Nuutania : "Des échanges forts entre surveillants et détenus"


Yannick Massard, le directeur de la prison de Nuutania
Papeete, le 24/08/2015 - Yannick Massard est le directeur du centre pénitentiaire de Nuutania depuis le 1er mars. Auparavant, il a dirigé le centre pénitentiaire de Châlons-en-Champagne, puis celui de Nancy. À 38 ans, il participera à la réorganisation de l'administration pénitentiaire sur le Territoire tout comme Gilbert Marceau, le directeur du futur centre de détention de Papeari.

Nuutania est stigmatisé par son nombre de détenus élevé, ce centre pénitentiaire est pourtant unique en son genre, car la communication entre les surveillants et les détenus est omniprésente. Entretien.

En quoi la prison de Nuutania est-elle particulière par rapport aux autres prisons métropolitaines ?

" Il est vrai qu'il y a un modus vivendi sur l'établissement assez peu connu des autres établissements de notre administration. La relation entre les surveillants et les détenus y est très particulière grâce à une communication et des échanges réguliers très intenses. C'est une vraie force pour le site de Nuutania et pour le Territoire. Mais nous restons vigilants, nous faisons également face à une évolution de la délinquance et nous avons des profils à surveiller dans l'établissement.

Il est nécessaire de maintenir le haut de niveau de communication entre les surveillants et la population carcérale. Evidemment, nous ne nous satisfaisons pas de ce sureffectif, nous le gérons. Par exemple, les familles peuvent apporter du ma'a au détenu, une mesure unique dans l'administration pénitentiaire. Mais cette mesure est acceptée car elle participe à la bonne gestion de l'établissement et à la compréhension de ce sureffectif."

C'est vrai que la prison de Nuutania est appelée la "pire prison de la République" à cause de son sureffectif …

"Si une détention se résumait à son sureffectif, ça serait l'enfer. Il faut prendre en compte tout le quotidien, la vie de chaque détenu… Nous avons un nombre d'activités important, l'engagement de tous les services du territoire, etc. Les détenus sont occupés à des activités dont ils ne pourraient pas forcément bénéficier à l'extérieur. De plus, les interconnexions sont très fortes entre les familles, le personnel et les détenus; évidemment il faut être vigilent, en faire une force plutôt qu'une faiblesse.

Il faut bien comprendre que la prison est un petit village qu'il faut faire vivre. L'éducation nationale, les professionnels de santé, des éducateurs sont présents… Je dois faire en sorte que l'ensemble des services puissent fonctionner et assurer leur mission de service public."

Certains détenus préfèrent même rester en prison plutôt que de vivre à l'extérieur car ils ont des conditions de vie modestes.

"En effet, nous avons des détenus qui préfèrent aller au bout de leur peine en travaillant dans l'établissement plutôt que de sortir avec un aménagement de peine. Notamment pour les détenus qui travaillent à l'intérieur de l'établissement, nous avons des conventions avec la mairie de Faa'a et ceux-là bénéficient d'une rétribution. Du coup, ils réfléchissent à deux fois avant d'accepter un aménagement de peine, car la détention leur permet d'avoir une rémunération. "

En Polynésie, sortir de détention ne veut pas forcément dire que la vie s'arrête …

"C'est vrai il n'y a pas d'opprobre social comme on peut le voir en métropole. La mentalité est très positive. Une incarcération n'entache pas une vie, elle est plutôt vue comme une erreur de parcours. Cela est plutôt favorable pour éviter la récidive et obtenir des bons résultats de réinsertion professionnelle."

Certaines peines sont aménagées avec des bracelets électroniques, est-ce que vous ne rencontrez pas trop de difficultés techniques en Polynésie avec ces bracelets (électricité pour le recharger, téléphone à proximité, etc.) ?

