Crédit photo : ciel.polynésie.free.fr
Jean-Claude Teriierooiterai, orateur de grande qualité, a présenté ce mercredi matin, l’utilisation des constellations par les anciens navigateurs du triangle polynésien. Cela s’est passé dans la salle d’exposition du Services des Archives. Il a, entre autres, longuement évoqué l’intervention de Tupaia, prêtre originaire de Raiatea, dans la création d’une carte scientifique, longuement critiquée par des chercheurs jusqu’au jour où…
Autant dire que l’allure imposante et la voix puissante et claire de Jean Claude Teriierooiterai a captivé l’attention de nombreux amateurs de navigation ancienne. En l’espace de deux heures, l’auditoire a quitté le monde présent pour se rapprocher de celui des ancêtres mā’ohi. On dira même presque qu’ils sont partis « dans les étoiles ». Sans jeu de mot puisque c’était bien de cela dont il s’agissait : la place des étoiles dans la navigation ancestrale.
Dans son exposé, l’académicien a démontré l’importance des différentes catégories d’étoiles selon la région polynésienne concernée. Bien que les noms changent en fonction d’un groupe d’îles, on y retrouve des racines communes. Ces peuples migrateurs avaient l’art de se repérer grâce aux étoiles. La mémoire faisait office de disque dur et le ciel, de repère de navigation.
Des guides nommés « pou »
Parmi les étoiles les mieux connues à l’époque figuraient les « Pou ». Ces astres étaient considérés comme des piliers célestes. "Ces derniers étaient repérés dans le ciel par les 10 étoiles les plus brillantes", indique Jean-Claude Teriierooiterai avant de préciser que "Les Polynésiens les avaient classé dans la catégorie des étoiles dites « ‘ana » («brillantes»)".
Dans le cadre de la navigation Nord-Sud, les Polynésiens utilisaient donc ces 10 étoiles qui se succèdent durant la nuit (entre 20h et 4h du matin) dans le ciel. Pour bien les utiliser, il fallait qu’elles se positionnent au zénith : c’est seulement à ce moment-là qu’il est possible d’exploiter leur tracé céleste.
Les navigateurs traçaient une ligne imaginaire entre l’une de ces étoiles et une seconde se trouvant plus au Nord (celle nommée « Duhb » ou ‘Ana-tipu en tahitien) ou a contrario, avec une étoile située au Sud (notamment la Croix du Sud (Tauha, en tahitien), un groupe d’étoiles facile à repérer.
Grâce à ces repères célestes, il existait donc une ligne verticale qui reliait les pôles opposés et il était possible de naviguer de cette manière pendant une heure à une heure et demie avec la garantie de suivre le bon cap pendant ce laps de temps.
Dès lors que la première étoile ( ou le premier « pou ») allait changer d’orientation, vers l’Ouest, il perdait son statut de repère. Charge au navigateur d’attendre qu’une autre étoile (et donc un second « pou ») vienne se positionner à la verticale, c’est-à-dire en lieu et place de la précédente. Et ainsi de suite jusqu’au dernier « pou ».
Se diriger vers un archipel plutôt qu’une île
Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup se sont posés la question suivante : "comment faisaient les anciens polynésiens pour toucher une île précise ?".
La réponse se trouve dans la méthodologie. En effet, les îles du Pacifiques ont une particularité remarquée des navigateurs et spécialistes maritimes, à savoir qu’elles se trouvent toutes dans des archipels.
Le conférencier argumente : "Tahiti se trouve dans l’archipel des îles de la société, Nuku Hiva se trouve dans l’archipel des îles Marquises, Rangiroa se trouve dans l’archipel des îles Tuamotu etc.... Rares sont les îles qui sont isolées, à l’exception de Rapa Nui, l’île de Pâques.
