Tahiti, le 16 mai 2022 – Une journée de commémoration est organisée à Bora Bora ce mercredi en clôture de l’exercice militaire interarmées Marara 2022. Un instant de mémoire rendu possible grâce au travail mené depuis plusieurs années par l’association Mémoire polynésienne que préside Jean-Christophe Shigetomi. Ce passionné relate les éléments clés de sa démarche, lors d’un entretien accordé à Tahiti Infos.
Il y a aujourd’hui un peu plus de 80 ans, l’opération militaire, nom de code de Bobcat, fut le 17 février 1942 le premier théâtre d’opération extérieur de l’armée américaine après le raid de l’aviation japonaise sur Pearl Harbor deux mois plus tôt. La mission avait consisté en l’installation à Bora Bora d’un dépôt d’huile lourde et de positions de défense appropriées pour le ravitaillement des convois maritimes entre le canal de Panama et l’Australie.
Il y a aujourd’hui un peu plus de 80 ans, l’opération militaire, nom de code de Bobcat, fut le 17 février 1942 le premier théâtre d’opération extérieur de l’armée américaine après le raid de l’aviation japonaise sur Pearl Harbor deux mois plus tôt. La mission avait consisté en l’installation à Bora Bora d’un dépôt d’huile lourde et de positions de défense appropriées pour le ravitaillement des convois maritimes entre le canal de Panama et l’Australie.
La stèle érigée à Vaitape en souvenir de l'opération Bobcat.
L’île de Bora Bora vit le débarquement de plus de quatre mille cinq cents hommes issus d’unités diverses de l’armée américaine, dont des troupes des “Construction Battalions”, les CB, communément appelés Seabees, une unité du génie militaire de l'US Navy. Ils y séjournèrent quatre ans. Cet épisode charnière de l’histoire récente de la Perle du Pacifique sera officiellement commémoré en clôture de l’opération Marara 2022. L'exercice militaire a réuni un millier d’hommes dont 500 soldats américains. Un VIP Day est organisé ce mercredi à Bora Bora en présence de forces militaires françaises et américaines pour les 80 ans de l’opération Bobcat.
Jean-Christophe Shigetomi, président de l'association Mémoire polynésienne.
L’exercice Marara permet de mettre sur ce chantier historique de l’association Mémoire polynésienne un puissant éclairage. Comment avez-vous collaboré avec les forces armées dans cette perspective ?
“Effectivement, l’exercice Marara 2022 est une aubaine pour nous permettre de mieux faire connaître ce pan de l’histoire de Bora Bora. Nous avons fourni aux forces armées diverses ressources documentaires et réalisé pour eux un court-métrage de 12 minutes racontant en langue anglaise l’opération Bobcat. Ce film sera projeté lors du VIP Day à l’attention des hôtes de l’US Navy.”
L’association Mémoire polynésienne travaille depuis plusieurs années maintenant à fixer les détails de l’opération Bobcat. Ce travail vous a-t-il permis de préciser, voire corriger, certains éléments qui étaient portés par la mémoire collective ?
“Effectivement, la consultation des archives américaines, l’accès à des fonds privés extérieurs, ont complété nos archives territoriales et ainsi permis d’avoir un autre éclairage de cette présence américaine à Bora Bora. Les discussions entre le département américain des affaires étrangères et les représentations diplomatiques de la France libre ont commencé bien avant l’attaque de la flotte américaine le 7 décembre 1941. L’île de Bora Bora figurait par ailleurs dès les années 1930 dans les plans des stratèges américains. En revanche, le gouvernorat de Tahiti n’a jamais été tenu informé de ces tractations. Il apprend de l’administrateur Charles Passard basé à Uturoa qu’une importante force armée américaine a débarqué à Bora Bora. Comme j’ai eu loisir de l’écrire dans vos colonnes, Pearl Harbor est une aubaine pour la France libre et pour le général de Gaulle pour lui permettre de s’asseoir à la table des alliés. Le choix de Bora Bora a été conditionné non par une réserve politique du général de Gaulle mais plus par la configuration physique de l’île : une seule et grande passe, une baie profonde pouvant accueillir la moitié de la flotte américaine.
Ainsi, sous le code de Bobcat, Bora Bora sera leur premier terrain d’opérations militaires dans le Pacifique après l’attaque de Pearl Harbor. Bora Bora ne sera pas seulement une base de ravitaillement des convois en route dans le Pacifique sud mais aussi un terrain d’essai pour toutes les opérations militaires amphibies qui suivront dans le grand Pacifique puis en Europe.
