Naomi Ceressia : objectif mode


Tahiti, le 20 mars 2024 - Elle a 18 ans et passe actuellement des examens pour obtenir un bac pro Métiers de la mode au lycée professionnel de Faa’a. En parallèle, Naomi Ceressia se prépare au concours “un des meilleurs artisans de France”. Un double challenge pour cette jeune femme déterminée, pleine d’envie et de projets.
 
C’est une année décisive que vit actuellement Naomi Ceressia. Elle est inscrite au lycée professionnel de Faa’a où elle espère obtenir son bac pro Métiers de la mode d’ici quelques semaines. Elle rêve ensuite de poursuivre ses études en Métropole pour pouvoir un jour revenir enseigner au Fenua et créer en parallèle sa marque de vêtements.
 
Un parcours un peu particulier
 
Naomi Ceressia est née à Tahiti il y a 18 ans. Elle a grandi à Arue. Elle prévient : “J’ai un parcours un peu particulier en ce sens que je ne suis pas allée à l’école jusqu’au lycée.” Elle était, dit-elle, “de faible constitution”. “Je tombais malade tout le temps.” Aussi était-il plus simple de rester étudier en famille. Ses parents l’ont accompagnée, mais très vite elle a dû apprendre à être autonome. “Une chance.” Elle a appris, seule, veillant en plus sur son jeune frère en l’absence de ses parents. Son grand-père qui vit à Taïwan l’a suivie de loin et autant que possible. “On s’écrivait des lettres ; on s’appelait. Il m’a aidée à savoir m’organiser ; m’a transmis les bases, le respect.”
 
Plus qu’un passe-temps, une passion
 
À 8 ans déjà, Naomi Ceressia le savait. Elle voulait faire de la couture, apprendre à faire des robes. Elle a débuté par le dessin. “Ma mère a longtemps pensé que c’était juste un passe-temps.” Dix ans plus tard, sa famille a compris que la mode était bien plus que ça. À l’âge de 14 ans, une coutière est venue transmettre technique et savoir à la jeune fille qui a reçu une machine à coudre. “Elle s’appelle Kema et m’a permis de découvrir tout un univers.”
 
Peu avant le lycée, Naomi Ceressia a demandé à être scolarisée. Elle était prête à aller en France pour intégrer une filière couture/mode. Au centre d’information et d’orientation de Pirae, elle a fait le point et s’est intéressée de près à la filière du lycée professionnel de Faa’a. Mais l’établissement souffre d’une mauvaise réputation, et “ma mère s’est vite opposée à ce que j’y aille”. Naomi Ceressia, persuasive, a tout de même pu visiter le lycée avec elle. Ensemble, elles ont pu voir les locaux, la classe, elles ont rencontré Lysiane Abecassis, professeure des métiers de la mode ainsi que des élèves. Le contact est bien passé. “Lysiane a su nous rassurer. On a pu constater que les locaux étaient un peu à part, malgré tout. Il a vraiment fallu que j’insiste et que je tienne bon pour pouvoir m’inscrire.”
 
“Ma mère est fière”
 
Avec le recul, le constat est positif. “Ma mère est fière”, constate-t-elle aujourd’hui. Naomi Ceressia est également heureuse de ces trois années d’études. “C’est au-delà de ce que j’espérais.” L’étudiante a travaillé des matières inattendues, comme l’informatique, la chimie. Elle a manipulé des outils qu’elle ne connaissait pas comme de grosses imprimantes.
 
Avec sa classe, elle a terminé il y a peu un projet intitulé “Je Filme ma formation”. Ce qui lui a permis d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences. “Mais aussi de gagner en confiance et en aisance à l’oral, ce qui nous aidera bien pour les oraux qui nous attendent.” Les élèves ont eu à expliquer leur filière à l’aide d’une courte vidéo. Il leur a fallu imaginer, écrire, penser l’histoire, mais aussi la jouer, la dire puis la monter. Elles ont été accompagnées par une professionnelle de l’audiovisuel pour ce faire : Hélène Leroyer. La vidéo de la filière Métiers de la mode du lycée de Faa’a a connu un petit succès. Elle compte parmi les 400 sélectionnées sur un total de 800. La cérémonie officielle de remise des prix aura lieu mardi prochain, le 26 mars.
 
