Nucléaire : le candidat Juppé s’engage à "supprimer" le risque négligeable de la loi Morin


Alain Juppé, mercredi à l’issue de sa rencontre sur le thème du nucléaire avec les associations de défense des anciens travailleurs du nucléaire, de protection de l’environnement et les représentants des églises catholique et protestante polynésiennes.
PAPEETE, 27 juillet 2016 - Alain Juppé s’est engagé mercredi à retirer le principe du risque négligeable des dispositions de la loi Morin, s’il était élu en 2017.

Alain Juppé est en campagne. Après avoir fait l’engagement, lundi à Papeete, de maintenir les dispositifs de défiscalisation en vigueur dans les Outre-mer et la sur-rémunération des fonctionnaires, le candidat à la primaire de la droite, s'est engagé mercredi matin à "supprimer de la loi Morin" le principe du risque négligeable.

Dans la foulée des déclarations faites par le président Hollande en février dernier, celui qui était Premier ministre de Jacques Chirac en 1995 pour la reprise des trois ultimes tirs à Moruroa, a reconnu les "conséquences" des 193 essais nucléaires français dans le Pacifique. "’L'affirmation répétée pendant des années selon laquelle les essais nucléaires ici étaient des essais propres était fausse. Ce n’était pas la vérité : ces essais ont eu – et ont toujours – un impact sur l’environnement qui est préoccupant ; ils ont eu aussi un effet sur la santé des populations".

Sur la question des conséquences sanitaires et de leur indemnisation le candidat Juppé à la candidature pour la présidentielle de 2017 a surtout décidé mercredi d'aller plus loin que le chef de l'Etat pour adoucir la grogne des associations de vétérans : "La loi Morin a constitué une étape, puisqu’elle a posé le principe de la réparation intégrale du préjudice subi. Et de ce point de vue là elle ne doit pas être abrogée. En revanche, l’article 4 qui règle le niveau du risque négligeable n’est pas une bonne chose et donne lieu à des retards d’indemnisation et à des contentieux qui ne sont plus acceptables. La modification qui est proposée, et qui consiste à ramener ce risque négligeable de 1 % à 0,3 % ne répond pas aux attentes et n’est pas à la hauteur des enjeux. C’est la raison pour laquelle j’ai dit ici qu’il fallait renoncer à ce principe du risque négligeable et à le supprimer de la loi Morin. Je ne sais pas si ce sera possible sous l’actuelle législature mais, si en 2017 j’ai des responsabilités au niveau national, c’est ce que je ferai", a-t-il promis à l’issue de son entretien, de 8 h à 10 h, avec les représentants des associations de défense des anciens travailleurs du nucléaire, des associations de protection de l’environnement et des églises catholique et protestante polynésiennes, dans les locaux de l’Eglise protestante Ma’ohi.

L'auditoire est resté indécis entre contentement et perplexité. "De belles promesses" a estimé Yannick Lowgreen, le président de l’association Tamarii Moruroa. "Les paroles sont belles".

"On reçoit cette annonce, et c’est tout", a commenté le pasteur Taaroanui Maraea, président de l’Eglise protestante Ma’ohi. "Ce qui est bien, c’est qu’il ait entendu nos doléances et répondu par cela. Mais pour le reste il faudra attendre".

Le président de l’association Moruroa e Tatou reste prudent : "J’attends les actes", explique Roland Oldham. "Durant la campagne, un homme politique a un certain langage ; une fois qu’il est élu, ça change".

"On saura lui rappeler ce qu’il nous a dit"

Le candidat à la primaire de la droite et du centre n’en contente pas moins potentiellement, mercredi, un fond de revendications récurrent depuis 2002 de la part des associations de défense des anciens travailleurs et des victimes du nucléaire. Le retrait du principe de risque négligeable des dispositions de la loi Morin laisserait le champ libre à celui de la présomption de causalité, également prévu par ce texte. Un principe par lequel serait établi d’office un lien déterminant entre la présence d’une personne sur des lieux potentiellement exposés à une contamination nucléaire et son atteinte ultérieure par l’une des 21 maladies reconnues radio-induites par la loi Morin et annexées au décret du 15 septembre 2014.

Car pour l’instant, depuis six ans, cette loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français n’a donné lieu qu’à l’indemnisation de 19 victimes, dont sept polynésiennes, sur les 1043 dossiers de demandes instruits à ce jour. Les dommages n'étant reconnus qu'au terme d'une procédure laborieuse et souvent en dernier recours après plusieurs années. Principal obstacle : le fameux article 4 de la loi Morin, qui précise qu'en cas de demande, lorsque les conditions de l'indemnisation sont réunies "l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable". Cette réserve est aujourd'hui à l'origine d'un taux de réponse favorable à l'indemnisation des victimes inférieur à 2 % (1,8 %).

Lors de sa visite en Polynésie française, en février dernier, le président de la République s’était ému publiquement de cette situation et avait annoncé une modification du décret d’application de la loi, avant la fin de l'année. Présenté le 6 juillet dernier à Paris aux représentants des associations et aux élus polynésiens, ce projet envisage pour l’instant d’assouplir la probabilité du risque négligeable de 1 % à 0,3 %. Et ne contente pas vraiment. "Je pense qu’il faut que l’Etat fasse preuve d’honnêteté et de réelle volonté" souligne à ce titre Roland Oldham. "Sans cela on va pinailler sans cesse sur le risque négligeable et tourner en rond. S’ils veulent que le Polynésien se sente à l'aise dans la République, il faudra bien un jour que l’on répare cette injustice que nous avons subie pendant des années".

"Est-ce que la question des essais nucléaires va constituer une cassure durable entre nous ?", s'interrogeait mercredi Alain Juppé, à l'issue de cette rencontre, "Ou est-ce qu’au contraire nous allons chercher la voie de l’apaisement ? C’est ce que je souhaite, avec je crois une grande partie des Polynésiens. (...) C’est la raison pour laquelle il faut que nous retrouvions toute la confiance entre nous en faisant toute la vérité, toute la clarté et toute la transparence à propos de ce qui s’est effectivement passé".

En revanche, Alain Juppé a estimé à l'attention du Tavini Huiraatira que les débats sur cette question ne devaient pas se tenir à l'ONU, afin de "chercher la voie de l'apaisement".

La tournée en Polynésie d’Alain Juppé s'achève mercredi soir. S'il demeure pour l'instant le candidat crédité des meilleures intentions de vote pour 2017, son chemin est encore long et incertain jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril prochain.

"Attendons qu’il franchisse le cap de la primaire à droite et soit élu président de la République française. A partir de ce moment-là on saura lui rappeler ce qu’il nous a dit aujourd’hui", s'est borné à conclure Yannick Lowgreen mercredi matin.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 27 Juillet 2016 à 13:48 | Lu 3469 fois