photo d'archives
Monsieur le Président de la Polynésie française (10 mai 2010) relatif au changement à la direction de l’OPH
Ayant exercé pendant environ 20 mois les fonctions de ministre en charge du logement, je propose ci-dessous mon analyse de la situation en matière de logement social, telle que j’ai pu l’appréhender.
Au 21° siècle, être logée décemment est un droit po ur une famille. De façon plus réaliste c’est une condition nécessaire à son équilibre et un levier pour son avenir et celui de ses enfants.
Ce n’est pas polémiquer que d’affirmer ici une évidence : nous avons pris un sérieux retard dans ce domaine. Les études statistiques le prouvent de façon répétées et nous en sommes tous témoins chaque jour. La promiscuité, l’indignité des conditions de logement de milliers de nos concitoyens sont inacceptables et injustes. Et c’est une oeuvre collective qui transcende les courants politiques que de résorber le déficit de logements et de justice sociale.
Les boulets de l’histoire du logement social pénalisent aujourd’hui l’OPH
Nous (et, là, j’inclus tous les gouvernements successifs) avons facilité le développement du marché privé du logement en l’aidant par des mesures fiscales incitatives et des aides publiques, prises au nom de la croissance, puis de la relance, pour créer des emplois et augmenter les recettes fiscales.
Ainsi le PAB, le PHB, l’aide directe aux ménages pour la construction ou l’acquisition d’un logement, les lois de défiscalisation métropolitaine et polynésienne ont effectivement donné de l’activité aux commerçants, aux entreprises du bâtiment et aux promoteurs. Elles ont permis l’accès à un logement ou l’amélioration de l’habitat des ménages les plus aisés et d’une partie de la classe moyenne (fonctionnaires ou assimilés, employés exerçant dans les secteurs à l’abri de la concurrence internationale). Par contre en dessous d’un certain seuil de revenu du ménage, il était et il est, très difficile pour une famille de se loger correctement par ses propres moyens, qu’il s’agisse de location et, a fortiori, d’accession à la propriété.
La pénurie de terrains constructibles en zone urbaine, malgré l’extension géographique de celle-ci, a été moins pénalisante pour les promoteurs privés, plus réactifs face aux opportunités rares, en l’absence de politique d’aménagement dynamique. L’OPH seul opérateur public en matière de logement social aux Iles du Vent (là ou se concentrent, 80% de la population, la majorité des mal logés et les plus graves problèmes sociaux) n’a pas non plus bénéficié de réserves foncières permanentes et suffisantes ou d’une priorité d’attribution au nom de l’intérêt général.
Au fil des années l’OPH a recensé les demandeurs de plus en plus nombreux, mais s’est progressivement noyé face à l’importance de la tâche et aux incohérences des comportements politiques et des directions successives.
- Immensité de la tâche : la demande est liée à la forte croissance de la natalité jusqu’au milieu des années 90 (et qui a un impact jusque 30 ans plus tard), aux migrations des habitants de nos archipels venus à Tahiti pensant y trouver un emploi et, donc y vivre mieux ;
- Incohérences des politiques publiques et des comportements : absence de politique active et
globale d’aménagement du territoire, cumul des missions de construction et de gestion du parc pour l’EPIC, insuffisante politique de soutien à une sortie de l’indivision qui aurait permis de mieux utiliser les terrains familiaux, entretien de la confusion entre l’idée d’argent public et argent gratuit, attribution et gestion clientélistes des locations sociales, discours politiques démagogiques incitant au non paiement des loyers, …
L’OPH englué dans les difficultés, a été désigné « responsable » de tous les maux d’autant que ses coûts de gestion sont élevés, en raison notamment d’une grille salariale particulièrement favorable et de décisions politiques à courte vue, comme celle de transférer à l’OPH dans les années 80, le personnel devenu embarrassant de la Caisse d’approvisionnement de l’habitat (CAH)
La capacité à construire de l’OPH, c'est-à-dire à faire sortir de terre des nouveaux logements
s’est émoussée au fil du temps, alors que les crédits d’investissement publics étaient mobilisables. L’argent des loyers non recouvrés dépasse les 2 milliards et le taux de non recouvrement des loyers est souvent cité comme un mauvais record dans toute la République !