Actuellement, Naomi Ceressia passe l’une des principales épreuves de son examen de bac pro. Il s’agit du “120 heures”. Elle – tout comme ses camarades – doit réaliser en 120 heures un vêtement de A à Z : recherche, dessin, patron, choix des matières, des couleurs, montage, etc. Elle a, en plus, à rédiger un document explicatif des étapes de réalisation afin d’éclairer ses choix “car, la mode ce n’est pas que de la couture !” La classe va, par ce biais, créer une petite collection de robes de soirées sur le thème des déesses polynésiennes. Elles seront présentées lors d’une soirée intitulée Tahiti Designer qui aura lieu le 30 mars au Motu d’Arue. Naomi Ceressia a opté pour un mix de tissus, de la peau d’ange et de la mousseline. “La robe aura une longue fente, sera dégagée sur le décolleté et drapée dans le dos.” Naomi Ceressia s’est inspirée de la déesse des océans de l’antiquité grecque, Téthys. Le vêtement, bleu, sera paré de perles et de coquillages.
 
“L’avenir, c’est elles”
 
En parallèle, Naomi Ceressia se prépare pour le concours “Un des Meilleurs apprentis de France” (MAF). Organisé en France par la société nationale des Meilleurs ouvriers de France, il est proposé en parallèle à celui du Meilleur ouvrier de France (MOF) destiné, lui, aux ouvriers et aux artisans confirmés. L’objectif ? Développer le goût du travail bien fait chez les jeunes apprentis, reconnaître leurs efforts pour atteindre l’excellence et élever leurs perspectives professionnelles. Lysiane Abecassis qui a encouragé ses élèves à s’y présenter confirme : “C’est une carte de visite pour de grandes maisons de couture, une ouverture sur un autre monde. Je les pousse toutes à partir car l’avenir, c’est elles.”
 
L’enseignante affirme avoir dans sa classe des éléments motivés, moteurs, qui ont envie d’en apprendre toujours plus, d’aller toujours plus loin. D’où le concours MAF : “Il faut nourrir cet appétit, et puis pour moi c’est tellement stimulant.” Lysiane Abecassis regrette que la filière mode soit si peu connue. “Elle a pourtant ouvert au début des années 2000 !” Elle commente l’histoire de la mode et la couture en Polynésie, rappelle que les missionnaires ont apporté techniques et savoirs, dont les Polynésiens se sont emparés, qu’ils ont fait évoluer. “On a traduit tout cela en tīfaifai, mais aujourd’hui, on a besoin d’acquérir d’autres techniques.”
 
Pour Naomi Ceressia, seule Polynésienne inscrite au concours MAF pour les métiers de la mode, le défi est réjouissant : “C’est l’occasion de voir de quoi je suis capable.” Elle mesure l’implication et le travail, l’exigence qu’une telle initiative demande. Elle doit réaliser un “corsage Vivienne Westwood”, concevoir une pièce de chef d’œuvre et réaliser un dossier de style sur la styliste Vivienne Westwood. Elle s’entraîne pour l’instant. Elle aura 35 heures pour passer à la réalisation entre le 15 et le 19 avril prochains. Une fois monté, le vêtement partira en France, à Nice, pour correction. La précision des assemblages, les finitions, les filages seront inspectés de près par les jurés. “Et ils ne feront pas de cadeaux”, assure Lysiane Abecassis.
 
Une fois diplômée – et peut-être auréolée de prix –, Naomi Ceressia devrait partir en France, à Avignon. Les demandes ont été faites. Elle vise un BTS dans un premier temps, et pourquoi pas, ensuite, une licence ou un master. L’objectif ? Faire de la mode son métier, revenir enseigner au lycée et créer sa propre marque. Dans l’attente elle ne ménage pas ses efforts pour tout mener de front. Preuve, sil en fallait, que la couture et la mode n’ont vraiment rien d’un passe-temps.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 20 Mars 2024 à 18:31 | Lu 3581 fois