"Nous sommes les seuls à vouloir agir de manière pragmatique et concrète" (Gasior)


Jérôme Gasior conduit la liste "Dignité, bonheur" que présente parti Union polynésienne républicaine (UPR) au scrutin du 22 avril pour le renouvellement des représentants de l’assemblée.
PAPEETE, 17 avril 2018 - Tahiti Infos ouvre une tribune, dans chacune de ses éditions depuis le 12 avril, afin de permettre aux leaders des six listes qui se présentent aux élections territoriales de décliner leurs ambitions pour le Pays, l'esprit de leur programme politique, l'attitude qu'ils envisagent en cas de second tour, et d'autres considérations en lien avec les élections du 22 avril et du 6 mai pour le renouvellement des représentants de l'assemblée. Nous avons choisi d'observer l'ordre de présentation défini par l'Etat, lors du tirage au sort du 28 mars dernier. Nous publions demain notre entretien avec le président Edouard Fritch, leader du Tapura Huiraatira, pour clore ce cycle. Aujourd'hui, entretien avec Jérôme Gasior, tête de liste du parti Union polynésienne républicaine (UPR).

Vous êtes un nouveau venu dans le paysage politique local. Qui êtes-vous Jérôme Gasior ?
Vaste question… Je suis avant tout père de famille. J’ai deux enfants. J’ai 42 ans. Je suis chef d’entreprise. Je travaille dans la finance et dans l’immobilier. Je suis en Polynésie depuis bientôt 10 ans. Et puis, question loisirs, je suis passionné par le jeu d’échecs. Voilà pour ce qui est de la famille, du travail et des loisirs.

Après une participation peu concluante aux dernières législatives, l’antenne locale de l’UPR se jette dans le grand bain des Territoriales. Vous y croyez vraiment ?
Oui. Les élections législatives ont été un rendez-vous particulier. Les gens en avaient assez de voter. Il y avait eu la primaire de la droite, les primaires de la gauche, l’élection présidentielle… Ça faisait six fois que l’on était convoqué à un scrutin en l'espace de quelques mois. En plus, il me semble que tout semblait joué d’avance. Les candidats de Macron étaient donnés gagnants en Métropole. Je pense que tout cela a fait que cette élection n’intéressait personne. Je préfère retenir le résultat que nous avons fait à la présidentielle (en avril 2017, ndlr). A l’époque nous n’étions rien du tout. Nous étions une demi-douzaine à faire campagne pour l’UPR ; nous n’avions jamais fait de politique. On ne savait pas comment ça marchait et on a réussi à faire 1 200 voix. Je considère que c’est un tour de force. Aujourd’hui, notre mouvement s’est renforcé au plan local. Je pense que l’on a prouvé que l’on réussissait à être dans la cour des grands : franchir les barrages et déposer une liste pour les Territoriales n’est pas une mince affaire. Nous sommes aujourd’hui de mieux en mieux organisés. J’ai souvent affaire à des gens, partout en Polynésie, qui nous soutiennent dans notre démarche et adhèrent à notre programme.

Vous parlez de "barrages". Avez-vous rencontré des difficultés à constituer votre liste ?
Oui, c’est terrible d’arriver à déposer une liste. Nous sommes dans un système où, si les gens ne s’autocensurent pas d’emblée, ils doivent faire face à des menacent sur le ton « Ne te présente pas, sinon tu vas avoir des problèmes ». On a été obligés de rassurer, de conforter voire de promettre une protection en justice. Je suis même allé jusqu’à m’engager à employer certaines personnes qui étaient menacées de licenciement. J’ai dû promettre, pour que des gens soient rassurés. Il y a une grosse pression. Il faut être suffisamment fort pour y faire face.

Financièrement, avez-vous réuni les fonds nécessaires pour la campagne ?
Pour l’instant, on n’a toujours pas bouclé notre budget. Je ne sais pas… Nous sommes le Petit Poucet de cette élection. On part avec des moyens très limités. On aura une aide du parti national Union populaire républicaine. Ensuite nous sommes quelques-uns ici à avoir un peu de moyens. On va certainement devoir financer sur fonds propres.

Qu’est-ce qui distingue la liste Union polynésienne républicaine dans l’offre politique à ce scrutin ?
Je crois que nous sommes les seuls à ne pas faire d’idéologie et à vouloir agir de manière pragmatique et concrète. On pense que nous sommes dans une situation d’urgence et qu’il faut mettre en œuvre des mesures immédiatement. La question de l’évolution statutaire… Je ne prétends pas que c’est sans importance ; mais ce n’est pas l’urgence aujourd’hui. L’urgence, c’est qu’il y a des gens qui sont dans une pauvreté phénoménale, d’autres qui n’ont pas même de quoi manger à leur faim… Voilà les priorités auxquelles on doit s’intéresser, en premier lieu. Et d’une façon simple : en prenant les choses dans l’ordre, à commencer par le secteur primaire.

