Nucléaire : 193 ouvre un nouveau combat


Le père Auguste Carlson, vendredi matin, à l'annonce de la création d'une cellule d'accompagnement et d'information des victimes polynésiennes des essais nucléaires.
PAPEETE, 14 octobre 2016 - L’association 193 s'apprête a créer une cellule d’accompagnement des victimes polynésiennes du nucléaire dans la perspective de demandes d'indemnisation. De 1992 à 2015, la Caisse de prévoyance sociale a recensé en Polynésie française 7489 personnes traitées pour des cancers reconnus comme potentiellement radio-induits par la loi Morin.

Entre 1992 et 2015, la caisse d’assurance maladie polynésienne (CPS) comptabilise 54,6 milliards Fcfp de dépenses engagées dans le cadre du traitement de 7489 personnes atteintes d’au moins un des 21 cancers reconnus comme potentiellement radio-induits par le décret d’application de la loi Morin, pour l’indemnisation des victimes du nucléaire.

L’association 193 a annoncé vendredi avoir l’intention de mettre en place, dès janvier prochain, une cellule d’accompagnement des victimes, à travers la Polynésie française, afin de faciliter l'ouverture de procédures en demande de réparation. Chaque section de l’association s’apprête à engager un recensement à travers les cinq archipels des malades atteints d’une des 21 pathologies reconnues par la loi Morin, ou de leur ayants-droit pour ceux qui sont décédés. Parmi les 7489 malades comptabilisés par la CPS entre 1992 et 2015, les deux-tiers ne sont aujourd’hui plus de ce monde.

Le père Auguste Carlson, président de l’association 193, pour la vérité sur les essais nucléaires français dans le Pacifique, a comparé cette initiative à "une autre étape, très importante" de l’action menée par son association depuis deux ans. Ce collectif s'était constitué en 2014 en référence aux 193 essais nucléaires réalisés en Polynésie française du 2 juillet 1966 au 27 janvier 1996. Première initiative toujours en cours : l'association compte aujourd’hui, localement, "plus de 51 000" signataires à la pétition mise en circulation depuis février dernier pour demander l’organisation d’un référendum local sur la question du nucléaire en Polynésie.

L’élément déclencheur de ce nouveau chapitre de son action est la reconnaissance officielle par le ministère de la défense, en juillet dernier, après avis favorable du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), du droit à l’indemnisation sous l’égide de la loi Morin pour les ayants-droit d’une première victime d'un genre nouveau : celle-ci aura passé sa vie entre Raiatea et Papara, à 1200 kilomètres des sites d’expérimentation nucléaire. Sans jamais mettre les pieds ni à Moruroa, ni à Fangataufa, ni à Hao, et sans avoir jamais travaillé dans un environnement directement lié au Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), cette Polynésienne était atteinte par un cancer du sein depuis 1994 et décéda en décembre 2004 après avoir développé un myélome. L'Etat vient de reconnaître le caractère radio-induit de la maladie qui l'a terrassée.

Sept Polynésiens ont pour l’heure été indemnisés depuis 2010 sous l’égide de la loi Morin, sur près de 1043 dossiers de demande soumis à l’avis du Civen. Tous sont soit des anciens travailleurs du nucléaire, soit des personnes ayant résidé dans des "zones à risque" lors des campagnes d’essais aériens, entre 1966 et 1974.

"Ce fait nouveau nous donne une force nouvelle et crédibilise le combat que nous menons depuis bientôt deux ans", insiste de père Auguste. "Ce cas, reconnu par l’Etat comme un décès lié au nucléaire, ouvre les portes à tous les autres malades polynésiens. En premier lieu aux 7489 recensés par la CPS et plus généralement à tous les autres Polynésiens qui développe une des 21 pathologies de la loi Morin ou leurs ayants-droit pour ceux qui sont décédés : nous allons ouvrir une cellule d’accompagnement et de réparation de toutes les victimes polynésiennes liées aux essais nucléaires. A partir d’aujourd’hui nous allons nous préparer pour cela".

Une subvention de 4 millions Fcfp a été demandée au Pays aider au financement de cette initiative. "Si elle ne nous est pas accordée, nous ferons quand même", martèle le père Auguste.

L’association 193 se défend d’être en "concurrence avec Moruroa e tatou", dans la mesure où cette autre association de défense des victimes du nucléaire intervient en premier lieu à l'attention des vétérans du CEP.

Le père Auguste a en outre pleinement assumé, vendredi en préambule de ces annonces, les propos tenus lors de son intervention, début octobre devant la 4e commission de l’ONU, lorsqu’il avait comparé la Polynésie à "une poubelle nucléaire". Il a en revanche réfuté le caractère politique de cette démarche, en souhaitant la distinguer de celle des pétitionnaires souverainistes : "Il fallait dire une parole sur le nucléaire, portée par une association apolitique", a-t-il insisté.

La liste des 21 maladies radio-induites reconnues par le décret du 30 avril 2012 pris en application de la loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires

Leucémies (sauf leucémie lymphoïde chronique car considérée comme non radio-induite).
Myélodysplasies.
Cancer du sein.
Cancer du corps thyroïde pour une exposition pendant la période de croissance.
Cancer cutané sauf mélanome malin.
Cancer du poumon.
Cancer du côlon.
Cancer des glandes salivaires.
Cancer de l'œsophage.
Cancer de l'estomac.
Cancer du foie.
Cancer de la vessie.
Cancer de l'ovaire.
Cancer du cerveau et système nerveux central.
Cancer des os et du tissu conjonctif.
Cancer de l'utérus.
Cancer de l'intestin grêle.
Cancer du rectum.
Cancer du rein.
Lymphomes non hodgkiniens.
Myélomes.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 14 Octobre 2016 à 16:01 | Lu 4364 fois