Manfred Drechsler, le chocolatier de Ua pou


UA POU, le 7 mars 2017 - Installé au fond d'une vallée de Ua pou, Manfred Drechsler fabrique des chocolats. Originaire d'Allemagne de l'est, il a quitté sa terre natale en 1987 pour la Polynésie, le mur n'était toujours pas tombé. Il a vécu à Tahiti une petite dizaine d'années avant de gagner les Marquises. Il y a huit ans, il a planté des pieds de cacao. Celui qui a été pilote d'hélicoptère est devenu chocolatier.

Aujourd'hui, c'est Aranui. Tôt ce matin, le bateau a accosté dans la baie de Hakahau à Ua pou. Sur le quai, le manège des fenwick a commencé aussitôt l'embarcation amarrée. L'évènement est attendu sur l'île. Les petits commerces ont besoin de remplir leurs rayons, le centre artisanal se languit, de même que les professionnels du tourisme qui comptent beaucoup sur les passagers pour s'occuper.

À Hakahau, les artisans s'affairent, les premiers visiteurs vont débarquer. Un buffet de fruits est en cours de composition : cocos, mangues, papayes, caramboles… Des carrés colorés sont empilés au-dessus de grandes feuilles de bananiers. Une odeur sucrée se mêle aux notes de trois musiciens. La scène a du cachet.

"Amazing"

Les touristes débarquent. Il est à peine 9 heures. Ils connaissent par cœur le programme prévu sur l'île cathédrale. Mais la réalité est au-delà de ce qu'ils avaient imaginé. "Amazing", répètent-ils, sous le charme. Ils ne savent plus où donner de la tête, leur regard passe du bleu des eaux, aux fruits orangés en passant par les fleurs enluminées des robes et chemises impeccablement repassées.

Repus, ils filent ensuite par paquets vers le pae pae du village. Là, un groupe d'artistes les attend. Ils chantent, dansent, frappent leurs instruments. Haka, danse de l'oiseau, tapa tapa. En coulisse, Manfred Drechsler attend son tour. Lui aussi fait partie du spectacle. C'est le chocolatier de l'île. La surprise que personne n'attend. La cerise sur le gâteau déjà copieux des animations. À l'issue du show, il devient l'aimant de la situation.

Ses tablettes sont enveloppées dans une feuille d'aluminium. Rangées dans une glacière, elles sont toutes adoptées ce jour d'Aranui. Tout va très vite. Il est l'heure d'aller manger. Les touristes doivent gagner les snacks. En dix minutes, tout est terminé. Manfred jette un œil dans sa glacière. Vide. Lui aussi doit partir, vite. Pour l'écouter conter, il faut le retrouver chez lui. Au fond de la vallée d'Hakaetau. À près d'une heure en 4x4 d'Hakahau.

Manfred Drechsler vit sur les terres de sa compagne Thérèse, au pied du piton Pumaka. Il est né en 1953 en Allemagne de l'est. Il a grandi coupé d'une partie du monde, "je ne connais pas toute ma famille. Il y a certains cousins que je n'ai jamais rencontrés". Avant même que le mur ne tombe, il a quitté son bout de ville et ses proches. "J'ai perdu une affaire", se rappelle-t-il. "Un spa."

En arrivant en Polynésie, il ne parlait ni l'anglais, ni le français. "Je ne savais pas non plus piloter les hélicoptères, mais j'ai appris. Je suis un autodidacte, je n'ai pas peur de travailler et j'ai plusieurs cordes à mon arc." Au volant des engins à pales, il a posé des lignes haute tension sur Tahiti. Puis il a été pisciniste à son compte, a travaillé dans le bâtiment…

"On trouve tout sur internet, mais…"


Après une dizaine d'années à Tahiti, il est allé aux Marquises, à Ua pou exactement. "C'était en novembre 1995", indique Thérèse, sa compagne. Un jour, il est tombé sur un pied de cacaoyer. "Ça poussait bien et j'ai vu que personne n'en faisait rien ici". Pendant cinq ans, il a fait des tests. Il a planté des dizaines de pieds de trois espèces différentes. "Les plans donnent deux fois par an. Entre octobre et décembre et entre mai et juillet on peut récolter des fèves." Il s'est mis à étudier la fabrication du chocolat. "On trouve tout sur internet, mais ensuite, il faut le mettre en pratique et, là, ça pose problème. Il faut faire des tests, si on ne fait que copier, ça ne marche pas."

Les cabosses de cacao poussent directement sur le tronc de la plante. Elles contiennent des fèves au sein desquelles se trouvent des amandes qui permettent la fabrication du chocolat. Les fèves sont d'abord mises à fermenter, puis elles sont séchées au soleil. Sous les rayons, elles brunissent. Suivent les étapes de torréfaction, concassage, broyage. Manfred Drechsler a fabriqué son four et ses machines pour réaliser toutes les étapes nécessaires à la fabrication de ce qui est devenu son or noir.

"Je vends ma recette à qui la veut"

Il n'en dit pas plus sur les étapes de fabrication ni sur sa recette. Il montre seulement ses cœurs fourrés et ses rectangles pralinés. Il cache jalousement son laboratoire et sa machine. "Je vends ma recette à qui la veut", annonce-t-il. En attendant, il écoule sa production sur place. Dépourvus de conservateurs, composés à partir de matière première 100% naturelle, ses chocolats ne peuvent pas voyager. Ils régalent les habitants de l'île et des visiteurs de Ua pou. Le bouche-à-oreille a passé les frontières. Certains s'arrêtent spécifiquement pour rencontrer Mandfred Drechsler.



Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 7 Mars 2017 à 18:26 | Lu 11005 fois