Moruroa e Tatou accablée par le limogeage de Bruno Barrillot


John Doom coordinateur de Moruroa e Tatou; Bruno Barrillot ex délégué polynésien pour le suivi des conséquences des essais nucléaires et Roland Oldham, président de l'association Moruroa e Tatou.
PAPEETE, vendredi 7 juin 2013. L’association Moruroa e Tatou de défense des travailleurs et des victimes des essais nucléaires français dans le Pacifique tenait une conférence de presse ce vendredi matin au siège du CESC de Polynésie française pour évoquer l’affaire du licenciement de Bruno Barrillot. Nommé depuis quelques années au poste de délégué polynésien pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, cet expert indépendant et de renommée internationale, avait jusqu’ici réussi à échapper à tout changement de majorité politique en Polynésie.

En 2010, Bruno Barrillot avait reçu à New York, le Nuclear Free Future Award. Une récompense au titre de sa lutte active depuis de nombreuses années contre le nucléaire. Bruno Barillot est ainsi le co-fondateur de l’Observatoire des armements en 1984, observatoire qui a alerté les autorités publiques sur les conséquences des essais nucléaires menés par la France au Sahara d’abord, puis en Polynésie française. A l’arrivée du nouveau gouvernement de Gaston Flosse, il est tout d’abord confirmé dans ses fonctions, puisqu’un arrêté ministériel signé par Geffry Salmon (le ministre en charge de l’environnement), en date du mercredi 29 mai dernier lui attribue la «délégation de signature» en tant que délégué au suivi des conséquences des essais nucléaires. Mais, en quelques jours la donne change totalement. Le lundi 3 juin, Bruno Barrillot apprend qu’il est convoqué au ministère, ce jeudi 6 juin pour un entretien préalable à un licenciement.

L’association Moruroa e Tatou voit dans ce revirement soudain, une décision prise plus haut, directement par le président de Polynésie Gaston Flosse, et regrette que «le gouvernement ait ouvert les hostilités». Le président de l’association Roland Oldham est certain que le ministre Geffry Salmon était embarrassé par «cette décision qui ne venait pas de lui» ce jeudi après-midi lors de l’entretien préalable au licenciement de Bruno Barrillot. Aussi Roland Oldham ne mâche pas ses mots à l’encontre des électeurs polynésiens qui, démocratiquement ont choisi le 5 mai dernier de replacer au pouvoir Gaston Flosse. «Ce qui m’inquiète c’est cette perte des valeurs. Il n’y a plus de morale. J’interpelle le peuple, j’interpelle les hommes politiques, j’interpelle les Eglises. Des fois, il y a des silences qui m’assassinent, des silences qui me tuent. Ce manque de réaction ? J’ai plus que honte. J’ose rêver que le printemps polynésien est là, comme il y a eu le printemps arabe».

L’association vit le limogeage de Bruno Barrillot comme une tragédie. Pas pour lui qui «rentrera en France la tête haute et victorieux», mais pour la Polynésie. «Il n’y avait pas de meilleur délégué que lui. Pour nous c’est une catastrophe». De son côté, l’ex délégué de Polynésie au suivi des conséquences des essais nucléaires affirme que son soutien ne s’arrête pas à la perte de ce poste de chef de service. «Je suis éliminé de la Polynésie française, mais je ne suis pas éliminé du dossier. On va continuer le combat pour la vérité et la justice qui a démarré depuis 30 ans. Cet épisode avec ce poste de délégué ce n’est qu’une petite période de huit ans. Je n’ai pas toujours eu un poste dans l’administration de Polynésie française pour mener ce combat. J’ai encore de l’énergie et je vais probablement continuer, d’autant que je ne suis pas un homme seul. Il y a tout un réseau, tout un mouvement».

Le sénateur Richard Tuheiava y voit «la main de Paris»

Le sénateur Richard Tuheiava était présent ce vendredi matin à la conférence de presse de l’association Moruroa e Tatou «en signe de soutien». Il analyse le licenciement de Bruno Barrillot de son poste de délégué de Polynésie au suivi des conséquences des essais nucléaires sous un angle nettement plus politique. Clairement le sénateur polynésien apparenté socialiste y «voit la main de Paris». Il explique que le nouveau directeur de cabinet du président Flosse, l’ex préfet Hubert Derache est l’un des auteurs du tout dernier Livre Blanc sur la Défense remis fin avril dernier au président français François Hollande. (Hubert Derache présidait un groupe de travail de la Commission chargée de rédiger le Livre Blanc sur la défense, NDLR). Il a donc des accointances certaines avec le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian.

Lequel ministre socialiste vient de déclarer en ce début juin que le l’Asie-Pacifique «demeure un enjeu stratégique» pour la France qui compte «intensifier» sa coopération politico-militaire dans la région malgré les difficultés financières. Ainsi Richard Tuheiava estime que cette décision d’écarter Bruno Barrillot a été prise «pour montrer patte blanche à Paris avant d’aller voir le ministre de la Défense, pour que le dossier nucléaire ne soit pas utilisé à l’ONU». De retour justement d’une première réunion du Comité des 24 à Quito en Equateur, le sénateur défenseur de la réinscription de la Polynésie sur la liste onusienne des territoires non autonomes analyse ce limogeage par ce prisme. «Cela traduit une collusion entre Paris et Papeete (…) Cette action porte directement atteinte à la cause, au combat anti-nucléaire en Polynésie française. J’y vois la main de Paris» poursuivait le sénateur.

Fort de ce constat, Richard Tuheiava émissaire de la cause indépendantiste de la Polynésie auprès de l’ONU retournera à une nouvelle réunion du Comité des 24 à la fin du mois de juin avec ce nouvel argument sous le bras. «On sait que Gaston Flosse est revanchard sur ce dossier, mais le gouvernement de Gaston Flosse vient de déterrer la hache de guerre. La lutte anti-nucléaire va passer à la première place au Comité des 24. C’est déjà dans mon discours» poursuit-il.

Rédigé par Mireille Loubet le Vendredi 7 Juin 2013 à 13:46 | Lu 2455 fois