Ces sommes non encaissées par l’OPH ont eu des conséquences multiples : par exemple l’EPIC est devenu de plus en plus dépendant de subventions de fonctionnement pour simplement entretenir son parc de logements. Plus grave les financeurs, et particulièrement l’AFD, y ont légitimement vu un signe de mauvaise gestion, un risque réel de non remboursement des sommes prêtées, pire un gaspillage d’argent public. Cet état de fait explique probablement aussi la frilosité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à prêter pour le logement social polynésien alors qu’elle est très présente en Nouvelle Calédonie, à des conditions particulièrement favorables. Ce qui a évidemment des conséquences sur le calcul du coût des loyers d’équilibre payés par les locataires pendantdes années !
Les nouvelles orientations depuis trois ans
La menace de voir l’AFD se retirer des programmes futurs de construction de l’OPH pour perte de confiance, les exigences de l’Etat, co-financeur du logement social par des subventions dans le cadre du Contrat de développement, puis du Contrat de projets, la prise de conscience, enfin, de certains politiques a conduit à partir de 2007, d’une part à une meilleure définition de la politique polynésienne en matière de logement social (Assises du logement et Livre blanc de l’OPH), et d’autre part à des actions de réforme internes à l’OPH dans la conduite des missions et activités.
Des progrès certains ont été réalisés. Nous sommes (nous étions ?) sur la bonne voie.
Mais la tâche est ardue et l’effort s’inscrit dans la durée.
Le conseil d’administration de l’OPH, son équipe de direction, les syndicats et le personnel, tous ont compris le challenge vital et accepté l’obligation de changement. Un exemple, la mise en oeuvre du règlement intérieur de la commission d’attribution de logements depuis deux ans permet d’attribuer des logements sur des bases équitables où le clientélisme est exclu. La « dépolitisation » est une réalité et le demeurera si les ministres successifs l’appliquent…
La mise en oeuvre des engagements du contrat de projets en matière de logement social ainsi que l’utilisation des lois d’incitation fiscale métropolitaine et polynésienne sont des opportunités en même temps que des défis. Ce n’est pas en décapitant l’OPH que l’on avancera. Le changement de la personne du directeur n’est pas la solution.
Or, la réussite des entreprises de longue haleine dépend, en grande partie, de la constance des dirigeants qui les portent. A ce titre, le changement du directeur de l’OPH induira un retard supplémentaire qui pénalisera ceux qui, en attente de logement, sont aujourd’hui les plus vulnérables d’entre nous.
Armelle MERCERON - Mai 2010
Ayant exercé pendant environ 20 mois les fonctions de ministre en charge du logement, je propose ci-dessous mon analyse de la situation en matière de logement social, telle que j’ai pu l’appréhender.
Au 21° siècle, être logée décemment est un droit po ur une famille. De façon plus réaliste c’est une condition nécessaire à son équilibre et un levier pour son avenir et celui de ses enfants.
Ce n’est pas polémiquer que d’affirmer ici une évidence : nous avons pris un sérieux retard dans ce domaine. Les études statistiques le prouvent de façon répétées et nous en sommes tous témoins chaque jour. La promiscuité, l’indignité des conditions de logement de milliers de nos concitoyens sont inacceptables et injustes. Et c’est une oeuvre collective qui transcende les courants politiques que de résorber le déficit de logements et de justice sociale.
Les boulets de l’histoire du logement social pénalisent aujourd’hui l’OPH
Nous (et, là, j’inclus tous les gouvernements successifs) avons facilité le développement du marché privé du logement en l’aidant par des mesures fiscales incitatives et des aides publiques, prises au nom de la croissance, puis de la relance, pour créer des emplois et augmenter les recettes fiscales.
Ainsi le PAB, le PHB, l’aide directe aux ménages pour la construction ou l’acquisition d’un logement, les lois de défiscalisation métropolitaine et polynésienne ont effectivement donné de l’activité aux commerçants, aux entreprises du bâtiment et aux promoteurs. Elles ont permis l’accès à un logement ou l’amélioration de l’habitat des ménages les plus aisés et d’une partie de la classe moyenne (fonctionnaires ou assimilés, employés exerçant dans les secteurs à l’abri de la concurrence internationale). Par contre en dessous d’un certain seuil de revenu du ménage, il était et il est, très difficile pour une famille de se loger correctement par ses propres moyens, qu’il s’agisse de location et, a fortiori, d’accession à la propriété.
