Non-renouvelé pour “défaut de loyauté”, un comptable public dénonce des dérives comptables au CHPF


Devant le tribunal administratif de Papeete, un comptable public accuse l’administration de l’avoir évincé pour avoir dénoncé des irrégularités dans la gestion des finances du CHPF. Derrière son non-renouvellement, se cache une affaire qui soulève des questions sur la transparence budgétaire et le traitement réservé aux lanceurs d’alerte en Polynésie française. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 26 novembre 2024 – Un comptable public, fonctionnaire d’État détaché au Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF), a contesté ce mardi devant le tribunal administratif de Papeete la décision de non-renouvellement de son contrat. Officiellement écarté pour “défaut de loyauté” et pour n'avoir “pas atteint ses objectifs”, il accuse l’administration de l’avoir sanctionné pour avoir dénoncé des dérives comptables ubuesques au sein de l’hôpital. Une affaire qui soulève des questions sur la gestion des finances publiques, l’omerta qui semble la protéger, et le sort réservé aux lanceurs d’alerte.
 
“Il dénonce des dérives inouïes et une politique qui perdure, qui consiste à mettre la poussière sous le tapis (...) Il faut encourager ce comportement, on veut des fonctionnaires d'État compétents, qui ne ferment pas les yeux et tapent du poing sur la table quand ça ne va pas. C'est pour ça que ce dossier est important”, a livré Me Thibaud Millet, dans un plaidoyer incisif devant le tribunal administratif de Papeete. Son client, un comptable public, fonctionnaire d’État détaché par la Direction des finances publiques (DFIP) pour superviser les finances du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF), dénonce un règlement de comptes avec la direction du Taaone et de la DFIP. Selon lui, la révélation au ministère de la Santé de dérives financières ubuesques, qu'on aurait voulu passer sous silence, serait à l’origine du non-renouvellement de son affectation, qu’il avait sollicité en janvier dernier.
 
Le plaignant est un comptable aguerri habitué des hôpitaux en difficulté. Il a notamment exercé dans des établissements médicaux en Martinique et à La Réunion. Il avait été recruté directement par Bercy pour surveiller les finances du Taaone et avait pris ses fonctions en novembre 2022. Mais très vite, son expertise a révélé des failles béantes dans la gestion financière de l’établissement. Parmi les deux principaux dysfonctionnements dénoncés figurent d’abord les anomalies du “compte 672”, un mécanisme comptable destiné à reporter des charges d’une année sur l’autre pour équilibrer les budgets.
 
Le “comptes 672” et les appels d'offres
 
D’après les constats dévoilés par le comptable au ministère de la Santé, ce compte aurait été utilisé de manière abusive, laissant s’accumuler plus de “800 millions de francs” de dépenses non enregistrées dans le budget annuel. “Chaque année, l’hôpital reporte des charges, mais sans jamais les résorber. Chaque année, le CHPF en rajoute sur ce compte, parce que son budget ne lui permet pas de combler ses charges annuelles”, s'indigne Thibaud Millet à la barre. “Le problème, c'est que les comptes qui sont présentés chaque année par le CHPF sont insincères. Ce n'est ni plus, ni moins qu'une violation de la Constitution”, ajoute-t-il. Le résultat, c’est une dette qui enfle inexorablement et qui, à terme, pourrait exploser à la figure des pouvoirs publics. D'autant que cette situation a pourtant déjà été signalée, en 2014, par la Chambre territoriale des comptes. Visiblement, aucune mesure corrective n'a été prise depuis.
 
Autre problème majeur que le plaignant a soulevé auprès du ministre : des dépenses colossales engagées sans appels d’offres, en violation des règles de la commande publique. Pas moins de “360 millions de francs” auraient été dépensés sans appels d'offres, principalement dans le service de la pharmacie (le deuxième principal poste de dépense de l'hôpital), pour des achats de médicaments et de matériel médical. Ces transactions, effectuées en dehors de tout cadre réglementaire, posent question sur leur transparence et leur conformité.
 
Face à ces irrégularités, le comptable n’est pas resté silencieux. Après des alertes internes ignorées par la direction de l’hôpital, il a pris l’initiative de transmettre ses observations directement au ministre de la Santé, suscitant, selon lui, une véritable levée de boucliers au sein de la direction du Taaone et de la DFIP. Ces tensions auraient conduit à la décision de non-renouvellement de son contrat, prononcée en mai dernier. “Il faut encourager ce type de comportement”, a martelé Me Millet, “au lieu de sanctionner ceux qui osent dénoncer, on devrait les féliciter”.
 
L’administration défend sa décision
 
Pourtant, l’État estime que cette décision est justifiée, estimant notamment que le plaignant n'aurait pas “atteint ses objectifs personnels”. Lors de l’audience, le représentant de l’administration a également invoqué “un manque de loyauté” de la part du comptable, tout en pointant des relations conflictuelles avec sa hiérarchie et un comportement jugé inadapté.
 
Le rapporteur public a abondé en ce sens, rappelant que le renouvellement d’un contrat n’est pas un droit automatique. “Il appartient à l’administration de refuser ou d’accepter tel renouvellement.” Concernant les accusations de mesure disciplinaire déguisée, émises par le comptable, il a jugé qu’un reproche formulé dans un mail ne pouvait être assimilé à une sanction et a souligné l’absence de précaution dans les démarches du comptable : “Compte tenu de la sensibilité du sujet, il aurait été normal et plus correct que le courrier lui soit proposé (au directeur de la DFIP) en amont de sa remise au ministre”.
 
Le tribunal administratif rendra sa décision le 10 décembre. Si la requête du comptable est rejetée, cela pourrait entériner son exclusion du CHPF. Dans le cas contraire, il pourrait retrouver son poste, cette fois sous la supervision de la nouvelle directrice de l’hôpital, Hani Teriipaia. En attendant, cette affaire soulève des questions cruciales sur la gestion des finances publiques au Fenua, mais également sur les limites imposées aux lanceurs d’alerte – statut d'ailleurs demandé par le plaignant, mais rejeté – dans un système parfois plus soucieux de son image que de la transparence.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 26 Novembre 2024 à 17:39 | Lu 1824 fois