Quel résultat pensez-vous faire le 22 avril ?
Honnêtement, je ne sais pas. J’aurais aimé que le scrutin ait lieu le 22 mai, parce qu’à la vitesse où l'on se développe on pourrait envisager de gagner avec un mois de plus (rires). Là, je ne sais. Ce que je vois, c’est que chaque jour nous sommes plus forts que la veille. On gagne du terrain. Où se situera-t-on au soir du premier tour ? Je n’en ai aucune idée.

Vous espérez tout de même franchir la barre des 3 % ?
Ah oui ! Bien sûr. On espère être bien au-dessus. Mais les résultats, personnes ne peut les connaître à l’avance. Ce sont les électeurs qui décident. Ce que je constate, c’est que nous remplissons nos meetings. Plus de 100 personnes sont venu à la Presqu’île. A Mahina nous n’avons pas eu assez de chaises. Il y avait plein de gens debout. Les gens participent. Ils posent des questions et montrent leur intérêt. Ils nous disent « C’est ça qu’on veut ».
Nous organisons un grand meeting, le 19 avril à la mairie de Punaauia. Ce sera le test pour constater si nous sommes nombreux, ou pas. Ça nous donnera un avant-goût de notre résultat.

Votre slogan est "Dignité, bonheur". Ces deux sentiments sont-ils en carence, de votre point de vue, dans la population polynésienne ?
Oui. Je pense qu’ils caractérisaient le peuple polynésien d’il y a 50 ans. Ce sont des sentiments que se sont perdus et que nous voudrions retrouver.

Vous mettez en avant le principe de probité en politique. Les hommes politiques en manquent-ils tant que ça ?
Non, il ne s’agit pas de nos hommes politiques. Je crois que ça vient du système. Quand le système est mal organisé, il génère les conditions favorables au manque de probité. Ce n’est pas les hommes qui sont en cause. Pour changer le système, il faut changer les institutions. En mettant en place certains outils, on peut arriver à changer cette donne. Je crois qu’il s’agit de quelque chose de très important, parce que les jeunes n’y croient plus. Ils s’abstiennent de plus en plus. Ils finissent par penser que tous nos hommes politiques sont corrompus et tombent dans l’exagération. Ce système est à l’origine d’une démobilisation citoyenne. Nous voulons mettre en place des garde-fous pour prévenir les tentations de la corruption.

Par exemple ?
Un casier judiciaire vierge. Dans ma profession, si je n’ai pas un casier vierge, je ne peux pas exercer. Pourquoi les hommes politiques ne seraient-ils pas traités de la même manière ? Leur rôle est tout de même bien plus important que le mien.
Deux mandats maximums, comme ça on ne pense pas à sa réélection. On n’incite pas les élus à acheter les voix ; on n’en fait pas des professionnels de la politique. On leur fait comprendre qu’ils sont en CDD et pas en CDI, qu'ils sont là pour servir et temporairement.
Le non-cumul des mandats, pour éviter la dérive qui conduit certains élus cumulards à utiliser un mandat pour favoriser l’autre. Tout ça dépend du système.


Pour œuvrer à ces changements, il est nécessaire de commencer par être élu. Vous croyez vraiment en vos chances ?
Bien sûr. Dans la mesure où nous sommes les seuls à porter ces idées-là, pas mal de gens se reconnaissent en nous. Nous n’avons pas encore eu le temps de toucher tout le monde. Si nous ne gagnons pas là, on gagnera la prochaine fois. Nous sommes là pour durer. Nos idées gagneront, un jour ou l’autre.

S’il vous était donné de gouverner, quelle politique souhaiteriez-vous proposer pour les cinq prochaines années en matière économique et pour l’emploi ?
Le premier point est de développer le secteur primaire pour atteindre l’autonomie alimentaire. Nous importons en Polynésie 85 % de la nourriture que l’on consomme. Cela nous coûte 48 milliards par an. Et cet argent part à l’étranger. Nous voulons au contraire nous appuyer sur les techniques de la permaculture, qui permet de produire beaucoup sur de petites surfaces, y-compris en pente. C’est un modèle agricole particulièrement bien adapté à nos îles. Il demande très peu de mécanisation, donc beaucoup d’emploi humain. Quatre personnes peuvent travailler par hectare. Il nous faudrait cultiver 2 000 hectares pour parvenir à l’autonomie alimentaire. Cela fait 8 000 emplois.
Ensuite, nous voulons développer tout ce qui est à forte valeur ajoutée. Nous avons des produits dans le secteur primaire qui peuvent rapporter beaucoup d’argent : le ylang-ylang, le vétiver, la vanille, le bois de santal… la mu-conotoxine, cette neurotoxine que produit le cône du Pacifique et qui s’échange à plus de 50 milliards de francs le kilogramme. Il faut constituer des filières pour exploiter ces ressources et les exporter à l’étranger. Comme cela aussi on créera beaucoup d’emplois.
Un secteur que l’on souhaite développer également est celui des énergies renouvelables. L’objectif est de parvenir à l’autonomie énergétique. Là encore, on créera des emplois.
Enfin, pour tout ce qui concerne les grands investissements, on veut soumettre tous les projets qui existent à l’avis de la population par le biais d’un référendum local. Le patron, c’est la population. Ce référendum sera mis en place très rapidement. (…) Le rôle de l’exécutif sera ensuite de mettre en place ce que la majorité populaire a choisi.