Atteindre des îles isolées relèvait de l’exploit technique : lorsqu’on veut atteindre une île qui fait 10 kilomètres de diamètre, il vaut mieux cibler l’archipel qui en fait 500 de diamètre. En procédant ainsi, on augmente ses chances en augmentant la taille de sa cible. Une fois qu’on a atteint n’importe quelle île d'un archipel ciblé, cela devient une navigation de cabotage".
Bien que l’ensemble de l’exposé ait été fort captivant et instructif, l’un des temps forts de celui-ci a été l’évocation de la carte faite par le capitaine Cook sur les indications du prêtre de Raiatea, Tupaia. Au premier regard, de nombreux scientifiques et chercheurs y ont relevé des erreurs d’emplacement et d’orientation cardinale.
La carte de Tupaia, décryptée
Mais Jean-Claude Teriierooiterai relativise : " Il y a 5 ans, une chercheuse du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique, ndlr) Anne Di Piazza, qui est française - d’ailleurs ce détail mérite d’être relevé, parceque jusqu’à présent tous les spécialistes qui ont étudié la navigation polynésienne viennent des pays anglo-saxon. (…) Et là, nous avons cette dame-là parce que maintenant on sait à quoi sert la carte de Tupaia. On sait que nous, Polynésiens, nous sommes dans la tradition orale. Il n’y avait pas d’écrit. On ne dessinait pas une carte, il y a 200 ans. Les cartes étaient plutôt emmagasinées dans la tête, dans la mémoire.
Tupaia a donc dû faire un exercice qui n’était pas facile pour lui. Il fallait traduire tout ce qu’il avait dans sa mémoire et mettre tout cela sur un papier, mais il a fait ce qu’il a pu avec le capitaine Cook et les scientifiques qu’il y avait sur l’Endeavour. Cela se passait en 1769 et Tahiti venait juste d’être découverte deux ans plutôt. On était là dans le domaine encore vierge de la connaissance. (…) et donc, la connaissance que Tupaia avait transmise venait directement des ancêtres.
Aujourd’hui, avec cette carte qui a été décryptée par Anne Di Piazza, on sait à quoi elle servait. Ce n’est pas une carte géographique. Elle ne servait pas pour positionner une île ou un archipel par rapport à un autre archipel, mais plutôt à indiquer comment, à partir d’une île, rejoindre une autre île. C’était une carte de navigation. Grâce à l’exploit d’Anne Di Piazza, on sait désormais comment l’utiliser. En fait, du point de vue de Tupaia, il prenait une île et de là, il plaçait les autres îles ainsi que leur espacement (…) en jours de navigation. Tupaia a su donner le temps de navigation entre une île et une autre et ce, par rapport aux vents dominants. Par exemple, sur une carte moderne, l’île de Hao est placée par rapport à l’île de Mataiva (archipel des Tuamotu). Hao est deux à trois fois plus loin que Mataiva par rapport à Tahiti. Le problème, c’est que Tupaia avait positionné Hao très proche de Tahiti, par rapport à Mataiva. Certains ont a dit « mais il a mal placé Hao ! », et donc pendant des années, on a dit que la carte de Cook était bien, puisqu’elle donnait les noms des îles, mais complètement erronée par rapport aux distances. (…) Pourtant, Anne Di Piazza a démontré le contraire. Pour elle, la carte était exacte puisque, par rapport aux vents dominants (celui du Sud-Est appellé « Mara’ai » en tahitien) donc, le temps qu’on met pour venir de Hao à Tahiti est très court, alors que celui de Mataiva à Tahiti était plus long puisque ce trajet précis se faisant en vent contraire. Il fallait louvoyer, louvoyer ce qui augmentait considérablement le temps du voyage. Alors qu’entre Hao et Tahiti, c’était plus rapide. Ce détail, Tupaia l’avait effectivement bien positionné sur la carte. Il ne s’était pas trompé".
