« Nous devons cesser de considérer l’océan comme un dépotoir et un réservoir aux ressources illimitées »


PAPEETE, le 7 juin 2019 - « Islands Voices » (les voix des îles) est un groupe de personnalités de la société civile de plusieurs pays du Pacifique, unis pour renforcer la collaboration internationale sur la protection des océans. Ce groupe se réunit cette semaine en Polynésie française, à l’initiative de la fédération environnementale Te Ora Naho, de l’ONG Pew et de la fondation Bertarelli. L’échange international se terminera en célébrant la Journée Mondiale des Océans le samedi 8 juin à la pointe Vénus, avec le festival Effet Mer ouvert au public. Aujourd’hui, Jérôme Petit de l’ONG Pew rencontre l’une des invités à cet échange, Jacqui Evans, originaire des îles Cook. Jacqui est lauréate du prix international Goldman, considéré comme le prix Nobel de l’écologie, pour l’année 2019.

Les îles Cook sont les plus proches voisines de la Polynésie française. Elles sont réparties sur une surface de près de deux millions de kilomètres carrés, à environ 1000 kilomètres à l’ouest de Tahiti. Ce pays indépendant, en libre association avec la Nouvelle Zélande, compte un peu moins de 20 000 habitants. 
Le mode de vie traditionnel polynésien des îles Cook maintient un lien culturel très fort avec l’océan. La pêche artisanale de subsistance a une place capitale dans l’économie locale. Mais le budget du gouvernement des Îles Cook dépend aussi grandement des recettes provenant de l’octroi de licences de pêche à des navires étrangers, pour venir pêcher le thon dans la zone maritime territoriale. 

Depuis plusieurs années, la population des îles Cook craignait que la surpêche endommage les écosystèmes marins dont elle dépend. En particulier, les habitants des îles du nord étaient inquiets de l’impact des navires de pêche commerciale, qui s’approchaient à moins de 12 milles marins de leurs îles. Face à ces appréhensions, en juillet 2017, le gouvernement des îles Cook a promulgué une nouvelle législation – Marae Moana – pour préserver de manière durable l’ensemble du territoire océanique du pays. Il a désigné 15 Aires Marines Protégées de grande taille, sur une zone de 50 milles marins autour de chaque île (voir la carte ci-dessous).

Au sein de ces zones de protection, la pêche artisanale pour la population locale est autorisée, mais la pêche industrielle (palangrière et à la senne) est interdite, de même que l’exploitation minière des fonds marins. Les 15 zones de protection recouvrent une surface totale de 320 000 km², ce qui représente environ 16% du territoire maritime. Le nom Marae Moana signifie « l’océan sacré ».

Jacqui Evans, une écologiste native des îles Cook, a été la cheville ouvrière de la création de ces zones de protection. Elle a mené une campagne de plus de 5 ans au sein de l’ONG Te Ipukarea Society pour promouvoir la protection des eaux des îles Cook. Elle a parcouru des milliers de kilomètres pour obtenir le soutien de l’ensemble des communautés insulaires, avec une équipe composée de chefs traditionnels, d’ONG et de scientifiques. Malgré l’opposition des pêcheurs commerciaux et du gouvernement au départ, Jacqui et ses partenaires ont finalement gagné leur combat en faisant émerger un consensus grâce à un large soutien de la population locale. Jacqui a reçu le prestigieux prix international Goldman cette année, en reconnaissance de son engagement environnemental exceptionnel. 

Jacqui sera la marraine d’une exposition artistique caritative sur le thème du rahui organisée par l’Agence Barefoot Studios en partenariat avec Pew et la mairie de Pirae. Elle fera un discours lors du vernissage de cette exposition, ouvert au public, le vendredi 7 juin 2019 à 17 h 30 à la mairie de Pirae. 

Article rédigé par Jérôme Petit, Directeur du programme Pew Bertarelli à Tahiti

Dans les 8 Aires Marines Protégées autour de chacune des 15 îles Cook, la pêche commerciale et l’exploitation minière des fonds marins sont interdites (image du bureau de coordination de Marae Moana).

INTERVIEW AVEC JACQUI EVANS

En quoi Marae Moana est un succès ?
Avec cette législation, nous sommes assurés que nos ressources marines et notre pêche artisanale seront préservées pour les générations futures. Marae Moana est très importante parce qu’elle réunit le gouvernement, les représentants des associations et du secteur privé pour s’attaquer aux problèmes des océans collectivement. Tout le monde a un nombre égal de participants à la table de négociation et les décisions sont prises de manière transparente et démocratique. 

Quels ont été les principaux obstacles auxquels vous avez fait face ?
Le principal défi que nous avons rencontré était le manque de vision de certains services publics au départ. Le gouvernement ne répondait pas à la demande de la population. Certains ne voulaient pas reconnaitre les avantages de long terme des zones de protection et ne voyaient que les aspects négatifs. Au niveau international, il n’est pas rare que les représentants de la société civile qui militent pour protéger l’environnement soient mis au ban. Ils voient souvent leurs propositions rejetées et leurs questions ignorées. Ils sont même parfois discrédités en dépit de preuves, forcées à se taire quand ils souhaitent s’exprimer librement ou insultés parce qu’ils ne suivent pas la ligne. Mais heureusement aux îles Cook, la voix du peuple a fini par être entendue et respectée.

Quelle a été votre stratégie pour contrer ces obstacles ?
Pour inverser la tendance, nous avons fait appel à des experts internationaux pour informer les services publics. Ils ont été vraiment utiles, notamment pour parler des espèces migratrices et des zones de reproduction qui doivent être protégées pour augmenter la population de certaines espèces. Les ONG internationales nous ont aussi aidés à convaincre les décideurs. Elles nous ont présenté des personnes importantes au niveau international. Elles ont réalisé des vidéos ou nous ont offert des fonds pour pouvoir communiquer et sensibiliser la population.

Quel est votre message pour le Pacifique et la planète ?
Il ne suffit pas d’établir des zones de protection marine, d’exiger des études d’impact environnemental, d’adopter des lois et des directives. Nous devons aussi cesser de considérer l'océan comme un dépotoir et un réservoir aux ressources illimitées. Notre océan, de ses eaux les plus profondes jusqu’à la splendeur de ses récifs, détient une véritable personnalité. Mais il est maltraité, attaqué et il appelle maintenant à l’aide. Tous ensemble, nous les peuples du Pacifique, pouvons venir à son secours !

le Vendredi 7 Juin 2019 à 09:50 | Lu 1561 fois