Quelles sont selon vous les urgences à mettre en œuvre dès à présent ?
Pour nous, c’est vraiment tout mettre en œuvre pour développer le secteur primaire.
On veut aussi, parallèlement, mettre en place une monnaie locale, avec le soutien de l’Etat. La parité du Francs pacifique est trop élevée au regard de notre productivité. Notre monnaie est indexée sur l'Euro, qui est la monnaie des Allemands. La richesse par habitant produite chaque année en Allemagne est trois fois supérieure à la nôtre. (…) Cela nous pose un sérieux problème de compétitivité. Nous voulons donc créer une monnaie locale que l’on utiliserait en parallèle avec le Franc pacifique, un peu comme les Suisses avec le Franc Wir. Cela pourrait représenter l’équivalent de 20 000 francs de dividendes pour chacun, tous les mois. (…) Une loi française de 2014 autorise déjà la création de monnaies locales ; une quarantaine d’expériences ont été conduites depuis 3 ans par des villes métropolitaines. On veut simplement aller plus loin dans cette démarche, pour donner aux Polynésiens accès au dividende universel, faute de RSA (Revenu de solidarité active, ndlr) applicable ici.


Le système de la Protection sociale généralisée (PSG) est structurellement déficitaire. Tout le monde s’entend pour admettre qu’il faut le réformer. Que proposez-vous et dans quels délais ?
Nous prônons le tout bio sur la base d’une production locale issue de la permaculture. En mangeant mieux, on arrivera à corriger progressivement et sur tout le territoire les mauvais chiffres de la santé. Il y a aussi de la pédagogie à faire pour corriger les habitudes alimentaires : on mange beaucoup trop de sucre ; c’est très mauvais pour nous.

La caisse des retraites est annoncée en cessation de paiement pour 2020, faute de réforme. Comment proposez-vous de gérer cette urgence ?
Ce problème sera réglé si on crée 8 000 à 10 000 emplois de plus. Mais dans l’immédiat, il n’y a que trois leviers sur lesquels nous puissions agir : soit on augmente le niveau de cotisation ; soit on augmente la durée de cotisation ; soit on diminue les pensions de retraites. Et là encore, je pense que, comme sur tous les grands qui concernent la société, c’est à la population de choisir. Il ne faut plus qu’il y ait de menace de blocage du pays. Cette réforme doit se faire avec l’accord de la population. Ce système appartient à tout le monde ; il revient à la majorité de choisir comment on le réforme.

Quelle politique sociale proposez-vous pour venir en aide aux familles polynésiennes ?
On veut maintenir les dispositifs actuels et rajouter notre dividende universel de 20 000 francs par mois. Ce qui fera un gros coup de pouce pour aider les gens qui n’ont pas de revenus.

Le mode de scrutin des Territoriales ne laisse que peu de chances aux petits partis. En cas de disqualification dès le 1er tour, vers qui orienterez-vous vos électeurs ?
Ce mode de scrutin est difficile ; mais pour être franc je le trouve très bien. Je le trouve préférable à l’instabilité. Les règles du jeu sont les mêmes pour tout le monde. A nous de courir. On procède par étape. Notre premier objectif était de poser une liste. Maintenant on se bat pour le premier tour. Pour le deuxième tour on verra. Pour l’instant on se bat pour y être.
Vous savez, si on se présente aux élections territoriales, c’est parce que l’on a trouvé personnes pour défendre nos idées. Dans le cas d’une élimination pour le second tour, si quelqu’un voulait discuter avec nous, notre priorité c’est notre programme. Nous ne sommes pas fermés dans la mesure où on obtient des garanties de la part d’un parti présent au scrutin du 6 mai.


La première des idées que vous souhaitez défendre ?
C’est le développement du secteur primaire dans les conditions que je vous ai décrites. Ensuite l’énergie et la monnaie locale.

L’UPR sera-t-il présent aux prochaines élections municipales ?
Oui, nous sommes là pour durer.

La liste du parti Union polynésienne républicaine



Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Mardi 17 Avril 2018 à 16:00 | Lu 2873 fois