Tous ces éléments font partie de travaux de recherche qui seront présentés devant un comité de soutenance de thèse, le 9 décembre prochaîn. A terme, l'objectif de Jean-Claude Teriierooiterai serait de pouvoir enfin partager son savoir et transmettre aux Polynésiens ses connaissances, grâce également à la participation de l’association « Fa’afa’ite ». Fa’aitoito e te mau hoa, a tāpe’a i te hoe !
TP
Autant dire que l’allure imposante et la voix puissante et claire de Jean Claude Teriierooiterai a captivé l’attention de nombreux amateurs de navigation ancienne. En l’espace de deux heures, l’auditoire a quitté le monde présent pour se rapprocher de celui des ancêtres mā’ohi. On dira même presque qu’ils sont partis « dans les étoiles ». Sans jeu de mot puisque c’était bien de cela dont il s’agissait : la place des étoiles dans la navigation ancestrale.
Dans son exposé, l’académicien a démontré l’importance des différentes catégories d’étoiles selon la région polynésienne concernée. Bien que les noms changent en fonction d’un groupe d’îles, on y retrouve des racines communes. Ces peuples migrateurs avaient l’art de se repérer grâce aux étoiles. La mémoire faisait office de disque dur et le ciel, de repère de navigation.
Des guides nommés « pou »
Parmi les étoiles les mieux connues à l’époque figuraient les « Pou ». Ces astres étaient considérés comme des piliers célestes. "Ces derniers étaient repérés dans le ciel par les 10 étoiles les plus brillantes", indique Jean-Claude Teriierooiterai avant de préciser que "Les Polynésiens les avaient classé dans la catégorie des étoiles dites « ‘ana » («brillantes»)".
Dans le cadre de la navigation Nord-Sud, les Polynésiens utilisaient donc ces 10 étoiles qui se succèdent durant la nuit (entre 20h et 4h du matin) dans le ciel. Pour bien les utiliser, il fallait qu’elles se positionnent au zénith : c’est seulement à ce moment-là qu’il est possible d’exploiter leur tracé céleste.
Les navigateurs traçaient une ligne imaginaire entre l’une de ces étoiles et une seconde se trouvant plus au Nord (celle nommée « Duhb » ou ‘Ana-tipu en tahitien) ou a contrario, avec une étoile située au Sud (notamment la Croix du Sud (Tauha, en tahitien), un groupe d’étoiles facile à repérer.
Grâce à ces repères célestes, il existait donc une ligne verticale qui reliait les pôles opposés et il était possible de naviguer de cette manière pendant une heure à une heure et demie avec la garantie de suivre le bon cap pendant ce laps de temps.
Dès lors que la première étoile ( ou le premier « pou ») allait changer d’orientation, vers l’Ouest, il perdait son statut de repère. Charge au navigateur d’attendre qu’une autre étoile (et donc un second « pou ») vienne se positionner à la verticale, c’est-à-dire en lieu et place de la précédente. Et ainsi de suite jusqu’au dernier « pou ».
Se diriger vers un archipel plutôt qu’une île
Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup se sont posés la question suivante : "comment faisaient les anciens polynésiens pour toucher une île précise ?".
La réponse se trouve dans la méthodologie. En effet, les îles du Pacifiques ont une particularité remarquée des navigateurs et spécialistes maritimes, à savoir qu’elles se trouvent toutes dans des archipels.
Le conférencier argumente : "Tahiti se trouve dans l’archipel des îles de la société, Nuku Hiva se trouve dans l’archipel des îles Marquises, Rangiroa se trouve dans l’archipel des îles Tuamotu etc.... Rares sont les îles qui sont isolées, à l’exception de Rapa Nui, l’île de Pâques.
Atteindre des îles isolées relèvait de l’exploit technique : lorsqu’on veut atteindre une île qui fait 10 kilomètres de diamètre, il vaut mieux cibler l’archipel qui en fait 500 de diamètre. En procédant ainsi, on augmente ses chances en augmentant la taille de sa cible. Une fois qu’on a atteint n’importe quelle île d'un archipel ciblé, cela devient une navigation de cabotage".
