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Tahiti, le 5 février 2021 - À l’occasion de la sortie du livre “Mollusques marins de Polynésie française”, édité par l’Université de la Polynésie française et la maison d’édition Au vent des îles, il nous a paru opportun de vous offrir un voyage exceptionnel dans le monde des mollusques, essentiellement des coquillages. Le photographe le plus pointu dans ce domaine est sans conteste possible Philippe Bacchet qui a offert à Tahiti Infos quelques-uns de ses plus beaux clichés. Les amateurs –et les autres– apprécieront...
S’il fallait résumer Philippe Bacchet en deux mots, nous dirions qu’il mélange un grand talent à une efficacité redoutable, le tout renforcé par une formidable capacité de travail. Avec une constante, la modestie, la discrétion, l’humilité presque tant il ne cherche jamais à se mettre en valeur. Et pourtant, le bonhomme pourrait “se la jouer” et avoir la grosse tête eu égard à son parcours professionnel en tant que photographe.
Dans l’ouvrage “Mollusques marins de Polynésie française”, il a tout de même signé la plupart des photos, à savoir 1 909 clichés. Dans un entretien qu’il nous a accordé, il a accepté de retracer son itinéraire polynésien et d’ainsi se dévoiler un peu. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, mentionnons tout de même quelques ouvrages pour lesquels il a joué un rôle majeur et central : le “Guide des récifs coralliens de Tahiti et ses îles”, le “Guide des poissons de Tahiti et ses îles” et le magnifique “Îles et Lumières”, ces trois ouvrages édités chez Au vent des îles. C’est dire que le bonhomme, sur terre, mais aussi sous l’eau excelle avec un appareil photo en main, argentique ou numérique. Plus que le matériel, c’est son œil qui le guide...
S’il fallait résumer Philippe Bacchet en deux mots, nous dirions qu’il mélange un grand talent à une efficacité redoutable, le tout renforcé par une formidable capacité de travail. Avec une constante, la modestie, la discrétion, l’humilité presque tant il ne cherche jamais à se mettre en valeur. Et pourtant, le bonhomme pourrait “se la jouer” et avoir la grosse tête eu égard à son parcours professionnel en tant que photographe.
Dans l’ouvrage “Mollusques marins de Polynésie française”, il a tout de même signé la plupart des photos, à savoir 1 909 clichés. Dans un entretien qu’il nous a accordé, il a accepté de retracer son itinéraire polynésien et d’ainsi se dévoiler un peu. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, mentionnons tout de même quelques ouvrages pour lesquels il a joué un rôle majeur et central : le “Guide des récifs coralliens de Tahiti et ses îles”, le “Guide des poissons de Tahiti et ses îles” et le magnifique “Îles et Lumières”, ces trois ouvrages édités chez Au vent des îles. C’est dire que le bonhomme, sur terre, mais aussi sous l’eau excelle avec un appareil photo en main, argentique ou numérique. Plus que le matériel, c’est son œil qui le guide...
Des “coquilles” mythiques
Impossible d’évoquer le monde des coquillages tel que le connaît si bien Philippe Bacchet sans mettre à part quatre coquillages mythiques en Polynésie française.
L’aurantium (Callistocypraea aurantium) est, bien entendu, la plus célèbre. Elle connut ses heures de gloire au milieu des années 80, les rares spécimens se vendant dans le commerce (au Fare Tony notamment) entre 60 000 et 80 000 Fcfp. Portée en collier dans les temps anciens, elle était réservée aux chefs aux îles Fidji. La petite cumingii (Cribrarula cumingii) est endémique à notre région ; de petite taille (10 à 15 millimètres en moyenne), elle est très difficile à trouver et de ce fait, elle a toujours été une valeur sûre dans les collections. Elle se vendait 1 000 Fcfp du millimètre à Honolulu et nous avons connu des plongeurs très doués qui se sont ainsi offerts régulièrement de belles vacances à Waikiki. Une sous-espèce plus grande (20 millimètres, parfois plus) répond au nom de cléopatra ; elle est encore plus recherchée. La petite bernardi (Naria bernardi) tenait la vedette dans les années 80. Les premiers spécimens avaient été trouvés dans la zone des quarante mètres sur ou près de gorgones, le long du tombant de Arue. Les amateurs fortunés n’hésitaient pas à casser leur tirelire pour des spécimens de qualité gemme (on parle de coquilles vendues plus de 80 000 Fcfp/pièce). La star la plus récente est quasiment invisible puisqu’elle vit dans la zone des soixante mètres de profondeur ; la barbieri (Purpuradusta barbieri) ne mesure que quelques millimètres. Apparemment endémique de nos eaux, elle n’est récoltée que par de rares plongeurs très expérimentés compte tenu des risques à prendre pour descendre et “farfouiller” à de telles profondeurs. En dessous de 60 000 Fcfp, n’espérez pas en trouver sur internet ! (Photo Félix Lorenz).
L’aurantium (Callistocypraea aurantium) est, bien entendu, la plus célèbre. Elle connut ses heures de gloire au milieu des années 80, les rares spécimens se vendant dans le commerce (au Fare Tony notamment) entre 60 000 et 80 000 Fcfp. Portée en collier dans les temps anciens, elle était réservée aux chefs aux îles Fidji.
Coquillages divers
Burgaux, trocas, le désastre...
Les trocas (Trochus niloticus) et les burgaux (Turbo marmoratus) ont été introduits respectivement en 1957 et en 1967 dans les eaux polynésiennes. A l’époque, les nacres (Pinctada margaritifera) étaient devenues rares après des années de campagnes intensives de “plonge”, notamment aux Tuamotu et nul ne pouvait imaginer que la perliculture allait permettre de repeupler avec des millions de bivalves les lagons polynésiens. L’introduction des deux gros coquillages des Nouvelles-Hébrides (devenues le Vanuatu) avait donc pour but de pallier le manque de nacre, matière première recherchée par les artisans.
Aujourd’hui, malheureusement, trocas et burgaux ont envahi les lagons, les barrières de corail et les pentes externes de nos récifs, dévorant tout ce que les coquillages indigènes (nous pensons notamment aux nombreuses petites porcelaines) consommaient avant cette invasion exogène. A tel point que la multiplication quasiment incontrôlée de ces deux coquillages, à notre humble avis, a sur la malacofaune locale le même impact que le faux acacia (Leucaena leucocephala) et le miconia (Miconia calvescens) sur la flore terrestre, aux Marquises pour le premier nommé, dans l’archipel de la Société pour le second. Nous lançons donc un cri d’alarme en espérant qu’il sera entendu car ces deux mollusques introduits font à l’évidence un tort considérable à notre écosystème marin déjà bien maltraité...
