"Narcisse Pelletier Naufragé aborigène", au-delà de l’exotisme


Anne Magnan-Park traductrice et Christian Robert de Au Vent des îles.
TAHITI, le 21 juin 2022 - Narcisse Pelletier Naufragé aborigène de Stéphanie Anderson, traduit par Anne Magnan-Park est publié par Au Vent des îles. Il présente le récit d’un homme, vendéen, recueilli par un groupe d’aborigènes au XIXe siècle. Ce récit est assorti d’essais apportant un éclairage sur la communauté australienne mais également sur les travers de la vision occidentale de l’époque.

Il se lit comme un roman, embarquant le lecteur dans une véritable enquête à la recherche d’indices sur la vie vécue par Narcisse Pelletier au nord de l’Australie à partir de 1858. L’ouvrage, intitulé Narcisse Pelletier Naufragé aborigène de Stéphanie Anderson, traduit par Anne Magnan-Park et publié par Au Vent des îles, apporte en plus un éclairage sur la vision occidentale des Aborigènes au XIXe siècle.

Il se découpe en deux parties. D’abord, se trouvent deux essais : celui de Stéphanie Anderson et celui d’Athol Chase. Ils sont suivis par le texte original de Constant Merland : Dix-sept ans chez les sauvages. Ce texte retrace les dix-sept années de Narcisse Pelletier au sein du groupe Uutaalnganu, au nord de l’Australie, il est soigneusement annoté par Stéphanie Anderson. En fin d’ouvrage, un portfolio illustre l’ensemble.

Un style "érudit" qui manque "d’élégance"

Stéphanie Anderson, décédée en 2019, était une universitaire et traductrice littéraire australienne spécialisée dans les domaines de l’anthropologie et des cultures de l’Asie et du Pacifique. Dans son essai, elle s’attarde sur l’histoire de Narcisse Pelletier avant, pendant et après son séjour en Australie. Elle pointe du doigt les erreurs et lacunes présentes dans le récit de Constant Merland. "La simplicité de son style suggère qu’il essaya de nous transmettre tel quel ce que Pelletier lui avait confié. Aujourd’hui, son écriture semble désuète et le lecteur remarquera sa condescendance envers les Aborigènes. Son style est érudit mais manque d’élégance, il parsème son récit de références littéraires et d’allusions aux classiques pour se moquer du mode de vie aborigène (…)" Selon Stéphanie Anderson, quand Constant Merland décrit les pratiques culturelles aborigènes, "il part toujours du principe qu’elles sont barbares et dépourvues de complexité". Cette prise de recul permet de mieux comprendre la pensée occidentale de l’époque. Elle met en contexte le récit de Narcisse Pelletier, redonne toute sa valeur aux mots du jeune mousse.

Athol Chase, lui, décédé en 2020, était un ethnologue, spécialiste de la péninsule du Cape York où vivaient les Uutaalnganu. "Il était un chercheur impliqué, engagé", rapporte Anne Magnan-Park. Il apporte, dans son essai, des précisions sur le groupe d’aborigènes qui a recueilli Narcisse Pelletier. Et notamment sur le climat, l’environnement, l’économie, les aspects spirituels et sacrés, sur le tissu social ou bien encore les contacts avec les Européens. Il s’interroge par ce biais : "Qui sont vraiment les sauvages ?", "Qu’est-ce qui fait de nous des humains ?"

Dans la seconde partie de l’ouvrage est consigné le texte original de Constant Merland. Il a été publié en 1876, un an après le retour de Narcisse Pelletier. Stéphanie Anderson l’annote. Ses notes sont extrêmement documentées, et concernent tous propos et tous domaines mœurs, usages, langues et gestes, croyances, superstitions, traitement des maladies… Par exemple, lorsque Constant Merland écrit : "L’absence de la propriété foncière n’est pas exclusive de toute propriété mobilière. Chacun a son petit outillage qui lui appartient en propre. Les pirogues ne sont pas dans ce cas : elles sont à ceux qui les ont construites, rarement à un seul", Stéphanie Anderson rectifie : "Un informateur a rapporté à Rigsby que les pirogues appartenaient à ceux qui les avaient fabriquées."

Une vie inspirante

La vie de Narcisse Pelletier a inspiré plusieurs auteurs. Différents ouvrages ont été édités ces dernières années dont Ce qu’il advient du sauvage blanc de François Garde en 2012 qui avait suscité la polémique. Ce qui distingue l’ouvrage de Stéphanie Anderson ? "Il apporte des informations, comble des lacunes. Elle s’est concentrée sur les faits, a analysé ces faits. Elle s’est moins intéressée à l’exotisme et l’aventure qu’au travail de mémoire", répond Anne Magnan-Park.

Tout comme le récit de naufragés rendus célèbres, l’histoire extraordinaire de Narcisse Pelletier captive l’imaginaire depuis cent cinquante ans. L’homme est "digne", "incroyable", "résilient", "touchant", qualifie Anne Magnan-Park. Sa vie est d’intérêt historique, elle soulève par ailleurs des questions de fond qui restent d’actualité comme "la notion de hiérarchie sociale et culturelle", "le désir de trouver, chez l’autre, des stéréotypes". Des questions qui traversent les âges et le temps.

Naufragé à 14 ans

Narcisse Pelletier est jeune mousse vendéen qui accosta au cap York (Australie) en 1858 où il fut recueilli par un clan aborigène Uutaalnganu. Pelletier, alors âgé de quatorze ans, fut adopté par une famille qui lui donna le nom d’Anco. Il épousa, à son tour, leur langue et leurs coutumes, il acquit progressivement leurs savoirs et savoir-faire, et fonda une famille. Lorsqu’il fut repéré par des Britanniques et rapatrié en France contre son gré dix-sept ans plus tard, il devint un résident-naufragé dans la Vendée de son enfance.

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Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 21 Juin 2022 à 16:56 | Lu 909 fois