Nucléaire : le Tavini vise la France pour "crime contre l’humanité"


L’un des 46 tirs aériens menés par la France à Moruroa et Faugataufa sous l’égide du centre d’expérimentations du Pacifique, lors de sa campagne d’essais nucléaires de 1966 à 1974.
PAPEETE, 29 février 2016 - Le parti indépendantiste polynésien Tavini Huiraatira soutient le dépôt d’une plainte pour crime contre l’humanité visant la France devant la justice internationale, suite aux 193 essais nucléaires menés à Moruroa et Fangataufa jusqu'en 1996.

L’Etat des îles Marshall avait déposé, en avril 2014, devant la cour internationale de justice de la Haye, plusieurs plaintes contre les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Angleterre et la Chine, pour violation flagrante du traité de non-prolifération nucléaire signé par ces mêmes pays en 1968. L’Inde, la Corée du Nord, Israël et le Pakistan sont également visés par ces plaintes en tant que puissances nucléaires.

Mais comme nous l’explique Moetai Brotherson, éminence grise du Tavini Huiraatira, cette procédure doit être entendue comme "un minimum syndical". Car le deuxième étage de la fusée est actuellement en préparation. Il prendra la forme d’une procédure collective pour "crime contre l’humanité" devant la cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Plusieurs plaintes doivent être déposées avant le mois d’octobre prochain et portées collectivement par des Etats insulaires du Pacifique, dont celui des îles Marshall, qui s’estiment victimes des expérimentations nucléaires menées par les grandes puissances dans la région. Les doléances polynésiennes contre la France seront, dans ce cas, prises à son compte par l’un d’eux.

Moetai Brotherson et Richard Tuheiava sont attendus à New York mi-mars prochain, pour une mission d’une semaine à l’ONU où ils doivent se livrer à un lobbying intensif. Sur place, une quinzaine de rendez-vous sont programmés avec des Etats membres des Nations Unies, déjà soutiens de la résolution pour la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser, en 2013.
Il s’agira notamment de peaufiner cette class action régionale. L’objectif étant que la série de plaintes soit déposée devant la CPI au plus tôt de manière à ce que le projet de résolution adopté par la commission chargée de la décolonisation en "prenne note", en octobre prochain.

Quant à l’objet de ces plaintes, le "crime contre l’humanité", pour Moetai Brotherson la situation se passe de commentaires après 46 tirs aériens sur les 193 essais nucléaires français dans le Pacifique de 1966 à 1996 : "le caractère inaccessible de nombreuses archives montre bien que l’Etat a des choses à cacher (…). Aujourd’hui on constate tous les morts connus sans parler de tous ceux dont on ne sait rien", ajoute-t-il à la lueur du millier de dossiers de demandes d’indemnisation déposés à ce jour dans le cadre de la loi Morin, par des malades atteints de cancers reconnus comme potentiellement radio-induits ou par des ayants-droits, suite à leur décès. "Et on apportera la preuve qu’avant de commencer les premiers essais l’Etat français avait connaissance des risques de contamination : ce n’est pas un homicide involontaire…".

A New York, le calendrier de la quatrième commission chargée de la décolonisation prévoit notamment une réunion préparatoire en juin prochain avant la séance plénière, mi-octobre, où devra être validé le projet de résolution présenté cette année en décembre devant l’assemblée générale des Nations Unies.

Politique de la chaise vide

Pour les souverainistes polynésiens, l’objectif d’une telle action devant la justice internationale est de provoquer un électrochoc à Paris. Depuis le 17 mai 2013, date de la réinscription de la collectivité sur la liste onusienne des pays à décoloniser, les indépendantistes dénoncent la politique de la chaise vide pratiquée par la France à New York. "Maintenant que l’on est réinscrits, un débat doit avoir lieu sur toutes les composantes de la problématique de décolonisation", explique un cadre du Tavini. "Le fait nucléaire est une des composantes du fait colonial, de même que l’éducation, le foncier ou la question des ressources naturelles".

Pas sûr dans ce contexte que la présence d’Edouard Fritch change quoi que ce soit à la donne, aux Nations Unies en octobre prochain. Le président de la Polynésie française a confirmé à Tahiti Infos, le 18 février dernier, qu’il souhaitait y porter la voix des autonomistes polynésiens devant la commission chargée de la décolonisation. "Pour le moment, notre partenaire privilégié reste l’Etat français", nous a-t-il affirmé lors de cet entretien exclusif. "Les Polynésiens savent bien que nos problèmes ne seront pas résolus à New York".

Mais pour Oscar Temaru, président du Tavini Huiraatira, la partie se joue ailleurs maintenant que le processus est enclenché à l’ONU : "C’est l’Etat qui n’admet pas, qui ne suit pas, cette résolution dans laquelle il est demandé à la France de commencer à mettre en place le processus de décolonisation".

Et sur le nucléaire, le leader indépendantiste polynésien est catégorique : "On ne peut pas trouver une solution avec l’Etat, parce que l’Etat devient à ce moment-là juge et partie : c’est le tribunal international qui doit s’occuper de ça. Et c’est là qu’il faut transmettre ce dossier tellement important. (…) Nous avons discuté de ça avec les îles Marshall : ils ont connu les mêmes problèmes que nous, avec les américains", confirmait-il déjà il y a deux semaines, tandis que, jeudi dernier, il a harangué les élus de Tarahoi pour leur suggérer de "rédiger ensemble un réquisitoire à l'encontre de l'État et mettre l'État devant les tribunaux pour cette affaire".

Cette action devant la cour de justice internationale prendra certainement corps dans quelques jours à New York, grâce au soutien d'un ou plusieurs petits Etats insulaires du Pacifique. Elle n'en sera pas moins redoutable. Comme l'a volontiers reconnu devant les élus polynésiens François Hollande, lors de son passage à Tahiti, "dans le système de l’ONU, c'est ainsi : un micro-Etat et une puissance d’un milliard d’habitants, c’est le même vote".

Oscar Temaru recevait lundi dernier François Hollande, son ami de 15 ans à la mairie de Faa'a

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 29 Février 2016 à 19:27 | Lu 7583 fois