manière programmée. Comment est-ce qu'on compense les 9 milliards ? Il faut réfléchir globalement. Aujourd'hui, c'est l'équilibre des comptes sociaux qui est en jeu. C'est quoi ? C'est un ensemble de prestations, les cotisations, et en face c'est des régimes, vous avez les prestations familiales, la retraite, l'assurance maladie. Sur chacune de ces branches-là, il y a des choses à faires qui permettront d'équilibrer les comptes sociaux sans qu'on ait besoin de cette TVA sociale. Donc ce n'est pas forcément 9 milliards de Fcfp qu'il faut substituer. Une étude a été faite en 2021 sur les retraites. Les chiffres démontrent que pour arriver à équilibrer les retraites, il faudrait 4 000 actifs de plus. Nous on veut développer l'emploi. Maintenant sur les 4 000 actifs, vous avez des gens qui sont au RNS. Et on va se poser la question d'ici quelques années de leur départ à la retraite. Si on ne fait rien, on va se retrouver ans quelques années face à un mur qui s'appelle le moni rū'au. (…) Maintenant si on fait évoluer le régime de retraite, on arrive à inclure le RNS dans un système plus globalisé, on augmente le nombre de cotisants et on peut équilibrer le régime des retraites. (…) On va prendre l'assurance maladie. On a, à peu près, un peu moins de 12 000 fonctionnaires d'État. Ils cotisent à la sécurité sociale à la fois pour leur retraite et pour la maladie. Sauf qu'on peut comprendre qu'ils soient attachés à rester à la sécurité sociale pour leur retraite. Mais, en revanche, on peut quand même se poser la question pour l'assurance maladie. Aujourd'hui un fonctionnaire d'État tombe malade, se soigne ici et s'il est évasané il l'est par les moyens de la Polynésie.”
 
Vous proposez d'augmenter la CST sur les hauts salaires au-dessus de 600 000 Fcfp. Combien allez-vous récupérer de recettes fiscales ?

“Là-dessus, la discussion va se porter sur les tranches et les taux. Encore une fois quand on parle d'imposition, il y a un proverbe qui dit, ‘trop d'impôt tue l'impôt’. Il faut discuter avec les partenaires sociaux, les syndicats, pour dire : qu'est-ce qui est acceptable et qu'est-ce qui reste efficace ? Si je vous dis aujourd'hui qu'à partir de deux millions de Fcfp, ce sera 80%. Est-ce que cela va fonctionner ? Non. Il faut des discussions avec les partenaires sociaux. Ici, il n'y a pas marqué Macron.”
 
Une question anime cette campagne, c'est celle de la vie chère. Que proposez-vous pour atténuer les effets de l'inflation ?

Là-aussi, il ne faut pas mentir aux Polynésiens. Si demain, je vous dis que je vais faire baisser le prix du caddy de 50%, ce serait mentir. Il faut agir partout où on peut agir. Le premier levier, c'est cette TVA sociale, qui n'a de TVA que le nom puisqu'elle n'est pas reversée. Donc, contrairement à ce que nous disent nos copains d'en face, ce n'est pas juste 1% d'inflation qui est provoqué par ce 1% de TVA sociale. Ça dépend du nombre d'intermédiaires. Si vous en avez 5, c'est 5%... Ensuite, il y a des facteurs exogènes. Le prix de tout ce qui est importé, ce n'est pas nous qui le fixons. Il y a des coûts de production, de transport et des marges. Nous disons qu'il faut contrôler mieux les marges. Parce qu'aujourd'hui, pour le même produit, force est de constater que dans différents établissements vous avez des différences qui sont inexplicables. Il y a des gens qui se comportent bien et il y a des gens qui se comportent moins bien. Sauf qu'on a dépeuplé la DGAE et qu'il n'y a plus suffisamment de contrôleurs, d'une part, et que les procédures qui sont utilisées font que c'est tout juste si on ne fait pas de publications dans les journaux pour prévenir qu'on arrive, d'autre part. Forcément, les commerçants qui vont être contrôlés, ils s'adaptent.”
 