Aujourd’hui, malheureusement, trocas et burgaux ont envahi les lagons, les barrières de corail et les pentes externes de nos récifs, dévorant tout ce que les coquillages indigènes (nous pensons notamment aux nombreuses petites porcelaines) consommaient avant cette invasion exogène. A tel point que la multiplication quasiment incontrôlée de ces deux coquillages, à notre humble avis, a sur la malacofaune locale le même impact que le faux acacia (Leucaena leucocephala) et le miconia (Miconia calvescens) sur la flore terrestre, aux Marquises pour le premier nommé, dans l’archipel de la Société pour le second. Nous lançons donc un cri d’alarme en espérant qu’il sera entendu car ces deux mollusques introduits font à l’évidence un tort considérable à notre écosystème marin déjà bien maltraité...
Les nudibranches
La plus rare, la “garciai”
Le vaste triangle polynésien est riche en coquillages, et le plus rare, le plus recherché et le plus récemment découvert est sans doute aucun la porcelaine garciai (Cribrarula garciai, Lorenz & Raines, 2001) découverte par le regretté plongeur français Michel Garcia qui tenait un centre de plongée à l’île de Pâques (Orca Diving).
Non seulement cette porcelaine est rare, mais elle est également très belle, probablement l’une des plus belles coquilles du genre Cribrarula. Endémique de la seule île de Pâques, elle ne peut être observée que très rarement, de nuit, au-delà des quarante mètres. A moins de 300 000 Fcfp, elle ne se trouve pas sur le marché !
Non seulement cette porcelaine est rare, mais elle est également très belle, probablement l’une des plus belles coquilles du genre Cribrarula. Endémique de la seule île de Pâques, elle ne peut être observée que très rarement, de nuit, au-delà des quarante mètres. A moins de 300 000 Fcfp, elle ne se trouve pas sur le marché !
Les porcelaines
Les cônes
Phillipe Bacchet : "Ce travail s’est étalé sur une dizaine d’années"
Philippe, quand et comment (ou pourquoi) es-tu arrivé en Polynésie française ?
“C’est une longue histoire… durant toute ma jeunesse, je me suis nourri de romans d’aventures, d’explorations, d’expéditions aux quatre coins du monde. C’était l’époque du commandant Cousteau et de l’odyssée de la Calypso, il y avait toute une collection de livres que j’avais lus et relus cent fois, puis ce film en noir et blanc qui fut une véritable révélation “Le monde du silence” qui m’a fait découvrir l’univers corallien. Il y avait aussi ces conférences itinérantes qui s’appelaient “Connaissance du Monde” ; je n’en ratais aucune ; puis bien sûr le Festival mondial de l’image sous-marine d’Antibes. Bref, je l’ignorais encore, mais tout ça était en train de me préparer à partir loin, très loin.
À 17 ans, j’étais déjà autodidacte dans plusieurs domaines, l’électronique, la musique, la photographie… J’ai passé haut-la-main un baccalauréat de technicien en électronique, puis j’ai fait mon service militaire en montagne, dans les Transmissions. Quelques mois plus tard, je rentrais comme musicien dans un orchestre niçois. Nous animions des soirées de gala dans les palaces de la côte d’Azur, de Monaco jusqu’au Var où durant trois années nous fûmes notamment attitrés au Grand Casino de Saint-Raphaël. Inutile de dire qu’après tout ça, je m’étais mis un beau pécule de côté ; j’allais bientôt pouvoir partir et aller au bout de mes rêves. J’ai beaucoup voyagé, mais j’ai commencé par la facilité : la Polynésie française. C’était en 1982.”
Tu étais déjà plongeur, ou as-tu découvert cette activité à Tahiti ?
“Vers l’âge de 16 ans, je m’étais déjà initié “à la sauvage” au Cap d’Antibes, où un ami me prêtait ses bouteilles de plongée. Mais c’est une fois arrivé en Polynésie que je me suis inscrit dans un club fédéral pour y suivre une formation sérieuse. C’est une discipline rigoureuse, il ne faut pas brûler les étapes.”
Quel niveau as-tu atteint ?
“J’ai obtenu ce que l’on appelait à l’époque le 2e échelon (qui correspond au niveau 4 d’aujourd’hui), puis j’ai passé le brevet fédéral d’initiateur.”
Tu n’as jamais souhaité faire de la plongée ta profession, à savoir devenir moniteur d’État ?
“Non, mon métier c’était l’électronique ; un métier vraiment passionnant que j’exerçais dans un atelier à Papeete. L’enseignement de la plongée ne m’intéressait pas. La plongée n’était pas une fin en soi ; c’était pour moi un moyen d’explorer ce nouvel univers et d’y faire des découvertes.”
"L’univers marin me fascinait depuis mon enfance"
Il y avait beaucoup de plongeurs, mais peu de photographes sous-marins (au moins au temps de l’argentique). Comment en es-tu venu à la photo sous-marine ?
“Eh bien c’est là que je voulais en venir. Je pratiquais déjà la photographie, c’était une de mes passions. L’univers marin me fascinait depuis mon enfance et tous les documentaires que j’avais suivis au Festival mondial d’Antibes m’avaient tracé la voie. Je me plaisais à découvrir, photographier, témoigner, raconter… Et maintenant que j’avais acquis un bon niveau de plongeur, “il n’y avait plus qu’à…”, comme on le dit souvent.”
Sais-tu combien tu as de plongées “au compteur” ? Dont combien de nuits ?
“Durant la formation, chaque plongée est consignée dans un carnet : lieu, profondeur, durée… elle est tamponnée et signée par le moniteur instructeur. Une fois que j’ai été autonome, j’ai acheté mon propre matériel (bi-bouteille à cette époque là) et je me suis mis à faire de plus en plus de plongées d’exploration hors-club. Mes carnets de plongées étaient pleins et j’ai arrêté de compter. Au total, sur 25 ans, j’ai dû en faire pas loin de 3 000, peut-être plus, je ne sais pas… ce n’était pas régulier. Les plongées de nuit en représentent une belle part ; à la louche je dirais deux ou trois cents. Mais ce n’est pas exceptionnel, je faisais ça par passion. Un moniteur de plongée, lui, peut être amené à faire quinze à vingt plongées par semaine.”
