Nos rivières et océans peuvent-ils avoir une "personnalité juridique" ?


"L'eau au caractère éminemment labile et instable dans la culture occidentale est garante dans la nôtre, de la permanence et de la perpétuation des êtres vivants, au fil des générations", souligne Eliane Tevahitua, dans sa question adressée au gouvernement.
PAPEETE, le 3 avril 2017. Mi-mars, le Parlement néo-zélandais a accordé au fleuve Whanganui le statut d’entité vivante. Les droits et les intérêts du cours d’eau pourront être défendus devant la justice. Inspirée par cette initiative, la représentante UPLD propose de "doter nos rivières et notre océan d'une personnalité légale".

Eliane Tevahitua a déposé mardi dernier une question écrite au gouvernement polynésien. La représentante UPLD souhaiterait "doter nos rivières et notre océan d'une personnalité légale". "Nos rivières font incontestablement partie de notre patrimoine naturel et culturel et elles sont insuffisamment protégées des nuisances pollutives", souligne-t-elle.
Cette question intervient alors que deux fleuves sacrés du nord de l'Inde, le Gange et la Yamuna, ont été reconnus comme personnalités juridiques par la justice. Cette décision a été prise pour combattre plus efficacement la pollution de ces cours d'eau.

Ce jugement est intervenu quelques jours à peine après la reconnaissance par la Nouvelle-Zélande d'un fleuve révéré par les Maori comme entité vivante, ce qui a été décrit comme une première mondiale (lire ci-dessous).

Inspirée par ce qu'il s'est passé en Nouvelle-Zélande, Eliane Tevahitua demande au ministre de "faire le point sur les opérations déjà effectuées et à venir pour la réhabilitation de nos cours d'eau et quelles sont les actions futures qu'(il) compte mener pour leur reconnaissance culturelle ?" "Envisagez-vous de faire évoluer la législation locale sur la protection de nos rivières en dotant celles-ci d'une personnalité juridique forte de manière à permettre aux Polynésiens vivant sur leurs berges ainsi qu'aux communes dont elles dépendant et au Pays, de saisir un avocat dédié afin d'exercer des recours devant les tribunaux en cas d'atteintes environnementales qui leur sont portées (pollution de toutes natures, extractions illicites, remblais intempestifs, surpêche, dépotoirs sauvages, détournement du lit de la rivière, etc)? " , écrit-elle. Dans sa question, la représentante souligne que "le destin du Polynésien est intimement lié à son environnement, ses rivières et à son océan".
"Enfant, je me souviens qu'on n'habitait pas à côté des rivières : les gens savaient qu'il pouvait y avoir des crues et surtout la rivière était propre : on pouvait s'y baigner, attraper des chevrettes, des anguilles",
se rappelle Eliane Tevahitua. "La rivière était nourricière. Quand on allait pêcher, on y allait pour nos besoins seulement pas pour exploiter la nature. Il y a eu une césure entre le passé et maintenant. Dans notre culture, il y avait ce respect de la nature."

En Nouvelle-Zélande, c'est la tribu Whanganui qui sera chargée de protéger le fleuve. Au fenua, Eliane Tevahitua souhaiterait rassembler autour d'une table les différents intervenants (gouvernement, riverains, propriétaires fonciers, les associations de défense de la nature et associations culturelles) avant que soient prises des décisions concernant les rivières.

"Quand on veut protéger la rivière forcément on doit protéger l'océan"

Eliane Tevahitua souhaiterait davantage de concertation avec les riverains et les propriétaires fonciers lors des curages et extractions dans les rivières.
La représentante UPLD va plus loin et souhaiterait étendre ce statut de personnalité juridique à l'océan. "Ne croyez-vous pas primordial de conférer également une personnalité juridique à Te Moana Nui a Hiva, notre océan, de façon à permettre à tout Polynésien, aux communes et au Pays, via un membre du barreau désigné, d'ester en justice pour défendre ses intérêts?", demande Eliane Tevahitua au ministre de l'Environnement. "Pour nous cela va ensemble quand on veut protéger la rivière forcément on doit protéger l'océan", explique-t-elle. "Si on veut laisser à la génération de nos petits-enfants quelque chose de vivable, il faut le faire maintenant."

Pour la représentante UPLD, cette protection des rivières et de l'océan ne rimera pas avec un immobilisme économique. Elle prend exemple du projet d'aménagement hydroélectrique dans la vallée de la Vaiiha: "il n'y a pas d'incompatibilité avec les projets qui vont justement dans le sens de notre indépendance énergétique tant qu'ils respect les normes environnementales mais il ne faut pas faire n'importe quoi."
La question d'Eliane Tevahitua sera abordée au cours de la session administrative à l'assemblée qui débutera le 13 avril prochain.


Un fleuve reconnu comme une entité vivante en Nouvelle-Zélande

Le fleuve Whanganui, le troisième plus long cours d'eau de Nouvelle-Zélande et sacré par les Maori, s'est vu doter mi-mars d'une "personnalité juridique" et donc reconnu par le Parlement de Nouvelle-Zélande comme une entité vivante.
"Il aura sa propre identité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants", a expliqué le ministre de la Justice Chris Finlayson. "Cette approche qui accorde à un fleuve une personnalité juridique est unique".

Le nom maori du cours d'eau est Te Awa Tupua. La tribu Maori locale lutte pour la reconnaissance de ses droits sur le fleuve depuis les années 1870, a relevé M. Finlayson. "La nouvelle législation est une reconnaissance de la connexion profondément spirituelle entre l'iwi (tribu) Whanganui et son fleuve ancestral".

Le cours d'eau est un être vivant unique, "partant des montagnes jusqu'à la mer, y compris ses affluents et l'ensemble de ses éléments physiques et métaphysiques", selon la nouvelle législation.

Ce statut aura pour traduction concrète que les intérêts du cours d'eau seront défendus dans les procédures judiciaires par un avocat représentant la tribu et un autre le gouvernement.
L'iwi a également reçu 80 millions de dollars néo-zélandais (6.2 milliards de Fcfp) au titre des frais de justice après un long marathon judiciaire ainsi qu'une somme de 30 millions de dollars (2.3 milliards de Fcfp) pour améliorer l'état du cours d'eau.


Rédigé par Mélanie Thomas le Lundi 3 Avril 2017 à 15:33 | Lu 4139 fois