Mieux comprendre: La Vanille de Tahiti


PAPEETE, le 16 mai 2017- Considérée comme de l'or noir, la vanille de Tahiti est une épice qui parfume les plats, les douceurs, les huiles des cuisines polynésiennes aux grandes tables de chefs à l'international. Elle entre aussi dans la composition de certains produits cosmétiques. Elle est mise à l'honneur dès aujourd'hui et pour cinq jours à l'assemblée de la Polynésie.
À l'occasion de la semaine de la vanille différents acteurs sont rassemblés à l'assemblée de la Polynésie française. Producteurs, préparateurs, transformateurs… Parmi eux se trouve Francky Tauatiti, gérant d'une entreprise familiale de vanille baptisée Hotu vanilla. Il présente son précieux produit comme une partie de la Polynésie, de sa culture, son histoire, son environnement. Il explique comment il a succombé à ses charmes jusqu'à ne plus pouvoir la quitter.


3 générations d'agriculteurs

L'exploitation familiale est à Raiatea. "Nous sommes la troisième génération d'agriculteurs. Mon grand-père paternel était agriculteur, il cultivait différents fruits et légumes dont la vanille. Mes parents étaient fonctionnaires sur Tahiti et, à la retraite, de retour à Raiatea, sont revenus à la terre." En 2004, ils ont travaillé avec des associés sur 8000 mètres carrés de terrains. "Il s'étaient cinq à se lancer". Ils ont installé quatre ombrières de 1 500 mètres carrés et deux de 1 000. Ils s'occupent aujourd'hui de trois ombrières soit 4 000 mètres carrés, Guy Tauatiti exploite, Odette Tauatiti prépare et affine. Les plants ont commencé à donner, à bien donner. "On a eu jusqu'à 3 à 4 tonnes de vanilles mûres par an(1)".

Pendant ce temps Francky Tauatiti était à Tahiti. Il avait un travail dans une société. "Mais certaines choses me chagrinaient. Je voyais la vanille s'entasser et mes parents continuer à payer des traites. La production était en phase ascendante." En 2010, il est pris six mois à l'essai en tant que commercial. "L'idée était de vérifier que je pouvais faire quelque chose et que ça allait me plaire. Finalement j'ai réussi à équilibrer les entrées et les sorties." Il a aussi goûté au produit et au plaisir d'aller le présenter en Polynésie et à l'international.


Médaillé d'or au salon de l'agriculture

Depuis 2010, il tient un stand au salon de l'agriculture de Paris où les efforts de la famille ont été récompensés. "Nous avons reçu plusieurs prix au concours général agricole du ministère de l'agriculture jusqu'à la dernière édition où nous avons obtenu la médaille d'or." Des visiteurs reviennent tous les ans pour les voir, "un peu comme une famille". Quand il est allé la première fois au salon, "personne ne connaissait le produit à part quelques professionnels, après toutes ces années c'est différent. Le grand public s'y intéresse aussi."

Plusieurs questions se posent désormais et des chantiers sont en cours pour aller plus loin dans la protection et la reconnaissance du produit. "Nous avons fait des erreurs que nous ne faisons plus, comme par exemple exporter toute notre production", rapporte Francky Tauatiti qui travaille à temps plein pour Hotu Vanilla comme responsable de la commercialisation. Il ajoute, "nos ombrières sont arrivées en fin de vie. Elles ont plus de dix ans, nous nous interrogeons sur la stratégie à adopter : remplacer tous les plans en même temps ou bien seulement ceux qui ne produisent plus du tout."

En parallèle, la famille a intégré le groupement des acteurs de la vanille de Tahiti en février dernier. Un préalable indispensable à la mise en place d'une Appellation d'origine protégée (AOP). Vanilla tahitensis, née en Polynésie est désormais cultivée ailleurs dans le monde comme le confirme Carine Yip, la directrice de l'Établissement Vanille de Tahiti. "On sait qu'elle est produite en Thaïlande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée", illustre-t-elle.


Une AOP espérée en 2018

"La création d'une AOP est la meilleure des choses à faire. Nous avons enfin réussi à nous fédérer, les agriculteur et les producteur, ce qui est une première", explique Francky Tauatiti. "C'est formidable pour la filière." Un cahier des charges est en cours de rédaction, il va tenir compte de l'aire géographique, du mode de culture, de la variété, du savoir-faire des préparateurs et affineurs. Il existe déjà une Appellation d'origine protégée de Polynésie française. "Elle n'est pas connue, mais elle va nous permettre d'aller plus vite pour la création de l'AOP", assure Francky Tauatiti. "On espère que l'AOP sera prête pour 2018". Un coup de pouce pour les producteurs dont la filière aurait encore un grand potentiel.

D'après le commercial de Hotu vanilla "la demande de base du marché international pour la seule vanille de Tahiti est de 45 tonnes. Nous sommes encore loin d'y répondre et nous n'avons démarché personne ou presque".

(1) Pour les chiffres de la production en Polynésie, voir l'article paru dans l'édition du vendredi 13 mai.

Les dessous d'un mariage délicat

Pour se reproduire naturellement, la vanille a besoin d'un insecte qui vit seulement en Amérique centrale. La plante serait originaire du Mexique, du Guatemala, du Belize et du Honduras. Aujourd'hui, elle est très rare à l'état sauvage. Elle est cultivée dans de nombreuses régions du monde.