Comment as-tu débuté dans la publication de tes photos ? Presse, livres ?
“En dehors du milieu de la presse écrite, peu de gens pratiquaient la photo dans les années 80’ - 90’, et très rares étaient ceux qui s’adonnaient à la photographie sous-marine. C’était à la fois marginal et très contraignant ; il fallait être bon plongeur, savoir utiliser et entretenir un matériel très onéreux et y consacrer beaucoup de temps. Il y avait beaucoup de casse sur le matériel. Heureusement, j’étais capable de le réparer moi-même. Et je ne parle pas des films qu’il fallait acheter (le plus souvent hors du territoire), puis ensuite envoyer au développement. Mais j’aimais ça. Des journalistes et éditeurs m’ont repéré et j’ai commencé à publier. J’ai eu la chance de toujours rencontrer les bonnes personnes au bon moment.”
"C'est Ua Huka, dans le nord des Marquises qui a ma préférence"
Avec des livres comme Îles et lumières tu as clairement misé davantage sur la photo “terrestre” que sur la photo sous-marine. Les deux activités te paraissaient se compléter ?
“Cet ouvrage est né d’une idée de Christian Robert, en 1997, qui avait vu mes reportages magazine dans les avions. Il m’a appelé un jour pour me proposer ce projet. J’avais déjà une photothèque conséquente que je m’étais constituée au gré de mes voyages et missions dans les archipels. Je faisais aussi de la photo aérienne par divers moyens, hélico, avion privé, ULM, et je m’intéressais aux spécificités de la vie dans les îles. L’objectif était de montrer la Polynésie française sous ses aspects les plus flatteurs et je pense que le milieu sous-marin y occupe une bonne place. C’est un livre qui a vraiment très bien marché, il a été réédité et se vend encore bien aujourd’hui.”
Tu as une île préférée, là où tu passerais volontiers deux ou trois semaines tranquille ?
“J’ai eu la chance de partir en expédition ou en mission dans des îles difficiles d’accès. J’adore ces endroits là. Eiao, Makatea, Bellingshausen, Mehetia, Maiao, Rapa… et plus récemment Pitcairn. Mais c’est Ua Huka, dans le nord des Marquises qui a ma préférence. Par contre, ce n’est pas pour y rester tranquille… Je ne tiens pas en place. Il faut que je nage, que je marche, que je grimpe, bref… je veux aller partout. Et Ua Huka est un sacré beau terrain de jeu. Depuis 1991, j’y suis allé plusieurs fois et je m’y sens bien. L’île a peu changé et l’accueil y est toujours très chaleureux.”
Quel est ton meilleur souvenir sous l’eau ? Si tu ne devais garder qu’une seule plongée, raconte-nous celle que tu choisirais…
“Question piège ! (rires) Je me souviens d’avoir clamé un jour en remontant sur le zodiac “Je viens de faire la plus belle plongée de ma vie !”. C’était à la fin des années 80’ à Rangiroa, une plongée en dérive dans la passe d’Avatoru par courant rentrant. Cette plongée s’appelait Mauta, elle consistait à se laisser dériver depuis la passe jusqu’à assez loin dans le lagon. Cela fait très longtemps que cette plongée ne se fait plus, le site est maintenant protégé il me semble. Ce jour là, ce fût extraordinaire. Bien sûr, il y en a eu bien d’autres après, un peu partout, à Fakarava sud par exemple… C’est très difficile de les classer.”
Et si tu ne devais garder qu’une seule photo ?
“Un groupe de raies manta au lever du jour dans le lagon de Bora Bora. Super lumière, superbe ballet… Cette photo a elle aussi une histoire, mais ça fera l’objet d’une autre discussion.”
On passe parfois des moments difficiles sous l’eau. Tes pires souvenirs ? As-tu, parfois, eu le sentiment d’être allé trop loin, trop profond ?
“Il fut un temps où nous faisions des “profondes” sur le tombant de Arue. Nous descendions bien au-delà des 70 mètres. Nous faisions ça à 5 ou 6 heures du matin avant d’aller travailler. Mais ça n’a pas duré très longtemps.
En revanche, “trop loin” oui… Je n’oublierai jamais cette plongée spéléo à Makatea en 1993 où je suis successivement tombé en panne d’éclairage, puis d’air…”
Le monde sous-marin a révélé bien des secrets et tu as toi-même réalisé nombre de clichés qui ont été des “exclusivités”. Que conseillerais-tu à un jeune désireux de se lancer ? Les photos de poissons, de méduses ou de coraux, on en a vu et revu...
“Eh bien, sous l’eau, c’est principalement à la photographie naturaliste et animalière que l’on s’adonne. Ce qui n’a pas empêché certains de se lancer avec succès dans la photo d’art avec des mannequins ou des mises en scène diverses. Dans des domaines plus techniques, la photo sous-marine est un outil important ; je pense à l’archéologie marine ou encore l’étude et le suivi des récifs coralliens. La particularité du milieu sous-marin c’est que les couleurs disparaissent rapidement avec la profondeur. Il suffit de descendre de quelques mètres pour n’avoir plus que du bleu. Pour révéler les véritables couleurs, il est alors nécessaire d’apporter un éclairage supplémentaire, savamment orienté et dosé, avec des projecteurs ou des flashes. Mon conseil serait déjà de se perfectionner sur ces techniques à l’air libre. Après, sous l’eau, ce ne sont pas les sujets qui manquent.”
Décris-nous les eaux des Marquises, par rapport à celle des Tuamotu, des îles de la Société, des Australes ? Qu’est-ce qui fait l’identité sous-marine de chaque archipel (en mettant Rapa à part).
“Les îles Marquises sont baignées par des eaux très riches en nutriments divers, et notamment en phytoplancton, ce qui fait qu’elles ne semblent pas claires. De plus, les falaises tombent à-pic dans l’océan et la profondeur est rapidement importante. Au final, à l’exception de quelques baies, c’est un environnement plutôt sombre pour ne pas dire glauque. D’ailleurs, on voit bien cette couleur émeraude de l’eau lorsqu’on longe le littoral en bateau. En revanche, la vie marine foisonne, c’est vraiment impressionnant. La biodiversité y est exceptionnelle avec un taux d’endémisme très élevé (environ 15 % pour les poissons). Je me suis régalé à travailler là-bas. Dans les îles de la Société, c’est très variable selon que l’on se trouve, ou non, près des villes et des passes. Les zones urbanisées engendrent non seulement de la pollution mais aussi un lessivage des terres lors des fortes pluies. Il y a une grande variété de biotopes autour des îles hautes, chacun avec sa propre diversité. D’une manière générale, le milieu marin autour de Tahiti a beaucoup souffert ces dernières décennies. Aujourd’hui, des zones protégées sont mises en place dans divers endroits et leur efficacité est remarquable. La côte Est, et surtout la Presqu’île, me semblent encore épargnées.
