"Noir océan", le film belge qui plonge au coeur de Mururoa


PARIS, 17 juin 2011 (AFP) - Pour tourner "Noir Océan" (sortie mercredi), la cinéaste belge Marion Hänsel avait sollicité l'armée française. D'abord accordé, ce soutien lui a été soudainement retiré: la marine n'a pas aimé l'histoire de ces jeunes matelots embarqués au temps des essais nucléaires dans le Pacifique, raconte-t-elle à l'AFP.

Citoyenne belge née à Marseille, au bord de l'eau, Marion Hänsel rêvait avant tout d'un tournage en mer quand elle est tombée sur des nouvelles d'Hubert Mingarelli ("Océan Pacifique"), souvenirs d'une campagne aux temps du Mururoa atomique, à cet âge de la post-adolescence qui justement l'intéressait.

"Je suis allée tout de suite vers l'armée qui faisait une grande campagne pour mettre son patrimoine en valeur; j'ai prévenu que le scénario parlait du nucléaire mais ils m'ont redirigée sans problème vers la marine pour trouver un bateau", indique-t-elle, tout en rappelant la sensibilité de son cinéma à l'environnement.

Les officiers qu'elle rencontre relisent le scénario, recommandent à coups de post-it quelques corrections et termes techniques.

"Ils m'ont proposé le Jacques-Cartier, un bâtiment qui correspondait à peu près à l'époque (1972), basé en Nouvelle-Calédonie".

Elle se rend sur place, entame les repérages - un atoll, au cinéma, en vaut un autre - prend langue avec les chefs kanaks...

"C'est allé très loin, j'avais même monté une coproduction avec la Nouvelle-Zélande voisine, la marine avait évalué le coût pour la location du bateau... ne restait qu'à se mettre d'accord sur les dates du tournage".

Et là, grand blanc.

"On ne me prenait plus au téléphone, ça stagnait". Des mois perdus.

Finalement, un officier de haut-rang, un amiral, se souvient-elle, l'appelle: "Il s'est excusé pour ces délais et qu'on m'ait menée aussi loin dans cette affaire. Mais il avait lu le scénario et décidé, personnellement, qu'il était hors de question que la marine s'y associe".

Non parce qu'il parlait du nucléaire. "Mais parce qu'il jugeait que l'atmosphère à bord, telle qu'elle était décrite dans le scénario, n'était pas conforme à l'ambiance, plutôt joyeuse, qui régnait sur ces bateaux à l'époque".

"Evidemment", poursuit Marion Hänsel, qui filme l'ennui des quarts et l'inconscience dans les coursives, "les témoignages des vétérans que j'ai longuement interviewés, dont celui de Mingarelli engagé deux ans, évoquent au contraire un climat terriblement angoissé. Ils avaient tous peur et on ne leur disait rien".

Comme ses trois jeunes héros, embarqués pour une grande virée sur la houle du large, les matelots d'alors "ne se rendaient absolument pas compte des impacts de ces essais, ni pour eux-mêmes, ni pour l'environnement ou pour les Polynésiens". On les voit, officiers compris d'ailleurs, en short et chemisette, les yeux protégés par de simples lunettes, contempler le champignon magnifique qui enfle et couvre l'horizon.

"Tous ces vétérans témoignent de cette incompréhension, de l'ignorance de ce qu'ils étaient en train de faire. On les passait juste de temps en temps au compteur Geiger et on leur disait, tout va bien".

Pourtant, relève Marion Hänsel, "on est quand même dans les années 70, après Hiroshima".

La France a procédé à plus de 200 essais nucléaires, d'abord souterrains, en Algérie, puis aériens sur l'atoll de Mururoa jusqu'en 1975 et de nouveau souterrains - le dernier en 1996.

Après la défection de l'armée, Marion Hänsel a finalement mis la main sur un bâtiment russe, basé en Sicile et sous contrat libyen. De cette identité compliquée, une fois repeint en gris, elle a finalement pu faire un fleuron de la marine tricolore.

Le synopsis du film :

"Trois jeunes garçons à bord d’un navire de la Marine française en 1972, participeront aux essais nucléaires à Mururoa, dans le Pacifique, inconscients des dangers qu’ils encourent et des effets dramatiques pour notre planète..."


Rédigé par AFP le Samedi 18 Juin 2011 à 12:34 | Lu 2486 fois