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Nucléaire : une table ronde, une parole et quelques avancées


Paris, le 2 juillet 2021 - La table ronde parisienne sur les conséquences des essais nucléaires a permis à la délégation Reko Tika d'aborder avec l'État de nombreux sujets. En revanche, en dehors de promesses de libération des archives et de facilitation administrative des demandes d'indemnisation, les annonces de réparations morales ou financières sont faibles.
 
Une seule certitude émerge à la fin de la table ronde parisienne sur les conséquences des essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française : s'ils attendent des excuses ou une réparation morale forte de la part de la France, les Polynésiens devront au moins patienter jusqu'à la visite du président Emmanuel Macron en Océanie, le 25 juillet. 
Et encore, les citoyens du fenua feraient bien de ne pas fonder trop d'espoirs sur une attitude de repentance de la part du chef de l'État. Questionné à l'issue des discussions sur une potentielle "demande de pardon" de la part de la France pour ses 193 essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa, et leurs conséquences environnementales, socio-économiques et sanitaires, le ministre des Outre-mer a redit sa position réticente : "Le fait d'assumer est selon moi plus fort que demander pardon. Si c'est un débat symbolique on peut le comprendre, s'il s'agit d'une question politique, je le refuse tout à fait."

Fritch "satisfait de l'engagement de l'Etat"

Le président Édouard Fritch, pour sa part mais aussi au nom de la délégation Reko Tika, s'est dit "plutôt satisfait" de ces deux jours de discussions et de négociations à propos des essais. "Je suis confiant dans le discernement et l'empathie du président de la République Emmanuel Macron, qui est affecté comme nous tous par cette histoire douloureuse", a-t-il déclaré, lors d'une conférence de presse organisée à la Délégation de Polynésie française, à l'issue des deux jours de table ronde. Le président du Pays s'est dit avant toute chose "satisfait de l'engagement de l'État sur l'ouverture des archives et la mémoire".
La veille, la ministre déléguée aux armées, Geneviève Darrieussecq, avait fait sensation en déclarant à la presse qu'il "n'y a pas eu de mensonge d'État mais des interprétations dont on a pu dire que c'étaient de mauvaises interprétations". Ce vendredi 2 juillet, entourée de ses collègues ministres de la Santé Olivier Véran et du ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, elle essayait plutôt de défendre rien de moins qu'un "changement de paradigme" dans l'accès aux archives. "Nous n'avons rien à cacher, en dehors des informations que l'on qualifie de “proliférantes” et qui mettent en danger la sécurité de la France et du monde. Un groupe de travail sur la libération des archives sera formé dès le mois de septembre 2021 et tout ce qui n'est pas proliférant sera déclassifié. Des moyens seront mobilisés. Nous devons assumer ensemble."

Pas d'évolution de la loi Morin 

En cette date anniversaire du tout premier tir nucléaire aux Tuamotu - l'essai Aldébaran, qui a largement contaminé les Gambier - les conséquences sanitaires des essais nucléaires étaient au cœur des discussions. Invité et présent au plus haut niveau puisque son directeur avait fait le déplacement, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), une structure publique française, a présenté un rapport récent – il date de janvier 2021 – intitulé "Essais nucléaires et santé - Conséquences en Polynésie française". "Aujourd'hui, on pose les bases scientifiques, on partage les constats scientifiques avec l'Inserm, expliquait un participant proche de l'administration française en Polynésie, qui ne souhaite pas être cité. Il s'agit d'être d'accord, de partir du même endroit. Tous les sujets sont abordés, tout ce qui a trait à la santé."
Les critères et la méthode d'indemnisation du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) ont été réexpliqués mais la porte est restée fermée à toute évolution de la loi Morin sur le sujet fondamental de la dose minimale d'exposition. "L'État s'accroche au millisievert", confiait ainsi un membre de la délégation Reko Tika à l'issue des discussions autour de l'indemnisation des victimes.
Pour une autre participante à ces réunions, Patricia Grand, présidente de la Ligue contre le cancer en  Polynésie, "il s'agissait aussi de remettre de la complexité dans cette histoire : chaque fois qu'on annonce des chiffres, ils sont remis en cause. Il faut bien avoir en tête que certains cancers ne sont pas dus aux essais nucléaires. En ce qui me concerne, j'ai posé le constat de ce que les conséquences sanitaires des essais ont des répercussions graves sur la prise en charge des patients. Le service d'oncologie est sous-doté, nous manquons de matériel et de personnel, le taux d'occupation des lits est de 200% et les patients cancéreux doivent être répartis dans d'autres services." Patricia Grand, se félicite de la "bonne écoute" qu'elle a obtenu des services de l'État. La création d'un Institut du cancer et des moyens supplémentaires dans le traitement des maladies radio-induites sont en discussion depuis plusieurs mois avec le Pays. Mais les ministres français ne l'ont pas évoqué dans leur prise de parole finale, probablement afin de réserver la primeur des annonces au président de la République, lors de sa visite officielle en Polynésie.