Aux îles Australes, la faune marine (poissons et invertébrés) est bien moins riche, notamment autour de Rurutu et Rimatara où les récifs offrent peu d’habitats favorables au développement des juvéniles. En revanche, les eaux y sont cristallines.
Quant aux atolls des Tuamotu, ils représentent un véritable Eden… Des eaux claires, un écosystème corallien florissant et une faune abondante et variée. Même chose aux Gambier, un véritable enchantement.”
Rapa, comme tous les “bouts du monde”, c’est une biodiversité exceptionnelle
Nous avons mis Rapa à part. Parle-nous de ce que l’on peut y faire et y voir sous l’eau ? En termes d’ambiance sous-marine, c’est proche de l’île de Pâques, de Pitcairn ? On est encore en Polynésie, comparé aux cinq archipels ou est-ce déjà un monde à part ?
“Rapa (et les îlots de Marotiri), c’est très particulier… C’est la “frontière” sud de la Polynésie française. On y parvient au terme d’un long voyage en bateau. Au-delà, vers le sud, il n’y a plus rien avant l’Antarctique. J’ai adoré Rapa ; là-bas tout est différent. Il n’y a pas de lagon et la côte est battue par les puissantes houles qui arrivent du grand sud. Je n’y ai pas séjourné longtemps, mais j’ai eu l’autorisation d’y plonger. Depuis longtemps, les habitants, et notamment le Conseil des sages, ont instauré un rahui pour assurer la protection des ressources (interdiction – ou plutôt autorisation – temporaire de pêche sur certaines zones). Les règles sont strictes mais elles ont prouvé leur efficacité. Gare aux contrevenants ! L’eau y est froide et les coraux sont moins abondants. En revanche ils forment par endroits des paysages sous-marins exceptionnels. Et puis Rapa, comme tous les “bouts du monde”, c’est une biodiversité exceptionnelle, avec, là aussi, un taux d’endémisme remarquable et des espèces uniques. Encore un très beau terrain de jeu pour les biologistes de tout poil.”
Revenons à nos coquillages. Tu as sans doute la plus riche collection de photos de coquillages vivants de Polynésie française. Comment fait-on pour “attraper” autant d’espèces ?
“La grande majorité de ces mollusques sont actifs la nuit. Dans la journée, ils sont recroquevillés dans leur coquille et le plus souvent cachés sous les coraux, voire enfouis dans les sédiments. Si on veut les observer et les photographier vivants dans leur milieu naturel, c’est la nuit que ça se passe. Et là c’est un régal.”
Collectionnes-tu les coquillages toi-même ? Ou bien te contentes-tu des clichés ?
“Je ne suis pas collectionneur. Ce qui ne m’a pas empêché, à quelques reprises, de ramasser un ou deux jolis spécimens. Mais c’est vrai, j’ai plutôt une importante photothèque sur ce thème.”
Tu as bien sûr un coquillage préféré. Lequel est-ce ?
“J’ai toujours été admiratif devant les porcelaines. Ce sont des espèces qui peuvent être très colorées et présenter de délicats ornements. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont pu servir de monnaie ou de parure dans les temps anciens un peu partout en Océanie. La nuit, elles sortent de leur cachette pour aller “brouter” les petites algues dont elles se nourrissent. Elles se recouvrent alors de leur manteau, lui aussi coloré et souvent doté de papilles. Un manteau qu’elles rétractent si on les dérange avec un faisceau lumineux. Il faut utiliser une lumière faible et diffuse pour les observer et les photographier. Parmi toutes, j’ai forcément un penchant pour les plus rares ; l’aurantium, la cumingii, la bernardi…”
Pour illustrer une grande partie du livre sur les mollusques, tu as mis combien de temps pour réaliser les photos “hors d’eau”, les spécimens montrés sous toutes les coutures ? Il ne suffisait pas d’ailleurs de les photographier, il fallait ensuite assembler les photographies…
“Ça a été très long… Ce travail s’est étalé sur une dizaine d’années. Au début, franchement, j’ai pataugé… Les résultats ne me convenaient pas. Il m’a fallu trouver mille et une astuces pour parvenir au final à ce que vous voyez sur ce livre. C’est Michel Muraton, collectionneur et initiateur de ce projet, qui a eu l’idée géniale, après bien des recherches, de commander en Autriche une “boîte à lumières” de fabrication artisanale, petit studio photographique avec éclairages latéraux diffus, orientables et réglables en intensité. Les premiers essais se sont montrés encourageants. Puis j’ai rapidement décidé de faire toutes les prises de vues de nuit, dans le noir total, afin de m’affranchir de toute lumière indésirable et parasite. Tout ceci bien évidemment au trépied, avec des temps de pose variant de 10 à 45 secondes, en lien direct avec mon ordinateur. Merci la photographie numérique ! Il fallait souvent s’y reprendre à deux, voire trois fois, pour bien mettre en évidence la “sculpture” de chaque coquille. Les minuscules coquilles, dont la taille n’était quelquefois que de trois ou quatre millimètres, ont nécessité un objectif plus adapté et un assemblage de bagues intermédiaires. Chaque session photo s’achevait au milieu de la nuit et représentait dix à quinze coquillages seulement.
Il me fallut ensuite détourer délicatement chacune des photos en respectant les moindres détails, puis travailler la colorimétrie sur un écran calibré avant de procéder aux assemblages et à la mise à l’échelle. Un boulot fastidieux sur environ 5 000 photos. Sincèrement, si c’était à refaire, je pense que je passerais mon tour…
Mais le résultat est là, j’ai atteint mon objectif. Peu d’ouvrages sur les coquillages sont parvenus à une telle qualité sur les images.”
Dans ce livre sur les mollusques, tu as réalisé un énorme travail en termes d’iconographie (1 909 photos ! soit les trois-quarts des clichés), mais tu n’apparais pas parmi les auteurs. Comment tu situes toi-même ton rôle dans la mesure où tu es, au moins pour l’iconographie, la clé de voûte de l’ouvrage ?
