“Ne pas arbitrer les guéguerres du Tavini”


Tahiti, le 21 août 2023 - Le ministre de l'Intérieur et de l'Outre-mer, Gérald Darmanin, a accordé une interview aux médias de presse écrite avant de quitter Kaukura. Il revient sur le partage des compétences entre Pays, État et communes, et balaie d'un revers de main les “insultes” du président Temaru.
 
 Les Marquises ont un lien très particulier avec l'État. La demande constante des maires est que ce lien se traduise d'un point de vue économique et statutaire. Que leur avez-vous répondu ?

“D'abord que nous sommes très touchés évidemment. Ce lien avec la République française a encore plus d'importance après les élections qui viennent de se dérouler en Polynésie française. Les Marquisiens vivent une double insularité. Ils sont eux-mêmes éloignés d'un centre qui est Papeete. La critique des maires est contre le pouvoir central de Papeete. Ils demandent la décentralisation dans l'autonomie. C'est un sujet sur lequel on doit dire au gouvernement de Polynésie ‘Attention, il faut rééquilibrer les crédits que l'on vous donne vers les îles les plus éloignées, dont les Marquises’. D'un point de vue culturel, il y a aussi ce dossier de l'Unesco qui est très important et qui montre que la Polynésie française brille aussi par les Marquises. Il y a aussi la question institutionnelle. La difficulté, c'est que les communes en Polynésie ont du mal à vivre indépendamment du Pays ou de l'État français. Les Marquises ont fait une communauté d'agglomération qui n'a que deux compétences et peut-être qu'ils doivent d'abord augmenter les compétences de cette communauté de communes avant de passer à autre chose. Il existe un article de la constitution qui permettrait d'avoir une communauté à part. On est prêts à tout entendre en Polynésie, pour la Polynésie. Ce n'est pas non plus évident d'avoir deux régimes d'autonomie au sein d'un archipel extrêmement grand. La Polynésie mérite une meilleure solidarité entre ses îles. Je recevrai le président Brotherson et les maires des Marquises quand ils viendront pour le congrès des maires au moins de novembre.”
 
Le Pays pense prendre le train des réformes calédonienne pour demander des changements statutaires. Là aussi, vous leur demandez de travailler leur projet.

“Il appartient au président de la République d'engager des réformes constitutionnelles. Ce que je dis au gouvernement de Polynésie française, c'est que là où il a des compétences à 100% – culture, agriculture, économie –, il n'y en a pas une où l'État français ne met pas de l'argent. Même dans ses compétences propres, le Pays a besoin de l'État français pour financer ses compétences donc la France donne son avis, en respectant évidemment l'institution. J'ai envie de dire aux élus que d'abord, il faut exercer bien ses compétences actuelles, et les financer, avant de penser à d'autres compétences. Quand on ne finance que 35% de sa propre alimentation, alors qu'on a des terres et des agriculteurs, il y a encore du travail avant de demander d'autres compétences.”
 
Le président Brotherson semble ouvert à la discussion, mais le président du Tavini, Oscar Temaru, explique qu'il n'a aucune leçon à recevoir de qui que ce soit. Il a même dit que si vos “grands-parents avaient pensé comme ça, la France serait allemande aujourd'hui”. Qu'est-ce que vous avez à répondre à ce sujet ?

“D'abord, c'est insultant. Je n'ai pas de leçon de colonialisme à recevoir. Mes deux grands-pères vivaient en Algérie coloniale et l'un d'eux était harki. Monsieur Temaru se trompe de ministre et se trompe de guerre. Il y a très longtemps qu'il ne suit plus la politique française. Je ne suis pas là pour régler les guéguerres dans le Tavini. Manifestement, ils sont très divisés entre eux. Chacun le sait. Il y a une forte division entre le président Brotherson, que je respecte et qui est élu par les habitants, qui est à la tête de ce gouvernement et qui est légitime, et monsieur Temaru, qui n'a même pas demandé à me rencontrer. C'est dommage. J'invite monsieur Temaru, d'abord à se remettre à la page, et à venir me voir à Paris, ou la prochaine fois que je viens en Polynésie. Je ne vais pas arbitrer les guéguerres intérieures du Tavini.”
 
À Kaukura, vous avez parlé des puissances régionales qui n'ont pas les mêmes valeurs... Pourquoi parler de cela ici, sur cet atoll ?

“On voit bien qu'il y a une offre démocratique, l'égalité entre les hommes et les femmes, les élections libres. Et puis il y a d'autres puissances en Asie, qui sont moins regardantes sur les valeurs démocratiques et qui veulent rendre sous dépendance des territoires du Pacifique. La France permet à la Polynésie de ne pas vivre dans la dépendance économique, militaire et diplomatique des puissances asiatiques qui ne sont pas des démocraties. J'encourage chacun à connaître ce qu'apporte la France. Pendant le Covid, elle a sauvé des habitants. Il valait mieux être Polynésien français que d'habiter certaines îles du Pacifique. Si la France n'était plus là, imaginons ce que ce serait.”
 
La Tavini souhaite le retour de la France à la table des négociations à l'ONU. Quelle est votre position ?

“Je salue la démarche constructive du président Brotherson plutôt que les insultes de monsieur Temaru. Les insultes de monsieur Temaru n'ont pas permis à la France de discuter de ça. La diplomatie douce du président Brotherson permet de parler calmement de ces sujets, et c'est une bonne chose pour les Polynésiens.”
 

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 21 Aout 2023 à 14:40 | Lu 3450 fois