Me Koubbi : "Radio Tefana est loin d’être une radio politique"


PAPEETE, le 10 mai 2019 - L’avocat spécialisé en droit pénal financier au barreau de Paris, Me David Koubbi, expose pour la première fois la défense de son client, Oscar Temaru, dans l’affaire Radio Tefana en vue du procès du 18 juin prochain devant le tribunal correctionnel de Papeete. Dans une interview à Tahiti Infos et Radio 1, il assure que Radio Tefana « est un outil de communication et pas un organe de propagande » et estime que « l’urgence » de cette procédure est liée à l’annonce par Oscar Temaru de la plainte contre la France pour crime cotre l’humanité.


Me Koubbi, comment vous êtes-vous retrouvé à assurer la défense d’Oscar Temaru ?
« Classiquement, c’est un choix du client. J’ai été contacté. Le dossier m’a été présenté et j’ai accepté avec plaisir de participer à la défense de M. Oscar Temaru. »

Pourquoi « avec plaisir » ?
« Ce qui m’intéresse au premier plan dans un dossier de cette nature, ce sont les conséquences d’un éventuel dysfonctionnement, s’il y en a, de l’appareil judiciaire en général et du ministère public en particulier. »
 
Ce qu’on reproche à Oscar Temaru dans ce dossier, c’est le lien entre l’objet social de Radio Tefana -la lutte anti-nucléaire et le souverainisme- et l’idéologie du Tavini…
« Sur la lutte anti-nucléaire, il me semble acquis aux débats que les essais nucléaires ont été arrêtés il y a plus de deux décennies. Donc évoquer une opposition aux essais nucléaires aujourd’hui n’est pas une particularité de ce parti mais la reprise d’un état de faits, validé au plus haut niveau de l’Etat français de part l’arrêt même des essais militaires. Et lorsqu’on parle d’indépendantisme, le Tavini et Radio Tefana sont en ligne avec la déclaration des droits de l’homme (DDHC) de 1789. Allant plus loin, cet aspect est traité par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 point 18 du préambule, s'agissant du rôle "émancipateur" de la France. Si le procureur voit là la commission de délits, il faudra qu’il structure avec grande attention la charge qu’il s’apprête à mener contre M. Temaru, parce que prendre une position judiciaire allant à l’encontre de la DDHC me semble pour le moins singulier, à moins bien sûr sur cela serve d’autres intérêts que ceux qui sont affichés. »

"Des validations systématiques de la Cour des comptes, puis de la chambre territoriale des comptes"


Plus précisément, on reproche au maire de Faa’a, et président du Tavini, d’avoir octroyé des aides et subventions à cette radio ?
«  Ce n’est pas le maire, seul, qui accorde des subventions, c’est le conseil municipal. Ce qui est tout-à-fait classique dans le fonctionnement d’une telle autorité locale. Par ailleurs, la commune de Faa’a ne subventionne pas une radio mais des radios. »
 
Mais le maire est tout de même issu d’une majorité qu’il conduit ?
« Au cas d’espèce, la commune de Faa’a s’est dotée d’un organe de communication municipal pour assurer un service d’information à destination de ses administrés et non pas d’un organe de propagande. Et nous en voulons pour preuve -ce sont des faits vérifiés et vérifiables- que Radio Tefana est une radio qui est loin d’être une radio politique, puisque environ 95% de ses programmes sont des programmes d’information locale à visée générale, musicaux et culturels. Et pour les 5% restants, la plupart des formations politiques locales ou métropolitaines ont été reçues et pas seulement des représentants ou sympathisants du Tavini. En résumé, on a une commune qui s’est dotée d’un organe de communication communal et cet organe se voit subventionné et aidé par la commune dont il est question. Et ça tombe bien, parce que ce n’est pas la commune d’à côté ou l’Etat français qui financera la radio de communale de Faa’a. »
 
On a beaucoup entendu Oscar Temaru évoquer le « timing » de cette procédure et le lier avec l’annonce de sa plainte contre la France pour crime contre l’humanité. Est-ce que vous faîtes le même parallèle ?
« Comment ne pas le faire ? Les faits reprochés ne sont pas exactement nouveaux puisqu’ils durent depuis 1984 ! Et l’on se rendrait compte subitement que ces faits constitueraient des délits ? Cela pourrait s’entendre s’il n’y avait pas eu des validations systématiques de la Cour des comptes, puis de la chambre territoriale des comptes, dont les préconisations ont été scrupuleusement suivies, ainsi que cela résulte de la lecture des rapports successifs desdites autorités. Voilà que d’un point de vue administratif, ce qui est préconisé et suivi par un élu manifestement gênant deviendrait un délit pénal. Reste alors en effet à se poser la question de savoir pourquoi dans ce délai ? »
 