“Je faisais partie des auteurs. Enfin… de ce qu’il en restait. Mais l’absence de collégialité a eu raison de ma patience. Je me suis retiré en 2015.
Puis j’ai appris avec satisfaction que Michel Boutet avait rejoint le groupe quelque temps plus tard. J’avais longtemps milité pour cela, mais en vain… Par son expertise et sa sagesse, il a permis à ce projet d’aboutir.”
Comment juges-tu aujourd’hui le biotope polynésien pour les coquillages ? Inchangé depuis tes premières plongées, modifié, bouleversé (en bien ou en mal) ?
“J’ai constaté en 38 ans une nette dégradation du milieu naturel, j’en parlais précédemment. La pollution, les apports terrigènes dans les lagons et les passes, la destruction des coraux par les intempéries mais aussi par l’anthropisation du littoral : dragages, remblais, pontons… Les espèces inféodées aux lagons et au récif-barrière sont en déclin. Sans doute aussi, l’introduction et la prolifération d’espèces envahissantes, comme le burgau et le troca, ont eu un impact négatif sur ces écosystèmes. Il y a beaucoup d’espèces de petite taille que l’on ne voit quasiment plus aujourd’hui, du moins autour de Tahiti.”
Compte-tenu des changements de mentalités ces dernières années vis-à-vis de l’environnement, la collection de coquillages telle qu’on la pratiquait (et qu’on la pratique encore, mais moins qu’avant) est-elle à tes yeux à proscrire ?
‘Depuis l’époque des grandes expéditions autour du monde, les collections ont été nécessaires à la connaissance. Sans les collections que l’on retrouve aujourd’hui dans les musées naturalistes du monde entier, on ne comprendrait pas la nature, son fonctionnement et son évolution. Ce sont les collections privées et le commerce des espèces qui, au fil du temps, ont pu donner lieu à des abus. On se souvient tous de cet engouement pour les coquillages dans les années 60’ à 80’, où certes les préoccupations environnementales n’étaient pas d’actualité, mais qui a donné lieu à de véritables razzias sur certaines espèces. Aujourd’hui effectivement, les mentalités ont changé et tout ça ce n’est plus au goût du jour, ce serait même plutôt mal vu.”
Et maintenant… d’autres projets ?
“Bien sûr, les projets ça fait aller de l’avant, quels qu’ils soient. C’est important dans la vie. Actuellement, je complète un travail photographique sur les atolls. Et puis je continue à enrichir ma photothèque sur les nudibranches. Tout ça prendra forme tôt ou tard.”
Propos recueillis
par Daniel Pardon
“C’est une longue histoire… durant toute ma jeunesse, je me suis nourri de romans d’aventures, d’explorations, d’expéditions aux quatre coins du monde. C’était l’époque du commandant Cousteau et de l’odyssée de la Calypso, il y avait toute une collection de livres que j’avais lus et relus cent fois, puis ce film en noir et blanc qui fut une véritable révélation “Le monde du silence” qui m’a fait découvrir l’univers corallien. Il y avait aussi ces conférences itinérantes qui s’appelaient “Connaissance du Monde” ; je n’en ratais aucune ; puis bien sûr le Festival mondial de l’image sous-marine d’Antibes. Bref, je l’ignorais encore, mais tout ça était en train de me préparer à partir loin, très loin.
À 17 ans, j’étais déjà autodidacte dans plusieurs domaines, l’électronique, la musique, la photographie… J’ai passé haut-la-main un baccalauréat de technicien en électronique, puis j’ai fait mon service militaire en montagne, dans les Transmissions. Quelques mois plus tard, je rentrais comme musicien dans un orchestre niçois. Nous animions des soirées de gala dans les palaces de la côte d’Azur, de Monaco jusqu’au Var où durant trois années nous fûmes notamment attitrés au Grand Casino de Saint-Raphaël. Inutile de dire qu’après tout ça, je m’étais mis un beau pécule de côté ; j’allais bientôt pouvoir partir et aller au bout de mes rêves. J’ai beaucoup voyagé, mais j’ai commencé par la facilité : la Polynésie française. C’était en 1982.”
Tu étais déjà plongeur, ou as-tu découvert cette activité à Tahiti ?
“Vers l’âge de 16 ans, je m’étais déjà initié “à la sauvage” au Cap d’Antibes, où un ami me prêtait ses bouteilles de plongée. Mais c’est une fois arrivé en Polynésie que je me suis inscrit dans un club fédéral pour y suivre une formation sérieuse. C’est une discipline rigoureuse, il ne faut pas brûler les étapes.”
Quel niveau as-tu atteint ?
“J’ai obtenu ce que l’on appelait à l’époque le 2e échelon (qui correspond au niveau 4 d’aujourd’hui), puis j’ai passé le brevet fédéral d’initiateur.”
Tu n’as jamais souhaité faire de la plongée ta profession, à savoir devenir moniteur d’État ?
“Non, mon métier c’était l’électronique ; un métier vraiment passionnant que j’exerçais dans un atelier à Papeete. L’enseignement de la plongée ne m’intéressait pas. La plongée n’était pas une fin en soi ; c’était pour moi un moyen d’explorer ce nouvel univers et d’y faire des découvertes.”
"L’univers marin me fascinait depuis mon enfance"
Il y avait beaucoup de plongeurs, mais peu de photographes sous-marins (au moins au temps de l’argentique). Comment en es-tu venu à la photo sous-marine ?
“Eh bien c’est là que je voulais en venir. Je pratiquais déjà la photographie, c’était une de mes passions. L’univers marin me fascinait depuis mon enfance et tous les documentaires que j’avais suivis au Festival mondial d’Antibes m’avaient tracé la voie. Je me plaisais à découvrir, photographier, témoigner, raconter… Et maintenant que j’avais acquis un bon niveau de plongeur, “il n’y avait plus qu’à…”, comme on le dit souvent.”
Sais-tu combien tu as de plongées “au compteur” ? Dont combien de nuits ?
“Durant la formation, chaque plongée est consignée dans un carnet : lieu, profondeur, durée… elle est tamponnée et signée par le moniteur instructeur. Une fois que j’ai été autonome, j’ai acheté mon propre matériel (bi-bouteille à cette époque là) et je me suis mis à faire de plus en plus de plongées d’exploration hors-club. Mes carnets de plongées étaient pleins et j’ai arrêté de compter. Au total, sur 25 ans, j’ai dû en faire pas loin de 3 000, peut-être plus, je ne sais pas… ce n’était pas régulier. Les plongées de nuit en représentent une belle part ; à la louche je dirais deux ou trois cents. Mais ce n’est pas exceptionnel, je faisais ça par passion. Un moniteur de plongée, lui, peut être amené à faire quinze à vingt plongées par semaine.”
