Manger local : le Pays mise sur l’agro-transformation


Crédit photo : Présidence.
Crédit photo : Présidence.
 Tahiti, le 12 février 2025 - Le Pays veut miser sur la filière de l'agro-transformation, qui vise à valoriser les productions agricoles locales. Neuf ateliers sont déjà opérationnels ou en cours de déploiements. L'objectif étant de pouvoir alimenter les cuisines centrales et cantines scolaires en produits Made in Fenua, tout au long de l'année.
 
Parvenir à une autonomie alimentaire et réduire la dépendance aux importations, c'est l’ambition affichée par le Pays avec le développement de la filière agro-transformation. Un chantier colossal, mené par le ministère de l’Agriculture, qui vise à structurer un secteur encore embryonnaire au Fenua, tout en répondant à des enjeux à la fois économiques et sanitaires.
 
“L’agro-transformation est essentielle. Elle s’inscrit dans l’optimisation de la chaîne de valeur, au même titre que le stockage et la distribution. Il y a un abattoir pour la viande, des scieries pour le bois, c'est le même principe mais pour les produits agricole”, explique Roland Bopp, directeur de la Direction de l'agriculture. Aux côtés de son ministre de tutelle, Taivini Teai, il a défendu, ce mercredi en conférence de presse, la volonté du gouvernement d’inverser la tendance et de valoriser les productions locales. Une ambition de taille, quand on sait que 90% des denrées alimentaires consommées au Fenua sont importées.
 
Mais la dynamique est lancée, assure Marc Fabresse, directeur de la Chambre d’agriculture et de la pêche lagonaire : “La dynamique est très intéressante.” Reste maintenant à transformer l’essai.
 
Un plan en plusieurs étapes
 
Intégré au schéma directeur de l’agriculture adopté à Tarahoi en 2023, le plan de développement de l’agro-transformation repose sur plusieurs piliers. Le plus important : la mise en place d’ateliers de transformation agroalimentaire, destinés à structurer la filière. Neuf infrastructures, cofinancées par l’État, sont déployées ou en cours de déploiement dans des communes agricoles.
 
Trois d’entre elles sont déjà en service à Mataiea, où elles ont lancé leur production en octobre dernier, après une inauguration en décembre 2023. Quatre autres ateliers sont également construits dans les îles, à Raiatea, Taha'a et Huahine. Pour l’instant, leurs produits sont uniquement destinés aux cantines scolaires et aux cuisines centrales. “Cela touche 5.500 élèves avec plus de 300 kilos de produits vivriers transformés par semaine, sans compter les 500 kilos de fruits destinés aux desserts”, précise Fanny Wan, du pôle agro-transformation de la Direction de l’agriculture. Le Pays a d’ores et déjà lancé des appels d’offres pour trois nouvelles structures qui devraient être en fonction dès cette année à Rimatara, Rurutu et Tubuai. Des ateliers aux Marquises mais aussi dans les Tuamotu sont également envisagés. Pensés dans une logique écoresponsable, ces espaces seront équipés de panneaux solaires, d'une isolation thermique renforcée et d'un système de ventilation naturelle pour réduire leur impact environnemental.
 
Décentraliser pour mieux produire
 
Le modèle retenu est délibérément local et décentralisé. “L'idée, ce n'est pas de construire une usine géante, mais d'implanter plusieurs petites structures à l’échelle des îles, afin que la plus-value reste sur place”, explique Marc Fabresse. Pour attirer les porteurs de projets, le gouvernement met en place un dispositif de location accessible : chaque atelier sera disponible via un bail commercial à 150.000 francs par an, avec une première année gratuite. Un coup de pouce non négligeable pour inciter l’initiative privée à passer à l’acte.
L’objectif est clair : non seulement promouvoir les produits locaux, mais aussi encourager une production agricole plus rationnelle. Trop de fruits et légumes sont aujourd’hui gaspillés parce qu’ils ne correspondent pas aux standards esthétiques des grandes surfaces ou parce qu’ils se retrouvent en surplus. “Désormais, ces produits non vendus pourront être transformés, découpés et mis sous vide pour une consommation différée”, avance Taivini Teai, le ministre de l'Agriculture.
 
Autre impact attendu : un rééquilibrage des cycles de production, puisque les produits transformés pourront être consommés bien plus tardivement que ceux frais. “On va pouvoir arrêter la production hors saison, qui exige beaucoup d'efforts. On utilisera aussi moins de pesticides. L’agriculture sera plus durable”, se félicite Marc Fabresse. L’idée est aussi d’offrir des débouchés sécurisés aux agriculteurs, en réduisant leurs pertes, estimées entre 10 et 20% aujourd’hui. Un levier potentiel pour stimuler la production locale, qui ne craindra plus de se retrouver avec des productions à perte. À titre d'exemple, les productions agricoles locales pourraient être transformées en légumes et fruits sous vide et surgelés, en chips, en farines (farine de uru)... “Les possibilités sont immenses”, confirme Taivini Teai.
 
Un chantier encore fragile
 
Mais la filière, aussi encourageante soit-elle, en est encore à ses débuts, et les obstacles ne manquent pas. Pour l’instant, le premier objectif est de garantir l’autosuffisance des cuisines scolaires, histoire d’ancrer dans les habitudes des jeunes générations les bienfaits d'une alimentation locale. Encore faut-il surmonter des difficultés logistiques de taille : manque d'espaces de stockage ou encore les emprises foncières pour implanter les futurs ateliers.
 
L’agro-transformation est une promesse sur le papier. Reste à voir si elle parviendra à s’installer durablement dans le paysage agricole du Fenua et à rebattre les cartes d’un système alimentaire aujourd’hui essentiellement dominé par les importations.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 12 Février 2025 à 18:05 | Lu 2100 fois