Et pourquoi dans ce délai selon vous ?
« Je ne peux pas, en ma qualité d’avocat d’Oscar Temaru, aux côtés de mon confrère Gilles Jourdainne, ne pas voir dans quelle séquence s’inscrit cette convocation. Il est constant et connu de tous que M. Oscar Temaru a déposé plainte contre la France pour crimes contre l’humanité du fait des 193 essais nucléaires, que nous avons une réaction de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, qui dit que l’Etat allait se ‘défendre’ et ‘rappelera les faits’. Imaginons alors qu’elle ne manquera pas de rappeler les souffrances endurées par le Peuple polynésien du fait des essais nucléaires. Quelques jours plus tard à peine, M. Oscar Temaru est convoqué pour ce que nous pensions être une audition libre. Et finalement, à l’âge de 75 ans, il est placé de façon discutable en garde à vue. Alors que la garde à vue ne se justifie que lorsqu’il y a un risque de déperdition des preuves, de pressions sur les témoins ou lorsque les garanties de représentation ne sont pas suffisantes, induisant un risque de fuite. On se rend compte, s’agissant de M. Oscar Temaru, que ce n’est pas à l’âge qu’il a, avec le passé politique dont il dispose et la grande probité qui caractérise chacun de ses actes, que ces risques seraient fondés. Cette mesure privative de liberté était selon moi injustifiée et destinée à porter atteinte à son honneur. »

"L’autorité de poursuite a ressenti une manière d’urgence à agir"


Pour vous, il y a donc un lien direct en cette garde à vue et l’annonce de la plainte d’Oscar Temaru, alors même que l’enquête préliminaire était enclenchée depuis au moins 2015 ?
« Manifestment, l’autorité de poursuite a ressenti une manière d’urgence à agir, dont je ne vois pas tout à fait bien ce qui la justifierait, en dehors de la lecture chronologique que nous venons de faire ensemble. Les débats judiciaires éclaireront ce point de manière plus précise, à n’en pas douter et les juges du tribunal correctionnel n’en seront pas dupes. Ils ne sont pas une chambre d’enregistrement de la volonté politique. »
 
Vous nous confirmiez avant cet entretien qu’à la lecture du dossier, la procédure a été relancée par le courrier de l’avocat d’Edouard Fritch demandant ce qui justifiait une différence de traitement entre Radio Maohi et Radio Tefana ?
« Elle n’a pas été relancée. Elle a été lancée. C’est une grande première pour moi de constater que le ministère public peut voir son action mise en mouvement par un avocat. Il y a lieu de trouver cela tout à fait singulier et je laisse l’appréciation de cet état de faits à chacun. »
 
Vous dites également avoir eu des difficultés à vous procurer le dossier pénal ?
« Il y a là un sujet fondamental qui touche au respect des droits de la défense. Il existe en droit une notion qui s’appelle le principe du contradictoire, qui met à la charge des autorités de poursuite l’obligation de communiquer le dossier sur lequel elles croient pouvoir fonder leur action. Et là, il aura fallu six à huit démarches de la défense de M. Temaru, par lettre au procureur de la République avec copie au président du tribunal, pour parvenir à obtenir une copie de ce dossier. Il s’agit là d’un droit élémentaire. Dossier qui nous est finalement parvenu à peine deux mois avant l’audience. Ce qui en terme de préparation de la défense, pose question. Mais j’imagine que nous saurons à l’audience pourquoi le parquet a mis autant de temps à nous communiquer le dossier, qu’il ne nous a pas été permis de consulter non plus. »
 
Dans ces conditions serez-vous tout de même prêts pour l’audience du 18 juin ?
« Aucune infraction pénale n’ayant été commise, nous serons prêts à faire valoir les droits de M. Oscar Temaru. »


Rédigé par Antoine Samoyeau le Vendredi 10 Mai 2019 à 23:02 | Lu 3998 fois