Comment as-tu débuté dans la publication de tes photos ? Presse, livres ?
“En dehors du milieu de la presse écrite, peu de gens pratiquaient la photo dans les années 80’ - 90’, et très rares étaient ceux qui s’adonnaient à la photographie sous-marine. C’était à la fois marginal et très contraignant ; il fallait être bon plongeur, savoir utiliser et entretenir un matériel très onéreux et y consacrer beaucoup de temps. Il y avait beaucoup de casse sur le matériel. Heureusement, j’étais capable de le réparer moi-même. Et je ne parle pas des films qu’il fallait acheter (le plus souvent hors du territoire), puis ensuite envoyer au développement. Mais j’aimais ça. Des journalistes et éditeurs m’ont repéré et j’ai commencé à publier. J’ai eu la chance de toujours rencontrer les bonnes personnes au bon moment.”
"C'est Ua Huka, dans le nord des Marquises qui a ma préférence"
Avec des livres comme Îles et lumières tu as clairement misé davantage sur la photo “terrestre” que sur la photo sous-marine. Les deux activités te paraissaient se compléter ?
“Cet ouvrage est né d’une idée de Christian Robert, en 1997, qui avait vu mes reportages magazine dans les avions. Il m’a appelé un jour pour me proposer ce projet. J’avais déjà une photothèque conséquente que je m’étais constituée au gré de mes voyages et missions dans les archipels. Je faisais aussi de la photo aérienne par divers moyens, hélico, avion privé, ULM, et je m’intéressais aux spécificités de la vie dans les îles. L’objectif était de montrer la Polynésie française sous ses aspects les plus flatteurs et je pense que le milieu sous-marin y occupe une bonne place. C’est un livre qui a vraiment très bien marché, il a été réédité et se vend encore bien aujourd’hui.”
Tu as une île préférée, là où tu passerais volontiers deux ou trois semaines tranquille ?
“J’ai eu la chance de partir en expédition ou en mission dans des îles difficiles d’accès. J’adore ces endroits là. Eiao, Makatea, Bellingshausen, Mehetia, Maiao, Rapa… et plus récemment Pitcairn. Mais c’est Ua Huka, dans le nord des Marquises qui a ma préférence. Par contre, ce n’est pas pour y rester tranquille… Je ne tiens pas en place. Il faut que je nage, que je marche, que je grimpe, bref… je veux aller partout. Et Ua Huka est un sacré beau terrain de jeu. Depuis 1991, j’y suis allé plusieurs fois et je m’y sens bien. L’île a peu changé et l’accueil y est toujours très chaleureux.”
Quel est ton meilleur souvenir sous l’eau ? Si tu ne devais garder qu’une seule plongée, raconte-nous celle que tu choisirais…
“Question piège ! (rires) Je me souviens d’avoir clamé un jour en remontant sur le zodiac “Je viens de faire la plus belle plongée de ma vie !”. C’était à la fin des années 80’ à Rangiroa, une plongée en dérive dans la passe d’Avatoru par courant rentrant. Cette plongée s’appelait Mauta, elle consistait à se laisser dériver depuis la passe jusqu’à assez loin dans le lagon. Cela fait très longtemps que cette plongée ne se fait plus, le site est maintenant protégé il me semble. Ce jour là, ce fût extraordinaire. Bien sûr, il y en a eu bien d’autres après, un peu partout, à Fakarava sud par exemple… C’est très difficile de les classer.”
Et si tu ne devais garder qu’une seule photo ?
“Un groupe de raies manta au lever du jour dans le lagon de Bora Bora. Super lumière, superbe ballet… Cette photo a elle aussi une histoire, mais ça fera l’objet d’une autre discussion.”
On passe parfois des moments difficiles sous l’eau. Tes pires souvenirs ? As-tu, parfois, eu le sentiment d’être allé trop loin, trop profond ?
“Il fut un temps où nous faisions des “profondes” sur le tombant de Arue. Nous descendions bien au-delà des 70 mètres. Nous faisions ça à 5 ou 6 heures du matin avant d’aller travailler. Mais ça n’a pas duré très longtemps.
En revanche, “trop loin” oui… Je n’oublierai jamais cette plongée spéléo à Makatea en 1993 où je suis successivement tombé en panne d’éclairage, puis d’air…”
Le monde sous-marin a révélé bien des secrets et tu as toi-même réalisé nombre de clichés qui ont été des “exclusivités”. Que conseillerais-tu à un jeune désireux de se lancer ? Les photos de poissons, de méduses ou de coraux, on en a vu et revu...
“Eh bien, sous l’eau, c’est principalement à la photographie naturaliste et animalière que l’on s’adonne. Ce qui n’a pas empêché certains de se lancer avec succès dans la photo d’art avec des mannequins ou des mises en scène diverses. Dans des domaines plus techniques, la photo sous-marine est un outil important ; je pense à l’archéologie marine ou encore l’étude et le suivi des récifs coralliens. La particularité du milieu sous-marin c’est que les couleurs disparaissent rapidement avec la profondeur. Il suffit de descendre de quelques mètres pour n’avoir plus que du bleu. Pour révéler les véritables couleurs, il est alors nécessaire d’apporter un éclairage supplémentaire, savamment orienté et dosé, avec des projecteurs ou des flashes. Mon conseil serait déjà de se perfectionner sur ces techniques à l’air libre. Après, sous l’eau, ce ne sont pas les sujets qui manquent.”
Décris-nous les eaux des Marquises, par rapport à celle des Tuamotu, des îles de la Société, des Australes ? Qu’est-ce qui fait l’identité sous-marine de chaque archipel (en mettant Rapa à part).