La pénurie de terrains constructibles en zone urbaine, malgré l’extension géographique de celle-ci, a été moins pénalisante pour les promoteurs privés, plus réactifs face aux opportunités rares, en l’absence de politique d’aménagement dynamique. L’OPH seul opérateur public en matière de logement social aux Iles du Vent (là ou se concentrent, 80% de la population, la majorité des mal logés et les plus graves problèmes sociaux) n’a pas non plus bénéficié de réserves foncières permanentes et suffisantes ou d’une priorité d’attribution au nom de l’intérêt général.
Au fil des années l’OPH a recensé les demandeurs de plus en plus nombreux, mais s’est progressivement noyé face à l’importance de la tâche et aux incohérences des comportements politiques et des directions successives.
- Immensité de la tâche : la demande est liée à la forte croissance de la natalité jusqu’au milieu des années 90 (et qui a un impact jusque 30 ans plus tard), aux migrations des habitants de nos archipels venus à Tahiti pensant y trouver un emploi et, donc y vivre mieux ;
- Incohérences des politiques publiques et des comportements : absence de politique active et
globale d’aménagement du territoire, cumul des missions de construction et de gestion du parc pour l’EPIC, insuffisante politique de soutien à une sortie de l’indivision qui aurait permis de mieux utiliser les terrains familiaux, entretien de la confusion entre l’idée d’argent public et argent gratuit, attribution et gestion clientélistes des locations sociales, discours politiques démagogiques incitant au non paiement des loyers, …
L’OPH englué dans les difficultés, a été désigné « responsable » de tous les maux d’autant que ses coûts de gestion sont élevés, en raison notamment d’une grille salariale particulièrement favorable et de décisions politiques à courte vue, comme celle de transférer à l’OPH dans les années 80, le personnel devenu embarrassant de la Caisse d’approvisionnement de l’habitat (CAH)
La capacité à construire de l’OPH, c'est-à-dire à faire sortir de terre des nouveaux logements
s’est émoussée au fil du temps, alors que les crédits d’investissement publics étaient mobilisables. L’argent des loyers non recouvrés dépasse les 2 milliards et le taux de non recouvrement des loyers est souvent cité comme un mauvais record dans toute la République !
Ces sommes non encaissées par l’OPH ont eu des conséquences multiples : par exemple l’EPIC est devenu de plus en plus dépendant de subventions de fonctionnement pour simplement entretenir son parc de logements. Plus grave les financeurs, et particulièrement l’AFD, y ont légitimement vu un signe de mauvaise gestion, un risque réel de non remboursement des sommes prêtées, pire un gaspillage d’argent public. Cet état de fait explique probablement aussi la frilosité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à prêter pour le logement social polynésien alors qu’elle est très présente en Nouvelle Calédonie, à des conditions particulièrement favorables. Ce qui a évidemment des conséquences sur le calcul du coût des loyers d’équilibre payés par les locataires pendantdes années !
Les nouvelles orientations depuis trois ans
La menace de voir l’AFD se retirer des programmes futurs de construction de l’OPH pour perte de confiance, les exigences de l’Etat, co-financeur du logement social par des subventions dans le cadre du Contrat de développement, puis du Contrat de projets, la prise de conscience, enfin, de certains politiques a conduit à partir de 2007, d’une part à une meilleure définition de la politique polynésienne en matière de logement social (Assises du logement et Livre blanc de l’OPH), et d’autre part à des actions de réforme internes à l’OPH dans la conduite des missions et activités.
Des progrès certains ont été réalisés. Nous sommes (nous étions ?) sur la bonne voie.
Mais la tâche est ardue et l’effort s’inscrit dans la durée.
Le conseil d’administration de l’OPH, son équipe de direction, les syndicats et le personnel, tous ont compris le challenge vital et accepté l’obligation de changement. Un exemple, la mise en oeuvre du règlement intérieur de la commission d’attribution de logements depuis deux ans permet d’attribuer des logements sur des bases équitables où le clientélisme est exclu. La « dépolitisation » est une réalité et le demeurera si les ministres successifs l’appliquent…
La mise en oeuvre des engagements du contrat de projets en matière de logement social ainsi que l’utilisation des lois d’incitation fiscale métropolitaine et polynésienne sont des opportunités en même temps que des défis. Ce n’est pas en décapitant l’OPH que l’on avancera. Le changement de la personne du directeur n’est pas la solution.
Or, la réussite des entreprises de longue haleine dépend, en grande partie, de la constance des dirigeants qui les portent. A ce titre, le changement du directeur de l’OPH induira un retard supplémentaire qui pénalisera ceux qui, en attente de logement, sont aujourd’hui les plus vulnérables d’entre nous.
Armelle MERCERON - Mai 2010