À ceci près qu'on ne peut pas imposer les marges ?
“On ne dit pas imposer les marges, on dit contrôler les marges. On agit sur le contrôle des marges. Ensuite, sur les produits importés, on ne peut pas contrôler les coûts de production. On ne peut pas non plus imposer nos désirs à CMA-CGM et toutes les grandes compagnies qui importent nos produits. L'élément sur lequel on peut agir, c'est la taxation sur le prix CAF. Certains ne veulent agir que sur le “F” et ne taxer que sur le coût-assurance. Nous disons que c'est dangereux. En revanche, on dit qu'on avait un coût du fret avant que l'inflation ne décolle et qu'on peut, peut-être, figer ce coût du fret et appliquer la taxe là-dessus. Sur le prix CAF, mais avec un “F” figé avant que les prix ne décollent. (…) Ces mesures mises bout-à-bout vont avoir une modification à court terme sur le prix du caddy. Ensuite, il y a une réflexion à avoir sur les PPN. Aujourd'hui, on se retrouve avec des produits nocifs sur la santé en PPN et avec un panier défini de manière uniforme alors que les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes à Tahiti, aux Tuamotu ou aux Marquises. Et il faut arriver, comme cela a été préconisé par l'APC, à une liste très réduite de PPN (…). Mais sur le long terme, si on veut s'exonérer des facteurs exogènes, il faut favoriser la production locale.”
 
Sur la question de l'autodétermination, votre discours est de dire qu'en cas de victoire vous irez voir l'ONU pour dire que les indépendantistes sont désormais majoritaires en Polynésie. Vu le repositionnement de Gaston Flosse, comment expliquer à l'ONU que vous êtes majoritaires avec 35% des voix ?

“Je pense qu'on va attendre les résultats du 30 avril. Mais, là-aussi, je pense qu'il faut être honnête vis-à-vis des Polynésiens et des Nations Unies. Quand nous avons fait le lobbying pour la réinscription et que nos adversaires nous opposaient le fait qu'ils gagnaient les élections locales, on a toujours dit que les élections locales n'étaient pas des référendums. Ce sont des élections locales. On ne peut pas aujourd'hui aller voir l'ONU et dire l'inverse. Dire que parce qu'on a gagné les élections territoriales, tout le monde est devenu indépendantiste. Non, ce serait faux. Je pense que le Tavini va l'emporter dimanche, ça ne veut pas dire que tout le monde est devenu indépendantiste. Nous allons dire à l'ONU qu'aujourd'hui, il y a trois députés indépendantistes élus par le peuple polynésien. Ça veut dire que cette peur de l'indépendance et que ce plafond de verre a été brisé. Vous avez un exécutif issu du parti indépendantiste. Tout ça pour aller, non pas imposer l'indépendance, mais demander à l'État, comme on le fait depuis 2013, de venir à la table des négociations.”
 
Nuihau Laurey du A Here ia Porinetia ou même Teva Rohfritsch du Ia Ora te Nuna'a disaient encore tous deux cette semaine que la question de l'autodétermination devrait nécessairement être posée un jour, mais à échéance 15 ou 20 ans et en tout cas lorsque la Polynésie aura les moyens de son indépendance. Est-ce que ce n'est pas ça le nouveau discours de vérité du Tavini sur l'indépendance ?

Mais c'est ce qu'on dit depuis le début.”
 
Vos adversaires vous reprochent d'avoir été moins mesurés par le passé sur ce sujet ?

Nos adversaires nous prêtent des propos qui ne sont pas les nôtres. (…)”
 
Quand Oscar Temaru dit qu'une victoire aux élections vaudra référendum, ce sont bien ses propos ?

Je l'ai dit en meeting. C'est une question de vécu et de perception. La manière dont on s'exprime dépend de la manière dont on s'est construit. Oscar Temaru s'est construit dans la lutte dure contre un système qui avait fait de lui l'ennemi de l'État parce qu'il disait la vérité. Donc, il a un vécu que je n'ai pas. Quand je suis né, il y avait encore trois ou quatre essais atmosphériques. J'ai cinq enfants qui tous sont nés après le dernier essai nucléaire. On n'a pas le même vécu, mais on a le même objectif.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 26 Avril 2023 à 20:55 | Lu 3072 fois