"C'est vrai que des difficultés techniques peuvent survenir, malgré tout, le taux de niveau de placement avec un bracelet électronique reste assez fort par rapport aux nombres de condamnés. Certaines circonscriptions en métropole ont des taux plus faibles. Cela fonctionne plutôt bien, il y a un système d'alarme, un pôle centralisateur basé au Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et c'est globalement bien organisé. Nous avons un taux assez fort de respect d'obligations et peu d'arrêt de la mesure pour un retour en détention. Cela veut dire que les personnes placées sous bracelet électronique respectent relativement bien leurs obligations. "

Comment va se passer l'articulation entre le nouveau centre de détention de Papeari (prévu pour 2017) et la maison d'arrêt de Nuutania ?

"Nuutania restera toujours la seule maison d'arrêt en Polynésie française : cela veut dire que tous les détenus qui partent du tribunal seront écroués plus ou moins longtemps ici. Ne seront affectés au centre de détention de Papeari que des hommes majeurs, condamnés par la justice et orientés par l'administration pénitentiaire sur cet établissement. Ce seront forcément des détenus de Nuutania que nous enverrons à Papeari, ceux qui auront des peines longues, supérieures à deux ans. La maison d'arrêt de Nuutania continuera d'accueillir les mineurs, les femmes et les hommes majeurs qu'ils soient prévenus ou condamnés. Par exemple, un détenu condamné à six mois de prison restera à Faa'a."

Au 20 août 2015, la prison de Nuutania héberge 449 personnes détenues dont 16 femmes et 4 mineurs.

Une nouvelle prison permettra de désengorger Nuutania ?

"Oui, cela nous permettra de réduire les effectifs. Papeari comptera 410 places et Nuutania conservera ses 165 places."

Pourquoi Papeari est appelé centre de détention et non centre pénitentiaire ?

"Dans un centre pénitentiaire, il est possible d'avoir plusieurs régimes de détention (pour les femmes, les mineurs, etc.) comme c'est le cas à Nuutania. Papeari sera un centre de détention car il a un mode de gestion très particulier de gestion : seuls les détenus hommes majeurs affectés par l'administration dans cet établissement y seront incarcérés. (voir définition en encadré)"

Comment va s'articuler l'organisation entre la prison de Nuku Hiva et celle de Raiatea ?

"Raiatea est un établissement qui peut accueillir jusqu'à 17 détenus, Nuku Hiva 5 détenus. Nous envoyons des détenus dans ces centres de détention quand ils sont en fin de peine pour les rapprocher de leur famille. "

Ben Benacek a été envoyé dans un centre pénitentiaire en métropole en juillet, c'est une première. Allez-vous réitérer ce genre de mesure ?

"L'idée était de permettre une réinsertion pour ce détenu dans un environnement où il serait moins stigmatisé. C'est une opération relativement inédite depuis 1995, elle a été validée par le tribunal administratif. Si l'objectif n'est pas de réitérer cette procédure, cela démontre que nous somme en capacité de le faire en cas de nécessité. Nous sommes toujous dans un objectif d'individualisation de la peine. "

Définition juridique :

Maison d'arrêt : C'est un établissement qui accueille sans numerus closus - effectif présent ou hébergé qui peut dépasser l'effectif théorique de places disponibles - les personnes prévenues dans un dossier (non jugées, en détention provisoire, non condamnées définitives en appel ou en cassation). Le régime de détention de ces établissements est strictement en portes fermées au niveau des cellules de jour comme de nuit. Ainsi toutes les personnes amenées à être écrouées commencent leur séjour en prison dans une maison d'arrêt.

Centre de détention : C'est un établissement qui accueille avec un numerus closus - effectifs présents ou hébergés ne dépassant pas l'effectif théorique- uniquement des personnes détenues condamnées définitives par la justice et orientées dans cette structure suite à une procédure administrative. Le régime de détention peut accepter que certains étages ou bâtiments de détention soient gérés en porte ouverte au niveau des cellules dans la journée. La décision d'affectation dans un centre de détention est une décision de l'administration pénitentiaire. Les profils de ces détenus correspondent à des moyennes ou longues peines à exécuter.

Centre pénitentiaire : cela signifie qu'au sein de cet établissement co-existent les deux régimes de détention ci-dessus, maison d'arrêt et centre détention dans une même enceinte pénitentiaire.

Rédigé par Noémie Debot-Ducloyer le Lundi 24 Aout 2015 à 14:03 | Lu 6382 fois