“Les îles Marquises sont baignées par des eaux très riches en nutriments divers, et notamment en phytoplancton, ce qui fait qu’elles ne semblent pas claires. De plus, les falaises tombent à-pic dans l’océan et la profondeur est rapidement importante. Au final, à l’exception de quelques baies, c’est un environnement plutôt sombre pour ne pas dire glauque. D’ailleurs, on voit bien cette couleur émeraude de l’eau lorsqu’on longe le littoral en bateau. En revanche, la vie marine foisonne, c’est vraiment impressionnant. La biodiversité y est exceptionnelle avec un taux d’endémisme très élevé (environ 15 % pour les poissons). Je me suis régalé à travailler là-bas. Dans les îles de la Société, c’est très variable selon que l’on se trouve, ou non, près des villes et des passes. Les zones urbanisées engendrent non seulement de la pollution mais aussi un lessivage des terres lors des fortes pluies. Il y a une grande variété de biotopes autour des îles hautes, chacun avec sa propre diversité. D’une manière générale, le milieu marin autour de Tahiti a beaucoup souffert ces dernières décennies. Aujourd’hui, des zones protégées sont mises en place dans divers endroits et leur efficacité est remarquable. La côte Est, et surtout la Presqu’île, me semblent encore épargnées.
Aux îles Australes, la faune marine (poissons et invertébrés) est bien moins riche, notamment autour de Rurutu et Rimatara où les récifs offrent peu d’habitats favorables au développement des juvéniles. En revanche, les eaux y sont cristallines.
Quant aux atolls des Tuamotu, ils représentent un véritable Eden… Des eaux claires, un écosystème corallien florissant et une faune abondante et variée. Même chose aux Gambier, un véritable enchantement.”
Rapa, comme tous les “bouts du monde”, c’est une biodiversité exceptionnelle
Nous avons mis Rapa à part. Parle-nous de ce que l’on peut y faire et y voir sous l’eau ? En termes d’ambiance sous-marine, c’est proche de l’île de Pâques, de Pitcairn ? On est encore en Polynésie, comparé aux cinq archipels ou est-ce déjà un monde à part ?
“Rapa (et les îlots de Marotiri), c’est très particulier… C’est la “frontière” sud de la Polynésie française. On y parvient au terme d’un long voyage en bateau. Au-delà, vers le sud, il n’y a plus rien avant l’Antarctique. J’ai adoré Rapa ; là-bas tout est différent. Il n’y a pas de lagon et la côte est battue par les puissantes houles qui arrivent du grand sud. Je n’y ai pas séjourné longtemps, mais j’ai eu l’autorisation d’y plonger. Depuis longtemps, les habitants, et notamment le Conseil des sages, ont instauré un rahui pour assurer la protection des ressources (interdiction – ou plutôt autorisation – temporaire de pêche sur certaines zones). Les règles sont strictes mais elles ont prouvé leur efficacité. Gare aux contrevenants ! L’eau y est froide et les coraux sont moins abondants. En revanche ils forment par endroits des paysages sous-marins exceptionnels. Et puis Rapa, comme tous les “bouts du monde”, c’est une biodiversité exceptionnelle, avec, là aussi, un taux d’endémisme remarquable et des espèces uniques. Encore un très beau terrain de jeu pour les biologistes de tout poil.”
Revenons à nos coquillages. Tu as sans doute la plus riche collection de photos de coquillages vivants de Polynésie française. Comment fait-on pour “attraper” autant d’espèces ?
“La grande majorité de ces mollusques sont actifs la nuit. Dans la journée, ils sont recroquevillés dans leur coquille et le plus souvent cachés sous les coraux, voire enfouis dans les sédiments. Si on veut les observer et les photographier vivants dans leur milieu naturel, c’est la nuit que ça se passe. Et là c’est un régal.”
Collectionnes-tu les coquillages toi-même ? Ou bien te contentes-tu des clichés ?
“Je ne suis pas collectionneur. Ce qui ne m’a pas empêché, à quelques reprises, de ramasser un ou deux jolis spécimens. Mais c’est vrai, j’ai plutôt une importante photothèque sur ce thème.”
Tu as bien sûr un coquillage préféré. Lequel est-ce ?
“J’ai toujours été admiratif devant les porcelaines. Ce sont des espèces qui peuvent être très colorées et présenter de délicats ornements. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont pu servir de monnaie ou de parure dans les temps anciens un peu partout en Océanie. La nuit, elles sortent de leur cachette pour aller “brouter” les petites algues dont elles se nourrissent. Elles se recouvrent alors de leur manteau, lui aussi coloré et souvent doté de papilles. Un manteau qu’elles rétractent si on les dérange avec un faisceau lumineux. Il faut utiliser une lumière faible et diffuse pour les observer et les photographier. Parmi toutes, j’ai forcément un penchant pour les plus rares ; l’aurantium, la cumingii, la bernardi…”
Pour illustrer une grande partie du livre sur les mollusques, tu as mis combien de temps pour réaliser les photos “hors d’eau”, les spécimens montrés sous toutes les coutures ? Il ne suffisait pas d’ailleurs de les photographier, il fallait ensuite assembler les photographies…
“Ça a été très long… Ce travail s’est étalé sur une dizaine d’années. Au début, franchement, j’ai pataugé… Les résultats ne me convenaient pas. Il m’a fallu trouver mille et une astuces pour parvenir au final à ce que vous voyez sur ce livre. C’est Michel Muraton, collectionneur et initiateur de ce projet, qui a eu l’idée géniale, après bien des recherches, de commander en Autriche une “boîte à lumières” de fabrication artisanale, petit studio photographique avec éclairages latéraux diffus, orientables et réglables en intensité. Les premiers essais se sont montrés encourageants. Puis j’ai rapidement décidé de faire toutes les prises de vues de nuit, dans le noir total, afin de m’affranchir de toute lumière indésirable et parasite. Tout ceci bien évidemment au trépied, avec des temps de pose variant de 10 à 45 secondes, en lien direct avec mon ordinateur. Merci la photographie numérique ! Il fallait souvent s’y reprendre à deux, voire trois fois, pour bien mettre en évidence la “sculpture” de chaque coquille. Les minuscules coquilles, dont la taille n’était quelquefois que de trois ou quatre millimètres, ont nécessité un objectif plus adapté et un assemblage de bagues intermédiaires. Chaque session photo s’achevait au milieu de la nuit et représentait dix à quinze coquillages seulement.
Il me fallut ensuite détourer délicatement chacune des photos en respectant les moindres détails, puis travailler la colorimétrie sur un écran calibré avant de procéder aux assemblages et à la mise à l’échelle. Un boulot fastidieux sur environ 5 000 photos. Sincèrement, si c’était à refaire, je pense que je passerais mon tour…
Mais le résultat est là, j’ai atteint mon objectif. Peu d’ouvrages sur les coquillages sont parvenus à une telle qualité sur les images.”
