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Nucléaire : des victimes obtiennent justice au tribunal


PAPEETE, 24 septembre 2014 – Le tribunal administratif de Polynésie française a rendu deux décisions, mardi, qui mettent en cause la pertinence des évaluations faites par le Civen dans l’instruction de demandes d’indemnisation d’anciens travailleurs du nucléaire.

Les ayant-droits d’un des plaignants, M. Tamaku décédé en décembre 2012 d’un cancer de l’œsophage, ont obtenu mardi la condamnation de l’Etat à 8,56 millions Fcfp d’indemnisation en leur faveur ; ils en demandaient 54,7. Par une seconde décision, rendue le même jour, le Tribunal administratif de Polynésie française ordonne qu’il soit procédé à une expertise médicale d’un autre travailleur du nucléaire, M. Taha, afin de statuer sur le montant de son indemnisation. Il réclame 91,2 millions Fcfp.

Ces deux affaires présentent plusieurs points communs, le principal étant que la justice accepte de recevoir leur demande d’indemnisation après plusieurs rejets dans la cadre de la loi Morin.

D’abord, il s’agit d’anciens travailleurs du nucléaire en Polynésie française. Tous deux ont développé une maladie comprise dans la liste des affections radio-induites reconnues par les décrets d’application de la loi Morin. Tous deux ont déposé une demande d’indemnisation au titre de cette loi, dès 2011. Tous deux ont été confrontés à un premier rejet de leur demande, en 2012. Tous deux ont obtenu du tribunal administratif que soit annulée cette décision, avant de déposer l’un comme l’autre une seconde demande d’indemnisation. Elle-même rejetée par l’Etat en 2013, toujours après avis défavorable du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen). Enfin, tous deux, en désespoir de cause, ont engagé une ultime procédure devant le Tribunal administratif de Polynésie française pour obtenir raison. Bon droit qu’ils obtiennent finalement dans un prétoire au terme de trois ans de procédure.

"La justice, c’est finalement au Palais de justice que nous la trouvons et pas dans la loi", a déclaré sur un ton dépité aux journalistes de Polynésie 1ère l’avocat Philippe Neuffer, à la suite du rendu de ces deux jugements mardi.

A ce jour, la loi Morin pour l'indemnisation des victimes du nucléaire n'a donné lieu qu'à l'indemnisation de 14 demandes sur les 911 formulées depuis son entrée en vigueur. Au 1er avril 2014, le Civen avait reçu 895 demandes d’indemnisation déposées depuis 2010, 772 dossiers avaient été examinés et seulement 12 indemnisations accordées, dont 9 en Polynésie française.

La décision de rejet de l'Etat se fonde systématiquement sur l'avis du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, le Civen, chargé d'estimer l'exposition du plaignant au risque nucléaire. Et c'est précisément sur la qualité de cette analyse que s'est penchée la justice administrative, pour donner raison aux deux victimes.

Le tribunal rappelle avec constance dans ces deux décisions que les dispositions de la loi Morin du 5 janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des essais nucléaires français, instaurent une présomption de causalité au profit de la personne s'estimant victime. Mais il constate aussi que cette présomption de causalité peut être renversée, si le comité d’indemnisation, lors de l’instruction de la demande, établit que le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme "négligeable", au regard de la nature de la maladie de l’intéressé et des conditions de son exposition aux rayonnements ionisants. Or c’est sur ce point précis que l’analyse du Civen est jugée restrictive et contestable par la justice administrative. Le Tribunal constate en effet qu’elle ne tient pas compte notamment des "contaminations internes ou dites indirectes par inhalation d’air ou ingestion de produits de consommation eux-mêmes contaminés". Et ce faisant se place en contradiction avec "l’intention des auteurs" de la Morin en limitant "l’appréciation de l’existence d’une telle contamination au seul moyen de la dosimétrie".

Dès lors "la décision attaquée, qui s’est fondée sur cette recommandation, ne peut être regardée comme ayant renversé la présomption de causalité bénéficiant" au plaignant. Et partant de là que la victime est fondée à "demander réparation de l’intégralité des préjudices subis à la suite des essais nucléaires menés en Polynésie française".

Une fois de plus en somme, c’est la qualité des expertises du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires que met en cause par la justice, dans ces deux affaires.

En décembre 2013 déjà, le Tribunal administratif de Polynésie française avait fait droit au recours d’une habitante de Rikitea dont la demande d’indemnisation avait été rejetée par le ministère de la Défense. La mise en cause des conclusions jugées approximatives du Civen avaient alors motivé une injonction faite à l’Etat de réexaminer cette demande.

En dépit de cette décision favorable du Tribunal administratif, pour M. Tamaku, décédé le 18 décembre 2012, la victoire est posthume. Dans le cadre de ses fonctions sur des navires militaires chargés de l’assistance logistique à Moruroa et Fangataufa, il avait assisté à 46 tirs atmosphériques entre 1966 et 1974.

L’autre plaignant, M. Taha, souffre aujourd’hui d’une leucémie et se trouve dans l’incapacité d’exercer toute activité professionnelle depuis 1995. Il était manœuvre affecté à Hao et Moruroa jusque dans les années 80.

Dans son cas, non seulement le tribunal annule la décision de rejet de sa demande d’indemnisation mais ordonne une expertise de l’état de santé et de dépendance du plaignant depuis 1995, afin de statuer sur sa demande d’indemnisation de 91,2 millions Fcfp.
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Rédigé par JPV le Mercredi 24 Septembre 2014 à 15:25 | Lu 1468 fois