Tahiti le 1er vérier 2024. Elle a reçu en décembre à Hiroshima (Japon) le Yasumoto Lifetime Achievement Award, un prix international qui récompense l’ensemble des travaux menés au sein de l’institut Louis-Malardé pendant 30 ans. Agréablement surprise, Mireille Chinain dédie ce prix à son équipe, espérant toujours plus de lumière sur l’ILM.
Elle ne cache pas sa fierté. Mireille Chinain, directrice du laboratoire des biotoxines marines à l’institut Louis-Malardé (ILM), est la première lauréate du Pacifique du Yasumoto Lifetime Achievement Award. “Je mentirais en disant que cela ne me fait pas plaisir.” Mais elle insiste : “Ce prix n’est pas seulement le mien. Je sais que la recherche n’est rien sans une équipe, sans les techniciens qui travaillent au quotidien sur les paillasses.”
Tous les deux ans, la communauté internationale des chercheurs sur les algues nuisibles se réunit. Fin 2023, à Hiroshima au Japon, ils étaient près de 500 venus de 43 pays. “À l’origine, nous n’avions pas prévu d’y assister”, raconte Mireille Chinain, car la même semaine, un audit était prévu à l’ILM. “C’est quelque chose d’important, qui doit avoir lieu tous les deux ans mais que nous n’avions pas pu faire depuis six ans pour diverses raisons.” L’audit consiste à faire venir des experts des domaines d’études de l’ILM pour faire le point sur les travaux, les méthodes, les résultats et les publications afin d’optimiser la recherche. “Il n’était donc pas question que je m’absente.”
Attirer les yeux de la communauté internationale
Il existe de nombreuses toxines marines. Les plus connues étant les ciguatoxines, celles qui sont responsables de la ciguatera. Il existe, à travers le monde, de nombreux laboratoires qui s’intéressent aux ciguatoxines. Celui de l’ILM se démarque pour deux principales raisons. D’abord, il est le seul à fabriquer des ciguatoxines naturelles. Ces dernières sont nécessaires pour les travaux de recherche. Elles servent d’étalons, autrement dit de standards. Elles sont très difficiles à synthétiser. Seuls deux laboratoires japonais en sont capables mais ils doivent faire face à des ruptures de stock fréquentes.
À Tahiti, des algues sont mises en culture, les toxines sont recueillies, purifiées et vendues en quantité aux laboratoires intéressés. De plus, le laboratoire a une approche humaine des toxines. “La plupart des travaux se concentrent sur le seul aspect chimique de la question. Or, la ciguatera est d’abord une maladie.” L’ILM, lui, a mis en place un système de surveillance des cas, c’est le seul de la région Pacifique, il informe les populations et sensibilise les pêcheurs. “Je pense que le prix récompense tout cela.”
“Je cartonnais en sciences”
À l’époque, les étudiants devaient alors quitter le territoire. L’université n’existait pas encore. Mireille Chinain s’est inscrite en classe prépa à Angers pour entrer dans une école d’ingénieur. “Cela ne m’a pas convenu.” Elle a enchaîné avec des études universitaires en sciences biologiques. Très vite, elle s’est orientée en sciences marines. Elle a suivi ses études à Montpellier, a obtenu une maîtrise, un DEA puis a enchaîné avec une thèse.
“J’avais envie de retrouver le Fenua, mais j’ai obtenu une bourse donnée aux majors de promo, je n’ai pas pu rentrer, je devais saisir cette chance.” Elle a choisi un sujet qui devait lui permettre de rentrer. Un projet d’élevage de crevettes se dessinait en Polynésie. Elle a consacré sa thèse à une maladie fongique sur les écrevisses d’élevage.
Découverte majeure
Le directeur, Jean Roux, a reçu Mireille Chinain lui demandant de monter un projet de recherche pour mieux connaître l’algue productrice de cette toxine. “J’avais trois mois, mon projet a été accepté, j’ai obtenu un contrat à durée indéterminé pour le mener à bien.” Une nouvelle opportunité à saisir. “Les choses se font bien”, constate la chercheuse. Elle a démarré le 1er janvier 1990. En 2020, elle a été nommée cheffe de service.
La ciguatera n’est pas simple. C’est “un phénomène avec de multiples entrées qui implique les microalgues, les poissons et les hommes.” Il n’existe nulle part de test, rapide, facile et peu cher, permettant de savoir si un poisson, mollusque ou coquillage est infecté. Dans l’état actuel des connaissances, ce test n’est pas près de voir le jour. Il faut donc multiplier les outils pour contrôler au maximum le risque.
En démarrant, Mireille Chinain s’est fixé un objectif : prouver qu’il n’existait pas une seule algue productrice de ciguatoxine. “C’était le dogme de l’époque mais qui ne me paraissait pas possible.” Elle a arpenté les lagons polynésiens pour constituer une alguothèque. À cette occasion, elle a confirmé son hypothèse. Mais encore fallait-il réussir à le prouver.
En effet, pour décrire une algue, il est possible d’observer sa morphologie au microscope. “Mais cette morphologie n’est pas figée, ce n’est pas un bon critère car elle peut varier en fonction des milieux par exemple.” Elle a dû mettre au point un outil moléculaire. Et c’est ainsi qu’elle a décrit plusieurs espèces de microalgues dont Gambierdicus polynesiensis, considérée aujourd’hui comme la plus toxique au monde. Elle sert de référence aujourd’hui pour évaluer la toxicité des toxines.
Ses trente années passées à l’institut n’ont pas toujours été calmes. “Plusieurs fois par exemple, il a été menacé de fermeture”, rapporte Mireille Chinain qui regrette le manque de considération pour les travaux de l’ILM localement. “J’ai parfois l’impression qu’on est mieux reconnu à l’extérieur.”
L’épisode Covid semble avoir apporté la preuve de l’intérêt d’un tel centre de recherche sur le territoire. Ce qui rassure Mireille Chinain. Mais d’autres préoccupations ont pris le relai, comme la difficulté à trouver des financements pour mener à bien les travaux. “C’est significatif depuis une dizaine d’années.” La chercheuse part à la retraite d’ici trois ans, “cela sera plus difficile pour ceux qui prennent la suite”. Elle dit vouloir “laisser la paillasse propre en partant”. Le prix arrive à point nommé. “Il devrait nous donner de la visibilité.” Il apporte aussi à l’ILM une nouvelle légitimité, “si tant est que nous en avions besoin”.