Modification du décret de la loi Morin : les associations dénoncent un "traficotage"


Roland Oldham et le Père Auguste, jeudi matin lors de la conférence de presse organisée par les associations Moruroa e Tatou et 193, au sujet du projet de modification du décret d'application de la loi Morin.
PAPEETE, 21 juillet 2016 - Les associations 193 et Moruroa e Tatou de défense des victimes des essais nucléaires en Polynésie cosignent une série de remarques adressées au ministère des Affaires sociales, concernant le projet de modification du décret d’application de la loi Morin. Leur principale critique porte sur le maintien du principe de risque négligeable.

Les deux associations de défenses des victimes des essais nucléaires français en Polynésie ont participé à la réunion de la commission consultative du suivi des conséquences des essais nucléaires, le 6 juillet dernier à Paris, au ministère des Affaires sociales et de la Santé, en présence de la ministre Marisol Touraine et aux côtés du président Edouard Fritch, de Marcel Tuihani, de la sénatrice Tetuanui et des députés Maina Sage et Jonas Tahuaitu. A l’ordre du jour, la présentation du projet de modification du décret d’application de la loi Morin.

Pour l’instant, depuis 2010, cette loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français n’a donné lieu qu’à l’indemnisation de 19 victimes, dont sept polynésiennes, sur les 1043 dossiers de demandes instruits à ce jour.

Lors de sa visite en Polynésie française, en février dernier, le président de la République s’était ému publiquement de cette situation et avait annoncé une modification du décret d’application de la loi, avant la fin de l'année. C’est ce document qui était présenté à la délégation polynésienne, le 6 juillet dernier. Ce texte pourrait être validé dans les semaines qui viennent en Conseil des ministres à Paris.

Depuis le 6 un délai était laissé jusqu’au 20 juillet pour faire part d’éventuelles remarques concernant ce projet. Une liste a été adressée à Paris ce mardi par les associations Moruroa e Tatou et 193. Leur principale remarque consiste à déplorer le maintien du principe du risque négligeable. Cette probabilité obtenue au moyen d’un algorithme contesté est jusqu’à présent de 1 %, tandis que la proposition de décret envisage de la diminuer à 0,3 % en ajoutant qu'"en cas d'absence ou d'insuffisance de données dosimétriques (...) le risque attribuable aux essais nucléaires ne peut être regardé comme négligeable lorsque (...) des mesures de surveillance auraient été nécessaires".

Mais pour les associations, en dépit de cette nuance, le maintien du principe de risque négligeable demeure la clé du problème auquel sont confrontées les demandes d’indemnisation.

"On se demande pourquoi le taux du risque négligeable est maintenu à 0,3 %. Plusieurs spécialistes avec lesquels nous travaillons ont pu établir que la plupart des dossiers sont rejetés pour un risque inférieur à ce taux. En fin de compte nous croyons que l’Etat est au courant et que la fixation à 0,3 % n’est pas innocente", dénonce Roland Oldham, président de Moruroa e Tatau.

193 revendique 45000 signataires à sa pétition

"Pour nous, le principe du risque négligeable est l’obstacle majeur aux indemnisations", poursuit-il, en remarquant au passage : "Comment aller expliquer aux victimes que, même s’ils ont trois ou quatre cancers, ils ne sont pas éligibles à l’indemnisation parce qu’il y a un risque négligeable supérieur à 1 % ou à 0,3 % ? C’est un argument qui ne tient pas debout. C’est inadmissible. Il faut supprimer ce principe. François Hollande a fait des promesses. Les gens ont applaudi. Mais c’est malheureux ce que l’on nous propose".

Les associations demandent l’abrogation de l'idée même du risque négligeable et l’application d’un principe énoncé dès 2002, celui de la présomption de causalité. Un principe par lequel serait établi d’office un lien déterminent entre la présence d’une personne sur des lieux potentiellement exposés à une contamination nucléaire et l’affection ultérieure par l’une des 21 maladies reconnues radio-induites par la loi Morin et annexées au décret du 15 septembre 2014.

Les deux associations n’hésitent d'ailleurs pas à dénoncer un projet de modification du décret qui se borne à un "traficotage" des chiffres qui cache une "volonté politique" de l’Etat d’indemniser a minima.

Elles envisagent de rencontrer les responsables politiques locaux, pour défendre leurs propositions. La démarche sera menée à l’appui d’une pétition mise en circulation en début d’année et que Moruroa e Tatou et 193 assurent compter à ce jour 45 000 signataires. Elle défend l'organisation d'un référendum local pour demander à l'Etat de reconnaître sa responsabilité vis-à-vis des conséquences des essais nucléaire français en Polynésie de 1966 à 1996. Le principe d'une telle consultation populaire est prévu par le statut d'autonomie. "Ramené à l’échelle de la France, c’est comme si nous pouvions revendiquer 10 millions de soutiens", souligne le Père Auguste, président de l’association 193. Une entrevue avec Marcel Tuihani, président de l’assemblée de la Polynésie française est prévue mardi. Pour l’instant, Edouard Fritch n’a pas donné suite à leur demande.

"Le référendum local permettra un débat démocratique dans la population. Ce sera une grande avancée", défend le Père Auguste. "L’objet d’une telle consultation populaire est de mettre l’Etat français devant sa responsabilité : si d’une manière démocratique la Polynésie, par un vote massif, exige de la France d’être responsable de ses actes elle sera obligée d’en tenir compte. Pour nous, ce référendum est primordial pour faire fléchir l’attitude de l’Etat dans le dossier des indemnisations".

"Si les élus locaux ne sont pas capables de trouver une fenêtre démocratique, nous nous joindrons aux démarches engagées par le Tavini Huiraatira à New York", menacent les deux représentants des associations polynésiennes de défense des victimes des essais nucléaires. Le parti indépendantiste polynésien œuvre actuellement aux Nations Unies pour que soit présenté en décembre prochain, lors de la prochaine assemblée générale, une nouvelle résolution "pour que la France se charge réellement du dédommagement des victimes et de la gestion des conséquences de ces essais", dans le cadre du processus de décolonisation engagé en 2013.

Alain Juppé devrait recevoir les représentants des associations, la semaine prochaine. Ils profiteront de l’entrevue pour lui faire part de leurs doléances sans trop d’illusions : "Il était le premier ministre de Jacques Chirac pour la reprise des essais nucléaires en 1995", se bornent-ils à constater.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 21 Juillet 2016 à 16:46 | Lu 2244 fois