C'est une petite abeille, la Mélipone, qui permet la pollinisation naturelle. La pollinisation c'est, chez les plantes à fleurs, le transport du pollen vers le pistil. Le pollen est une poudre qui contient les cellules mâles, le pistil renferme les cellules femelles. La pollinisation est suivie d'une fécondation, puis les cellules femelles se transforment en graines, le pistil en fruit. Chez la vanille, le fruit c'est la gousse.

Sans Mélipone, impossible de produire de la vanille. Mais un jour, un jeune homme changea la donne. Edmond Albius, un esclave réunionnais de 12 ans, découvrit le procédé de la fécondation artificielle de la vanille en 1841. Le procédé a révolutionné la culture de cette épice et a permis à l'île de la Réunion de devenir le premier producteur mondial et le berceau de la diffusion d'un nouveau savoir-faire. La production de vanille est passée de 267 kg en 1853 à 3 tonnes en 1858.

Il reste difficile aujourd'hui de savoir comment Edmond Albius fit sa découverte. La parternité même de cette découverte est parfois remise en question du fait qu'Edmond Albius soit un "simple" esclave noir. Il ne tira aucun bénéfice de sa découverte. Il mourut, affranchi (l'abolition de l'esclavage date de 1848), dans la misère en 1880.

Edmond Albius, un esclave réunionnais de 12 ans, découvrit le procédé de la fécondation artificielle de la vanille en 1841.


L'orchidée devient tahitienne

Une fois la fécondation maitrisée (1841, voir encadré "Les dessous d'un mariage délicat"), la dispersion de la vanille dans les colonies françaises se fit rapidement. À Tahiti, elle arriva en 1848 avec le contre-amiral Hamelin. Il avait à bord de sa frégate en provenance de manille de la Vanilla planifolia. En 1850, c'est le contre-amiral Louis-Adolphe Bonard qui introduit des plants de Vanilla planifolia du Jardin des plantes de Paris et de Vanilla pompona collectés aux Antilles. Enfin, en 1874, le commandant Pierre apporte des plants de Vanilla planifolia du Mexique.
Les plants furent d'abord plantés dans les jardins privés. La production n'a réellement début qu'en 1880. Deux périodes fastes se succédèrent pour les producteurs : de 1900 à 1925 (pic de production en 1910 avec 256 tonnes) et de 1934 à 1967 (pic de production en 1949 avec 300 tonnes).Jusqu'en 1925 elle était au deuxième rang des exportations de la colonie. En un siècle la vanille s'est inscrite dans la tradition agricole des Établissement français d'Océanie.
En 1933, J.W. Moore décrit pour la première fois le vanillier trouvé à Tahiti comme une espèce nouvelle et endémique. Il s'agit de la Vanilla tahitensis. Cette espèce serait un hybride entre Vanilla planifolia et entre un complexe de Vanilla odorata et un potentiel parent de Vanilla pompona. Sa particularité? Ses fruits sont indéhiscents, c'est-à-dire qu'ils ne s'ouvrent pas spontanément à maturité.

Du plant à la gousse consommable

Pour obtenir une gousse consommable il faut compter plusieurs années de croissance et d'attention. D'où le surnom de la précieuse épice: l'or noir.
Il faut attendre trois ans après la plantation pour laisser pousser les fruits. "Less lianes ne sont pas suffisamment vigoureuses avant au moins deux ans", précise Carine Yip, directrice de l'Établissement Vanille de Tahiti (EVT). Alors, les marieurs entrent en scène. En juillet, ils passent de fleur en fleur avec un petit stylet pour réaliser soulever la membrane qui sépare les organes mâles des organes femelles (voir encadré "Les dessous d'un mariage délicat"). Il faut faire vite, les fleurs n'ont qu'une durée de vie de quelques heures.
Une gousse se développe, "comme pour un bébé, il lui faut 9 mois". Elle passe du vert au jaune puis au brun. C'est le signal pour la récolte.
Vient la phase de préparation. Les gousses sont mises à l'ombre, lavées et séchées. Elles sont exposées au soleil dans la journée et enveloppées la nuit dans du tissu pour poursuivre la sudation, le taux d'humidité passe alors de 80% à 50/55%. C'est lors de cette étape que l'huile migre et se dépose à la surface des gousses qui deviennent souples et brillantes. Comptez un mois à un mois et demi en fonction de l'ensoleillement. Enfin, les gousses sont mises à sécher sur des claies à l'ombre et à l'air pendant une petite semaine.
Elles sont alors triées, calibrées, emballées pour pouvoir être vendues. Pas moins de 90% de la récolte polynésienne (elles sont cultivées à Tahiti, Huahine, Moorea, Raiatea et Taha'a) part à l'export. Le reste est venu en local.


Quelques Chiffres



La semaine de la vanille: infos pratiques

Du mardi 16 mai au samedi 20 mai dans le hall de l'assemblée de Polynésie française
Ouverture officielle le 16 mai à 9 heures.
Horaires d'ouverture : de 9 heures à 16 heures le mardi 16 mai, de 9h30 à 16 heures le mercredi 17 et jeudi 18, de 9h30 à 17 heures le vendredi 19 mai, de 9 heures à midi le samedi 20 mai.
Accès libre


Rédigé par DELPHINE BARRAIS le Mardi 16 Mai 2017 à 15:51 | Lu 2557 fois