Pour les populations de Bora Bora alors épargnées par la guerre, l’opération Bobcat provoque son éveil sur le monde extérieur pour entrer dans le 20e siècle bien avant l’île de Tahiti. Ce choc brutal entre ces deux mondes sera notamment dénoncé par James Normal Hall, auteur de Lost Island, par les relations sociales, économiques et matérielles qu’il va générer.”
Ce travail documentaire permet aujourd’hui à l’association d’offrir tout un panel d’éléments pour accompagner la commémoration de ces 80 ans de Bobcat. Parmi ces chantiers, la réhabilitation des canons de Ha’amaire est une réalisation clé. Est-ce une de vos fiertés ?
“Oui, en effet. Les canons de Bora Bora sont aujourd’hui la principale trace de la présence des Américains dans l’île pendant la Seconde Guerre mondiale. Leur accès et leur visite n’étaient pas aisés car ils empiètent sur des domaines privés et étaient dépourvus jusqu’à récemment de toutes signalétiques et d’informations historiques idoines. Ce n’est désormais plus le cas de la batterie des deux pièces de marine de 7 pouces située à la Pointe Fitiu’u, à Ha’amaire, à Anau.
Grâce à ses propriétaires, sous l’égide de l’association Mémoire polynésienne, ce site de Ha’amaire a été réhabilité, les canons nettoyés de leurs graffitis. La batterie et le poste de guet disposent désormais de panneaux d’informations historiques sur les conditions d’installation de ces deux pièces par les militaires du Construction Battalion, surnommés les Seabees ou cigale de mer, et de ses servants du 13e Coast Artillery. Les textes sont en tahitien, français et anglais. Le site de Ha’amaire bénéficiera par ailleurs d’expériences en réalité augmentée permettant de premières reconstitutions historiques accessibles au moyen de tablettes ou de smartphones.”
Plusieurs autres sites mémoriels participent au souvenir de l’opération Bobcat à Bora Bora. Comment cela est-il organisé ?
“L’information historique débute pour les visiteurs dès leur arrivée à l’aérodrome de Bora Bora. Sur l’aérodrome de Motu Mute, un panneau illustré de 5 mètres en salle d’embarquement racontera la construction et l’exploitation des deux pistes ouvertes en 1943. Les textes sont en tahitien, anglais et français.
Une fresque murale de quelques dix mètres de long vous relatera aussi l’histoire de la présence des Américains à Bora Bora. Elle se situe au restaurant Beach Club à Matira et constitue une première étape incontournable. La fresque se compose de diverses illustrations qui ont été réalisées par Jean-Louis Saquet, graphiste de renom aujourd’hui malheureusement disparu. Les textes sont en français et en anglais. Le restaurant Yacht Club accueille tout autant un ensemble d’informations historiques et iconographiques sur l’US Navy lors de l’opération Bobcat.
Enfin, toutes ces réalisations ont contribué à la production par la société Bleu Lagon d’un film documentaire de 52 minutes qui a été projeté au FIFO 2022 : Sur les traces des GI à Bora Bora.
J’ajoute aussi que l’association Mémoire polynésienne et la société Extra Art figurent notamment parmi les huit lauréats nationaux de l’appel à projet lancé par le ministère des Armées pour les outils numériques innovants dans le tourisme de mémoire. L’industrie hôtelière, les prestataires de services de l’île sont particulièrement intéressés par cette démarche que le site de Tahiti Tourisme relaie désormais.
“Effectivement, l’exercice Marara 2022 est une aubaine pour nous permettre de mieux faire connaître ce pan de l’histoire de Bora Bora. Nous avons fourni aux forces armées diverses ressources documentaires et réalisé pour eux un court-métrage de 12 minutes racontant en langue anglaise l’opération Bobcat. Ce film sera projeté lors du VIP Day à l’attention des hôtes de l’US Navy.”
L’association Mémoire polynésienne travaille depuis plusieurs années maintenant à fixer les détails de l’opération Bobcat. Ce travail vous a-t-il permis de préciser, voire corriger, certains éléments qui étaient portés par la mémoire collective ?