Dans ce livre sur les mollusques, tu as réalisé un énorme travail en termes d’iconographie (1 909 photos ! soit les trois-quarts des clichés), mais tu n’apparais pas parmi les auteurs. Comment tu situes toi-même ton rôle dans la mesure où tu es, au moins pour l’iconographie, la clé de voûte de l’ouvrage ?
“Je faisais partie des auteurs. Enfin… de ce qu’il en restait. Mais l’absence de collégialité a eu raison de ma patience. Je me suis retiré en 2015.
Puis j’ai appris avec satisfaction que Michel Boutet avait rejoint le groupe quelque temps plus tard. J’avais longtemps milité pour cela, mais en vain… Par son expertise et sa sagesse, il a permis à ce projet d’aboutir.”
Comment juges-tu aujourd’hui le biotope polynésien pour les coquillages ? Inchangé depuis tes premières plongées, modifié, bouleversé (en bien ou en mal) ?
“J’ai constaté en 38 ans une nette dégradation du milieu naturel, j’en parlais précédemment. La pollution, les apports terrigènes dans les lagons et les passes, la destruction des coraux par les intempéries mais aussi par l’anthropisation du littoral : dragages, remblais, pontons… Les espèces inféodées aux lagons et au récif-barrière sont en déclin. Sans doute aussi, l’introduction et la prolifération d’espèces envahissantes, comme le burgau et le troca, ont eu un impact négatif sur ces écosystèmes. Il y a beaucoup d’espèces de petite taille que l’on ne voit quasiment plus aujourd’hui, du moins autour de Tahiti.”
Compte-tenu des changements de mentalités ces dernières années vis-à-vis de l’environnement, la collection de coquillages telle qu’on la pratiquait (et qu’on la pratique encore, mais moins qu’avant) est-elle à tes yeux à proscrire ?
‘Depuis l’époque des grandes expéditions autour du monde, les collections ont été nécessaires à la connaissance. Sans les collections que l’on retrouve aujourd’hui dans les musées naturalistes du monde entier, on ne comprendrait pas la nature, son fonctionnement et son évolution. Ce sont les collections privées et le commerce des espèces qui, au fil du temps, ont pu donner lieu à des abus. On se souvient tous de cet engouement pour les coquillages dans les années 60’ à 80’, où certes les préoccupations environnementales n’étaient pas d’actualité, mais qui a donné lieu à de véritables razzias sur certaines espèces. Aujourd’hui effectivement, les mentalités ont changé et tout ça ce n’est plus au goût du jour, ce serait même plutôt mal vu.”
Et maintenant… d’autres projets ?
“Bien sûr, les projets ça fait aller de l’avant, quels qu’ils soient. C’est important dans la vie. Actuellement, je complète un travail photographique sur les atolls. Et puis je continue à enrichir ma photothèque sur les nudibranches. Tout ça prendra forme tôt ou tard.”
Propos recueillis
par Daniel Pardon
Le livre des passionnés
L’engouement pour les coquillages de Polynésie française a été très fort dans les années 80, puis petit à petit, le nombre de passionnés a décliné, parallèlement à deux facteurs : un souci de protection de l’environnement (donc la volonté de ne pas récolter de coquillages vivants) et surtout une dégradation considérable du biotope marin des îles peuplées, comme Tahiti et Moorea où la faune marine s’est considérablement raréfiée et où les coquillages sont devenus nettement moins abondants.
Il n’empêche : en préparation depuis 2007, l’énorme pavé de plus de deux kilos, “Mollusques marins de Polynésie française” (bilingue français-anglais), était très attendu. Il prend ainsi la relève du fameux “Coquillages de Polynésie française”, de Bernard Salvat et Claude Rives, publié en 1983 (Les Editions du Pacifique) et qui a fait le bonheur des amateurs pendant quasiment quatre décennies.
Parmi les surprises que réserve cet ouvrage de 768 pages, l’extraordinaire richesse de la malacofaune polynésienne. Les auteurs, le réputé Michel Boutet, Robert Gourguet et Jean Letourneux, avec le soutien de l’Université et notamment de Nabila Gaertner-Mazouni, vice-présidente de la Commission de la recherche, ont en effet recensé plus de 3 000 espèces, dont 2 540 figurées.
Autre surprise, les changements d’appellations, les taxonomistes ne cessant, ces dernières années, de débaptiser pour rebaptiser espèces, genres et même, parfois, familles. C’est ainsi que la plus célèbre porcelaine de Tahiti est devenue, au fil des ans Cypraea aurantium (Gmelin 1791), puis Lyncina aurantium avant d’apparaître aujourd’hui sous le nom de Callistocypraea aurantium... Les amoureux de cette belle coquille continueront à l’appeler “aurantium” et tout ira pour le mieux.
Mollusques marins de Polynésie française
768 pages. 11 800 Fcfp
Editeurs : Université de la Polynésie française et Au vent des îles
Il n’empêche : en préparation depuis 2007, l’énorme pavé de plus de deux kilos, “Mollusques marins de Polynésie française” (bilingue français-anglais), était très attendu. Il prend ainsi la relève du fameux “Coquillages de Polynésie française”, de Bernard Salvat et Claude Rives, publié en 1983 (Les Editions du Pacifique) et qui a fait le bonheur des amateurs pendant quasiment quatre décennies.
Parmi les surprises que réserve cet ouvrage de 768 pages, l’extraordinaire richesse de la malacofaune polynésienne. Les auteurs, le réputé Michel Boutet, Robert Gourguet et Jean Letourneux, avec le soutien de l’Université et notamment de Nabila Gaertner-Mazouni, vice-présidente de la Commission de la recherche, ont en effet recensé plus de 3 000 espèces, dont 2 540 figurées.
Autre surprise, les changements d’appellations, les taxonomistes ne cessant, ces dernières années, de débaptiser pour rebaptiser espèces, genres et même, parfois, familles. C’est ainsi que la plus célèbre porcelaine de Tahiti est devenue, au fil des ans Cypraea aurantium (Gmelin 1791), puis Lyncina aurantium avant d’apparaître aujourd’hui sous le nom de Callistocypraea aurantium... Les amoureux de cette belle coquille continueront à l’appeler “aurantium” et tout ira pour le mieux.
Mollusques marins de Polynésie française
768 pages. 11 800 Fcfp
Editeurs : Université de la Polynésie française et Au vent des îles