Bien que l’ensemble de l’exposé ait été fort captivant et instructif, l’un des temps forts de celui-ci a été l’évocation de la carte faite par le capitaine Cook sur les indications du prêtre de Raiatea, Tupaia. Au premier regard, de nombreux scientifiques et chercheurs y ont relevé des erreurs d’emplacement et d’orientation cardinale.
La carte de Tupaia, décryptée
Mais Jean-Claude Teriierooiterai relativise : " Il y a 5 ans, une chercheuse du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique, ndlr) Anne Di Piazza, qui est française - d’ailleurs ce détail mérite d’être relevé, parceque jusqu’à présent tous les spécialistes qui ont étudié la navigation polynésienne viennent des pays anglo-saxon. (…) Et là, nous avons cette dame-là parce que maintenant on sait à quoi sert la carte de Tupaia. On sait que nous, Polynésiens, nous sommes dans la tradition orale. Il n’y avait pas d’écrit. On ne dessinait pas une carte, il y a 200 ans. Les cartes étaient plutôt emmagasinées dans la tête, dans la mémoire.
Tupaia a donc dû faire un exercice qui n’était pas facile pour lui. Il fallait traduire tout ce qu’il avait dans sa mémoire et mettre tout cela sur un papier, mais il a fait ce qu’il a pu avec le capitaine Cook et les scientifiques qu’il y avait sur l’Endeavour. Cela se passait en 1769 et Tahiti venait juste d’être découverte deux ans plutôt. On était là dans le domaine encore vierge de la connaissance. (…) et donc, la connaissance que Tupaia avait transmise venait directement des ancêtres.
Aujourd’hui, avec cette carte qui a été décryptée par Anne Di Piazza, on sait à quoi elle servait. Ce n’est pas une carte géographique. Elle ne servait pas pour positionner une île ou un archipel par rapport à un autre archipel, mais plutôt à indiquer comment, à partir d’une île, rejoindre une autre île. C’était une carte de navigation. Grâce à l’exploit d’Anne Di Piazza, on sait désormais comment l’utiliser. En fait, du point de vue de Tupaia, il prenait une île et de là, il plaçait les autres îles ainsi que leur espacement (…) en jours de navigation. Tupaia a su donner le temps de navigation entre une île et une autre et ce, par rapport aux vents dominants. Par exemple, sur une carte moderne, l’île de Hao est placée par rapport à l’île de Mataiva (archipel des Tuamotu). Hao est deux à trois fois plus loin que Mataiva par rapport à Tahiti. Le problème, c’est que Tupaia avait positionné Hao très proche de Tahiti, par rapport à Mataiva. Certains ont a dit « mais il a mal placé Hao ! », et donc pendant des années, on a dit que la carte de Cook était bien, puisqu’elle donnait les noms des îles, mais complètement erronée par rapport aux distances. (…) Pourtant, Anne Di Piazza a démontré le contraire. Pour elle, la carte était exacte puisque, par rapport aux vents dominants (celui du Sud-Est appellé « Mara’ai » en tahitien) donc, le temps qu’on met pour venir de Hao à Tahiti est très court, alors que celui de Mataiva à Tahiti était plus long puisque ce trajet précis se faisant en vent contraire. Il fallait louvoyer, louvoyer ce qui augmentait considérablement le temps du voyage. Alors qu’entre Hao et Tahiti, c’était plus rapide. Ce détail, Tupaia l’avait effectivement bien positionné sur la carte. Il ne s’était pas trompé".
Tous ces éléments font partie de travaux de recherche qui seront présentés devant un comité de soutenance de thèse, le 9 décembre prochaîn. A terme, l'objectif de Jean-Claude Teriierooiterai serait de pouvoir enfin partager son savoir et transmettre aux Polynésiens ses connaissances, grâce également à la participation de l’association « Fa’afa’ite ». Fa’aitoito e te mau hoa, a tāpe’a i te hoe !
TP