“Effectivement, la consultation des archives américaines, l’accès à des fonds privés extérieurs, ont complété nos archives territoriales et ainsi permis d’avoir un autre éclairage de cette présence américaine à Bora Bora. Les discussions entre le département américain des affaires étrangères et les représentations diplomatiques de la France libre ont commencé bien avant l’attaque de la flotte américaine le 7 décembre 1941. L’île de Bora Bora figurait par ailleurs dès les années 1930 dans les plans des stratèges américains. En revanche, le gouvernorat de Tahiti n’a jamais été tenu informé de ces tractations. Il apprend de l’administrateur Charles Passard basé à Uturoa qu’une importante force armée américaine a débarqué à Bora Bora. Comme j’ai eu loisir de l’écrire dans vos colonnes, Pearl Harbor est une aubaine pour la France libre et pour le général de Gaulle pour lui permettre de s’asseoir à la table des alliés. Le choix de Bora Bora a été conditionné non par une réserve politique du général de Gaulle mais plus par la configuration physique de l’île : une seule et grande passe, une baie profonde pouvant accueillir la moitié de la flotte américaine.
Ainsi, sous le code de Bobcat, Bora Bora sera leur premier terrain d’opérations militaires dans le Pacifique après l’attaque de Pearl Harbor. Bora Bora ne sera pas seulement une base de ravitaillement des convois en route dans le Pacifique sud mais aussi un terrain d’essai pour toutes les opérations militaires amphibies qui suivront dans le grand Pacifique puis en Europe.
Pour les populations de Bora Bora alors épargnées par la guerre, l’opération Bobcat provoque son éveil sur le monde extérieur pour entrer dans le 20e siècle bien avant l’île de Tahiti. Ce choc brutal entre ces deux mondes sera notamment dénoncé par James Normal Hall, auteur de Lost Island, par les relations sociales, économiques et matérielles qu’il va générer.”
Ce travail documentaire permet aujourd’hui à l’association d’offrir tout un panel d’éléments pour accompagner la commémoration de ces 80 ans de Bobcat. Parmi ces chantiers, la réhabilitation des canons de Ha’amaire est une réalisation clé. Est-ce une de vos fiertés ?
“Oui, en effet. Les canons de Bora Bora sont aujourd’hui la principale trace de la présence des Américains dans l’île pendant la Seconde Guerre mondiale. Leur accès et leur visite n’étaient pas aisés car ils empiètent sur des domaines privés et étaient dépourvus jusqu’à récemment de toutes signalétiques et d’informations historiques idoines. Ce n’est désormais plus le cas de la batterie des deux pièces de marine de 7 pouces située à la Pointe Fitiu’u, à Ha’amaire, à Anau.
Grâce à ses propriétaires, sous l’égide de l’association Mémoire polynésienne, ce site de Ha’amaire a été réhabilité, les canons nettoyés de leurs graffitis. La batterie et le poste de guet disposent désormais de panneaux d’informations historiques sur les conditions d’installation de ces deux pièces par les militaires du Construction Battalion, surnommés les Seabees ou cigale de mer, et de ses servants du 13e Coast Artillery. Les textes sont en tahitien, français et anglais. Le site de Ha’amaire bénéficiera par ailleurs d’expériences en réalité augmentée permettant de premières reconstitutions historiques accessibles au moyen de tablettes ou de smartphones.”
Plusieurs autres sites mémoriels participent au souvenir de l’opération Bobcat à Bora Bora. Comment cela est-il organisé ?
“L’information historique débute pour les visiteurs dès leur arrivée à l’aérodrome de Bora Bora. Sur l’aérodrome de Motu Mute, un panneau illustré de 5 mètres en salle d’embarquement racontera la construction et l’exploitation des deux pistes ouvertes en 1943. Les textes sont en tahitien, anglais et français.
Une fresque murale de quelques dix mètres de long vous relatera aussi l’histoire de la présence des Américains à Bora Bora. Elle se situe au restaurant Beach Club à Matira et constitue une première étape incontournable. La fresque se compose de diverses illustrations qui ont été réalisées par Jean-Louis Saquet, graphiste de renom aujourd’hui malheureusement disparu. Les textes sont en français et en anglais. Le restaurant Yacht Club accueille tout autant un ensemble d’informations historiques et iconographiques sur l’US Navy lors de l’opération Bobcat.
Enfin, toutes ces réalisations ont contribué à la production par la société Bleu Lagon d’un film documentaire de 52 minutes qui a été projeté au FIFO 2022 : Sur les traces des GI à Bora Bora.
J’ajoute aussi que l’association Mémoire polynésienne et la société Extra Art figurent notamment parmi les huit lauréats nationaux de l’appel à projet lancé par le ministère des Armées pour les outils numériques innovants dans le tourisme de mémoire. L’industrie hôtelière, les prestataires de services de l’île sont particulièrement intéressés par cette démarche que le site de Tahiti Tourisme relaie désormais.