Remboursement de la CPS a minima

Dans les intitulés même du programme de la table ronde, il s'agissait d'évoquer autant la santé des Polynésiens que l'avenir de leur système de santé et donc de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Cette dernière était absente des débats puisqu'elle n'était pas représentée officiellement. Mais le sujet a été abordé. "J'ai été un peu déçu de la façon dont les discussions se sont déroulées, confie le syndicaliste Patrick Galenon, ex-président de la CPS. Nous avons fourni à l'État beaucoup de données concernant la situation de la CPS, la façon dont les 23 maladies radio-induites ont coûté plus de 80 milliards de francs à la collectivité. Le problème c'est que visiblement ces données n'ont pas été traitées."
Il faudra clairement un soutien au plus haut niveau de l'exécutif français pour que cette question soit réglée dans un sens positif pour la très déficitaire caisse d'assurance maladie. "La demande de remboursement de la CPS me paraît légitime pour les personnes ayant fait l'objet d'une indemnisation par le Civen", a répondu le ministre de la Santé français Olivier Véran, questionné à ce propos par la presse. Puisqu'une soixantaine seulement de Polynésiens ont vu leur dossier accepté par le Civen, pour le moment, la part remboursable par la France selon ces critères ne représente qu'une infime fraction des dépenses engagées par la Caisse polynésienne afin de faire face aux dépenses générées par les maladies radio-induites. "Nous avons passé des conventions de retour à l'équilibre avec la CPS, les déficits de cette structure sont un autre sujet", a botté en touche Olivier Véran lorsqu'il était relancé sur le sujet par Tahiti Infos. "La seule raison qui fait que je ne suis pas complètement pessimiste sur ce sujet de la prise en charge par l'État de ce trou dans les finances de la CPS, c'est que le président de la République Emmanuel Macron en a parlé, veut croire Patrick Galenon. Il est le premier président à citer nommément cet organisme, nous attendons maintenant une réaction de l'administration française."

Cet état d'esprit positif et optimiste constitue la ligne politique du président Fritch et du gouvernement autonomiste de Polynésie. Ces derniers trouvent une dernière raison de se réjouir dans les promesses de "simplification d'accès au droit et de création d'un guichet unique" afin de déposer une demande d'indemnisation lorsqu'on a une maladie radio-induite. "Le but est d'inverser le sens du dispositif actuel, l'idée c'est “d'aller vers” avec des demandes simplifiées, un accompagnement et des équipes mobiles", détaillait le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, lors de la conférence de presse de clôture de la table ronde. Un bureau de dépôt des demandes d'indemnisation devrait être créé à Rikitea. 

De cela et de plusieurs autres points de détail parmi lesquels le récit des négociations ardues avec les fonctionnaires français, le président Fritch et la délégation Reko Tika rendront compte au fenua lors d'une série de communications publiques et de conférences de presse dans les prochains jours.

Rédigé par Julien Sartre, à Paris le Vendredi 2 Juillet 2021 à 13:11 | Lu 2091 fois